Intervention de François Brottes

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE) :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je ne pourrai pas, en cinq minutes, faire beaucoup plus que lire mon sommaire, avant de répondre à vos questions, bien que j'aie préparé une intervention pour vous être utiles. Merci de cette mission sur les freins à la transition énergétique. Je sais que, dans cette maison, on sait parfois lever les freins, et ce travail est destiné à vous éclairer sur des possibilités de déblocage…

Je rappelle que RTE est au coeur de la transition énergétique électrique aussi bien que gazière, secteur avec lequel nous entretenons des liens de plus en plus étroits, le gaz étant un élément de la réussite de la transition. Sans raccordement à un réseau, il n'y a pas de production. Or les producteurs autonomes potentiels ne souhaitent pas forcément se couper complètement du réseau, faute de quoi ils n'auraient plus d'assurance. Je remercie le président de la CRE d'y être attentif. Qu'on n'utilise pas le réseau ou qu'on veuille l'utiliser à n'importe quel moment, le prix est identique, puisqu'il est essentiellement constitué de charges fixes.

L'entreprise RTE travaille en France continentale et en Europe. Agir sur un réseau européen est une chance pour nous tous, car cela permet d'organiser nombre de solidarités. Nous regrettons toutefois que les parcs de production de nos différents pays ne soient pas coordonnés. Les pays prennent des initiatives, les parlements des pays prennent des initiatives, des PPE s'organisent ici ou là, mais chacun fait son mix dans son coin sans parler avec le voisin. Or les réseaux étant interconnectés, ils doivent parfois gérer les éléments de vulnérabilité qui se compilent faute de coordination.

Mon « sommaire » est ainsi composé : chapitre 1er, les contraintes liées aux lois de la physique, lesquelles ne font pas de politique ; chapitre 2, les contraintes liées aux règles du marché ; chapitre 3, les contraintes liées à des problèmes politico-sociétaux d'acceptabilité des ENR. Je pourrais développer longuement chacun de ces chapitres, mais je crains de ne pas en avoir le temps.

Concernant les lois de la physique, un réseau de transport doit être maintenu à une fréquence de 50 hertz, ce qui se joue à la seconde près. Quand la fréquence s'écroule, le réseau s'écroule, et c'est le « black-out », avec lequel on ne peut faire ni renouvelable ni non renouvelable. On peut battre des records d'exportation, comme cela a été le cas de la France le 22 février 2019, avec 17 415 mégawatts (MW), soit 23 % de la production, et avoir de temps en temps – quatre jours cette année, une quinzaine de jours l'année dernière – des moments de fragilité liés à des éléments de météo, qui ne fait pas non plus de politique. Un degré en moins, c'est un besoin de 2 400 MW supplémentaires. Je rappelle que nous sommes les plus thermosensibles d'Europe, avec beaucoup de chauffage électrique, et nous portons à nous seuls 50 % de cette thermosensibilité.

Le réglage de la tension est un autre sujet. Si la tension n'est pas maintenue, le réseau s'écroule. La question se pose plutôt par plaques régionales. Alors que l'équilibre entre demandes est au rendez-vous, on est obligé de recourir à des outils pour mettre la tension au niveau. Philippe Monloubou recourt de plus en plus au réseau de transport. Comme il y a de plus en plus de production locale, qu'il n'est pas chargé de l'équilibre entre demandes mais que cela relève de notre compétence, les équipes de Philippe Monloubou, quand elles en ont trop, en envoient chez le voisin. En décembre 2016 et décembre 2017, les deux mêmes mois, c'était plus 180 %, ce qui n'est pas rien. En moyenne, c'est plus 50 %. C'est bon signe, cela signifie qu'il y a de plus en plus de production décentralisée, mais cela nous oblige à changer nos modes de gestion, de langage, d'équilibre, donc d'exercer un nouveau métier, avec des milliers d'acteurs en plus.

Les énergies renouvelables sont très sensibles à la météo. Quand il n'y a pas de vent, c'est difficile pour l'éolien et quand il n'y a pas de soleil, c'est difficile pour le photovoltaïque. Cela se prévoit de plus en plus facilement mais c'est une prévision qu'on subit. Il y a tout de même lieu de se réjouir d'avoir battu, il y a peu, le record de production éolienne, avec l'équivalent de 82 % de la puissance installée. Là aussi, il y a un « faux ami » : ce n'est pas parce qu'on installe tant de GW en éolien que l'on obtient autant de GW en production. C'est beaucoup moins le cas pour le nucléaire, qui reste tout de même le principal élément du parc de production français, mais au cours du mois de décembre 2018, la production éolienne a varié entre 1 % et 82 % de la puissance installée. C'est un sport où il faut être assez flexible.

Concernant la contrainte des règles du marché, je ne reviendrai pas sur la multiplication des acteurs. Les règles de marché ne sont pas compatibles avec la physique. Ceux qui les conceptualisent considèrent que les blocs d'énergies vendus au pas horaire sont bâtis de la même façon et démarrent en même temps de la même façon. Or l'écroulement de fréquence auquel nous avons été confrontés le 10 janvier, à 21 h 02, était dû au fait qu'à l'heure ronde de 21 heures, un certain nombre de productions s'arrêtent et d'autres productions arrivent sur le marché. Le délai de prévision se raccourcit puisque les prévisions se font désormais plutôt en infrajournalier et non plus la veille, comme auparavant,. Le temps de démarrage d'une production éolienne n'a rien à voir avec celui d'une production thermique, nucléaire ou autre. On appelle cela du ramping. Cela ne fonctionne pas comme on veut et il y a du « retard à l'allumage ». Il est difficile de faire coïncider exactement la courbe de consommation avec la courbe de production. Il faut donc améliorer les règles du marché pour ne pas subir une nouvelle catastrophe, comme celle subie le 10 janvier.

J'ajouterai que 42 % du volume de l'électricité sont aujourd'hui échangés dans la journée sur les marchés, contre 2 % à 3 % auparavant. Cela signifie que les marchés fonctionnent, qu'il y a de plus en plus d'acteurs, mais aussi que la logistique doit suivre avec des moyens nouveaux. Heureusement que les régulateurs sont là !

De plus, il y a encore de l'idéologie. L'Europe nous dit que 15 % du volume de notre production potentielle devra être mis en interconnexions. Pour quoi faire ? Combien cela coûte-t-il ? Est-ce sérieux ? L'Europe nous dit : les interconnexions, c'est bien, mais nous en avons 50 avec les autres pays et 420 en Europe. Dès lors, 70 % des tuyaux doivent être laissés au marché, le reste pouvant être à la main des gestionnaires de réseau de transport. Ces 70 % sont-ils applicables sur l'année ou par seconde ? On peut se retrouver dans l'embarras en appliquant une règle débile pour la sûreté électrique du réseau.

Je vous alerte sur ces sujets, parce que les énergies renouvelables ont la chance d'avoir un réseau interconnecté. Comme il y a toujours du vent quelque part, elles trouvent une place pour s'exprimer sur les réseaux.

Nous travaillons sur la mutualisation, mais, pour moi, les contraintes sont politico-sociétales. Le droit au recours fait partie de la démocratie, comme le droit de manifester. Mais nous avons affaire à des opposants qui usent en permanence d'arguments dilatoires et pour qui il ne s'agit pas d'aménager un projet mais de l'empêcher. Depuis 2012, aucun projet de parc offshore n'a épuisé l'ensemble de ses recours. Des ouvrages indispensables à la sûreté électrique du pays sont arrêtés parce que les tribunaux prennent leur temps pour répondre. Il faut absolument que vous leur forciez la main en raccourcissant les délais. Il est inutile de fixer des objectifs à atteindre pour le climat ou pour la PPE si l'on est incapable de les mettre en oeuvre. Or, aujourd'hui, dans beaucoup d'endroits, on en est incapable.

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