Intervention de Philippe Monloubou

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous fournir l'occasion de nous exprimer sur un sujet clé. Vous l'avez intitulé « Freins à la transition énergétique », or, sans avoir atteint les objectifs affichés dans le projet de PPE, nous avons déjà fait beaucoup, en sorte que nous pourrions d'ores et déjà parler de leviers.

Quelque 17 gigawatts (GW) d'énergies renouvelables (ENR) sont d'ores et déjà raccordés aux réseaux. En dix ans, 24 000 bornes de recharge ont été installées, certes pas toutes publiques. On compte 17 millions de compteurs communicants et près de 400 000 producteurs. Ils ne sont pas tous du niveau des producteurs historiques, mais ce sont tout de même des producteurs, avec des contrats de production, c'est-à-dire avec l'ingénierie nécessaire et les impacts sur le réseau. Autrement dit, nous avons acquis une expérience ENR, parfois au prix d'adaptations réalisées au pas de course, aujourd'hui installée dans le processus industriel.

Madame la présidente, vous avez évoqué à juste titre la transformation fondamentale des entreprises. Il nous revient de le faire, et cela ne doit pas être un frein. J'ai coutume de dire, d'une façon un peu simplificatrice, qu'après avoir été des industries du temps long et de la linéarité, nous devenons des industries du temps réel et de la dimension systémique. Il ne s'agit plus de délivrer un kilowattheure top-down mais d'équilibrer à toutes les mailles l'intégration massive d'énergie renouvelable et de gérer des véhicules ou du stockage. Cette dimension doit être rendue industriellement soutenable, ce qu'il nous appartient de faire.

J'en reviens aux leviers. La transition énergétique s'effectue de plus en plus à l'initiative des territoires eux-mêmes, dans une logique de valorisation de leurs ressources. Leur capacité à développer les principes fondamentaux de la transition énergétique s'exerce à plusieurs niveaux. François Brottes le dira peut-être différemment, mais, pour intégrer massivement et raccorder ces énergies renouvelables, il convient d'en anticiper au maximum l'impact sur les réseaux dans la programmation, la vision, la mise en oeuvre de la production des énergies renouvelables comme de la mobilité électrique. Nous avons eu ces débats à l'occasion de certaines évolutions législatives. C'est un point clé.

On peut parler de schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), de plan climat air-énergie territorial (PCAET), de schémas directeurs à différents niveaux, des schémas que les syndicats d'électrification ont pu développer par eux-mêmes ou de la vision propre des collectivités, un des vecteurs de l'efficacité est la capacité de coordination. Nous avons une part de responsabilité, mais elle ne saurait être exclusive, elle devra être soutenue à tous les niveaux en vue d'une optimisation globale. C'est une question d'efficience, de rapport coûtefficacité, d'optimisation des investissements réseaux. Je rejoins ce que disait Jean-François Carenco : en fonction des modalités d'implantation et de la vision d'ensemble, l'impact sur le réseau et l'atteinte des ambitions de la transition énergétique seront différents. Compte tenu du fait que les constantes de temps ne sont plus les mêmes que celles que nous avons connues historiquement, il est indispensable que cette vision d'ensemble soit meilleure que celle que nous avons connue jusqu'à présent.

S'agissant des raccordements, nous sommes régulièrement sollicités, pour ne pas dire challengés, voire critiqués, parfois à juste titre. Par définition, les 100 % de qualité des processus industriels ne sont pas de ce monde. En outre, et le sujet avait été souligné par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), certaines procédures de simplification tardent à venir. Certaines procédures administratives datent d'une époque où le numérique n'existait pas, où l'urbanisation et l'environnement des villes ou des collectivités n'obéissaient pas aux mêmes logiques de coordination. Si l'on veut éviter d'être confronté à des difficultés pour tenir les objectifs fixés localement et nationalement, il convient d'accélérer la simplification, non seulement au sein des entreprises, et cela relève de notre responsabilité, mais aussi dans le champ administratif.

En résumé, la clarification des liens entre les différents espaces de planification, la mise en cohérence des ambitions et la simplification en matière de raccordement seraient sans nul doute un facteur de réussite ou, à tout le moins, d'accélération de la réussite des ambitions de la transition énergétique.

Par ailleurs, il convient de donner au consommateur les moyens d'agir. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) contient de nombreux éléments liés au mix énergétique et d'autres liés à l'efficacité énergétique. Ce sujet concerne l'ensemble des parties prenantes, c'est-à-dire les collectivités mais aussi le citoyen consommateur dans une logique d'équité d'accès à la maîtrise de l'empreinte énergétique et de la consommation.

Jean-François Carenco a évoqué le compteur communicant Linky, outil en cours de déploiement. Aujourd'hui, le compteur communicant n'est plus une option. Cela vaut pour l'Inde comme pour n'importe quel autre pays. Comme l'a dit Jean-François Carenco, il n'y aura pas de transition énergétique sans compteur communicant, pour la simple raison que pour développer l'efficacité énergétique, comprendre la facture à l'échelle d'un bâtiment ou d'une collectivité, et tout simplement pour déployer massivement des ENR à l'échelle des territoires, il faut des données. Nous y travaillons. Plus de la moitié des foyers français sont équipés d'un compteur Linky. Il ne vous échappe pas qu'il subsiste encore quelques résistances, relevant parfois d'archaïsmes ou de visions exacerbées. Je souhaite là aussi l'envoi d'un message fort afin que l'opposition à certains dogmes ou visions hérités d'une autre époque soit soutenue l'ensemble des acteurs. Je ne vise pas le régulateur qui, sur ce point, nous apporte un soutien indéfectible.

J'évoquerai enfin la dimension tarifaire pour laquelle nous travaillons activement avec la CRE. L'évolution de l'autoconsommation justifie une révision de la structure même des tarifs afin d'envoyer des signaux économiques bons et justes. De plus, des niveaux d'investissement élevés seront nécessaires. Pour sécuriser durablement la capacité d'investissement sur les réseaux avec les bons actionnaires, il faut faire en sorte que le tarif rémunère durablement les investissements au bon niveau. Par conséquent, la PPE doit être juste et soutenable du côté actionnarial et du client final. Cet équilibre auquel travaillons avec la CRE sera un autre élément déterminant de la transition énergétique.

En conclusion, la solidarité et la péréquation deviennent plus que jamais des facteurs clés. La transition énergétique ne se fera pas sans une exigence accrue en matière de résilience et de qualité des réseaux. Parce que les métiers changent profondément, qu'il s'agisse du transport du gaz ou de la production d'énergie, il est besoin de niveaux d'opérateurs industriels d'une tout autre dimension que ceux que nous avons connus. Il nous faut aussi la durée, parce que les engagements et les durées d'investissement portent sur du temps long. C'est pourquoi nous gérons actuellement de nouveaux équilibres contractuels entre concédants et concessionnaires.

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