Intervention de Julien Boucher

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Julien Boucher :

Mme Thourot a abordé plusieurs sujets.

Le premier était la capacité de projection « hors les murs » de l'OFPRA. Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, je suis très attaché à maintenir, à consolider, voire à développer cette capacité. Je pense que c'est un facteur d'adaptation à la réalité de la demande d'asile. En ce qui concerne la projection à l'étranger, il existe deux aspects. Le premier est la relocalisation au sein de l'Union européenne, pour laquelle je pense que l'OFPRA aura un rôle important à jouer quel que soit le mécanisme de solidarité qui sera retenu dans le cadre des négociations européennes. La réinstallation à partir de pays tiers est aussi un aspect de l'action de l'Office, dans le cadre de l'objectif de 10 000 personnes à réinstaller qui a été fixé par le Président de la République pour 2018 et 2019. Cet objectif a d'ores et déjà été rempli à hauteur des deux tiers et il conviendra de continuer à agir en la matière. C'est une modalité d'action très intéressante parce qu'elle permet d'apporter une protection à des personnes en situation de particulière vulnérabilité, qui sont identifiées comme telles par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies.

Mme Thourot a aussi abordé la question de la demande d'asile de ressortissants de la Géorgie et de l'Albanie. Comme d'autres intervenants l'ont dit également, ce sont des pays d'origine sûrs, ce qui implique de placer ces demandes en procédure accélérée. Celle-ci ne dispense pas l'Office de procéder à un examen individuel de chaque demande : c'est un principe fondamental du droit d'asile qu'il faut respecter. Un bon traitement de ces demandes implique sans doute un certain nombre d'actions, notamment en termes de polyvalence des officiers de protection : ils doivent être capables, indépendamment de leur spécialisation géographique, de traiter ces demandes lorsqu'il existe des afflux importants.

Je ne peux que m'associer, par ailleurs, aux propos de Mme Thourot à l'attention du personnel de l'OFPRA, dont j'ai souligné le grand engagement et le grand professionnalisme.

Vous avez évoqué, monsieur Di Filippo, la question de l'éventuel dévoiement de la procédure d'asile, que je mets en lien avec ce que vous avez indiqué à propos de la saturation des capacités d'accueil. J'ai mentionné la bienveillance qui doit présider à l'examen de la demande d'asile en vue d'identifier le besoin de protection. Cela ne doit pas être de la naïveté ou de la complaisance. Il faut appliquer intégralement, mais exclusivement, le droit d'asile au regard des critères légaux. J'y serai particulièrement attentif. L'un des meilleurs moyens d'éviter un dévoiement de la procédure d'asile consiste à réduire les délais d'examen, ce qui soulage notamment le dispositif d'accueil et permet que l'effort de la Nation en faveur de l'asile soit principalement consacré à des personnes en réel besoin de protection. C'est pourquoi j'ai indiqué que l'action concernant les délais, y compris dans un contexte de grand dynamisme de la demande d'asile, sera importante pour moi.

Vous avez également abordé la question des tests osseux visant à déterminer l'âge de certains migrants. Le Conseil constitutionnel a récemment eu l'occasion de dire le droit sur ce sujet, dans une décision du mois de mars dernier : il a reconnu la conformité à la Constitution des dispositions du code civil qui permettent le recours à ces examens radiologiques osseux pour déterminer l'âge d'une personne. Le Conseil constitutionnel l'a fait en rappelant un ensemble de garanties qui doivent être apportées à l'intéressé, comme le prévoit la loi, notamment l'intervention de l'autorité judiciaire et la prise en compte de la marge d'erreur qui est inhérente à cette technique et reconnue par tous. Le Conseil constitutionnel a invité les autorités administratives et judiciaires compétentes à donner « leur plein effet » à l'ensemble de ces garanties. C'est dans ce cadre que le recours à cette technique doit avoir lieu.

Vous avez évoqué aussi les demandes multiples. C'est un dysfonctionnement qui renvoie aux difficultés du système « Dublin », lequel repose en principe sur l'unicité de l'État responsable de la demande d'asile, y compris en cas de demande de réexamen. J'ai indiqué dans mes réponses au questionnaire quelles étaient les orientations du Gouvernement dans le cadre de la renégociation du règlement « Dublin III » pour parer à ces dysfonctionnements. Il ne m'appartient pas de me substituer à lui pour déterminer les modalités qui pourraient s'appliquer. Une procédure spécifique est prévue pour traiter les réexamens dans un même État. Dans les États différents, cela renvoie aux dysfonctionnements du système « Dublin ».

Madame Vichnievsky, vous avez abordé le sujet des interprètes. Je n'ai pas connaissance de la situation particulière à laquelle vous avez fait allusion mais je me renseignerai. L'interprétariat est un élément essentiel du bon fonctionnement de l'Office. Les interprètes sont recrutés dans le cadre de marchés publics renouvelés régulièrement et il me semble très important de veiller à ce qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêts dans la situation de ces interprètes et que des garanties d'impartialité soient assurées, car l'impartialité est un principe cardinal de l'action de l'Office. J'y veillerai.

Madame Karamanli, vous m'avez interrogé sur les conditions dans lesquelles les critères d'examen des demandes d'asile pourraient être harmonisés au sein de l'Union européenne. Je pense que plusieurs facteurs peuvent y contribuer dans l'état actuel du dispositif. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est déjà saisie relativement souvent sur des questions d'application du régime d'asile européen commun et dit le droit pour l'ensemble des pays de l'Union européenne en la matière. Le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA) doit également jouer un rôle important ainsi que, demain, l'agence de l'Union européenne pour l'asile qui aura pour mission d'oeuvrer à ce rapprochement des pratiques décisionnelles, notamment par l'établissement de référentiels communs. Le dialogue bilatéral entre les autorités de détermination, donc, en France, entre l'OFPRA et ses homologues dans les principaux pays de demande d'asile, peut aussi être un élément utile à cet égard.

Vous avez en outre évoqué la question de la réinstallation. J'ai dit qu'il me semblait que c'était une dimension importante de l'action de l'Office. Elle a d'ailleurs été consacrée par la loi de 2018, qui a expressément prévu la possibilité pour les autorités chargées de l'asile de conduire cette mission de réinstallation, ce qui montre l'importance que lui accorde le législateur. Je veillerai à ce que l'action en la matière se poursuive.

S'agissant des listes de pays d'origine sûrs, il me semble en toute hypothèse important que la possibilité d'avoir des listes nationales soit préservée, parce que cette liste doit correspondre au plus près à la réalité de la demande d'asile dans chaque pays. La composition par pays d'origine de la demande d'asile est différente selon les États européens. Il est donc pertinent que chacun puisse avoir ses propres listes. Je rappelle qu'actuellement c'est le conseil d'administration de l'OFPRA qui la fixe.

Madame Fajgeles, vous m'avez interrogé sur les outils de la loi de 2018 pour réduire les délais. Un certain nombre de dispositions vont dans ce sens. Elles concernent l'ensemble de la chaîne de traitement de la demande d'asile et n'intéressent donc pas toutes directement l'OFPRA puisqu'elles s'adressent aussi à ce qui se passe avant et après. Pour ce qui concerne l'Office spécifiquement, vous avez mentionné les deux dispositions dont on peut attendre un effet à court terme : celle sur le choix opposable de la langue dès l'enregistrement en guichet unique, destinée à éviter les changements de langue demandés en cours de procédure, qui peuvent obliger à renvoyer la date de l'entretien pour mobiliser un autre interprète, et l'ouverture des modalités de notification des décisions, également importante car une partie du délai global du traitement de l'asile se situe entre le moment où l'Office prend sa décision et celui où cette décision est notifiée. Ce qu'il faut, c'est que les modalités permettent, comme l'impose d'ailleurs la loi, de dûment informer, de manière confidentielle, le demandeur.

Monsieur Schellenberger, le numérique peut intervenir de différentes manières dans le processus d'examen des demandes d'asile. Il y a tout d'abord tout ce qui concerne la numérisation du dossier, assez largement accompli par l'Office et que, le cas échéant, il faudra poursuivre car cela facilite le travail. Dans un certain nombre de cas, c'est aussi un outil plus efficace que la lettre recommandée pour notifier les décisions. D'une manière générale, cela peut fluidifier la chaîne de traitement de la demande d'asile et faire en sorte que l'information circule mieux entre les acteurs successifs de la demande.

Madame Pau-Langevin, vous m'avez interrogé sur l'établissement de la liste des pays d'origine sûrs au vu de l'appréciation de la situation dans les pays d'origine. Comme je l'ai rappelé, c'est le conseil d'administration de l'OFPRA qui prend cette décision, et ce au vu d'un certain nombre de critères assez précis fixés par la loi en application des textes européens. En ce qui concerne l'examen de la demande d'asile, comme vous avez évoqué l'idée d'une appréciation plus ou moins politique, mon point de vue sur le sujet est que ces considérations-là – diplomatiques ou relatives à la politique migratoire – ne doivent pas entrer en ligne de compte. Cela ne peut se faire que dans le seul respect des textes et j'y serai particulièrement attentif.

Vous avez soulevé aussi le problème des « dublinés », dont la demande n'a pas vocation à être examinée par la France. C'est un problème complexe et les situations difficiles que l'on constate sont l'une des manifestations des dysfonctionnements du dispositif actuel. À ce stade, la contribution de l'OFPRA à cet égard tient à mon avis encore dans la réduction des délais de traitement, qui permet un retour rapide sur la demande d'asile qui lui est adressée.

Madame Ménard, vous avez également évoqué la question de la réforme du régime de Dublin. J'ai rappelé dans mes réponses au questionnaire quelles sont les grandes orientations du Gouvernement dans le cadre de la renégociation du règlement « Dublin III ». Encore une fois, ce n'est pas mon rôle, et ça ne le sera pas en tant que directeur général de l'OFPRA, de me substituer au Gouvernement dans la recherche du bon équilibre, notamment de l'équilibre qui pourra être accepté par les États membres de l'Union européenne, très divisés sur cette question. En tout cas, si vous aviez souhaité être éclairée sur ce que j'entendais par la notion de responsabilité accrue des États, l'un des éléments actuellement en discussion porte sur le délai – pour l'heure, six ou dix-huit mois – au terme duquel cesse la responsabilité de l'État d'origine. C'est bien l'un des points de discussion qui figurent dans la proposition de la Commission.

Sur l'indépendance de l'OFPRA, madame Dupont, je pense avoir donné des éléments de réponse précis dans le questionnaire à ce sujet. L'indépendance est inscrite dans les textes, qui sont d'ailleurs venus consacrer une tradition bien établie en ce qui concerne la pratique de l'Office. J'en serai le garant. Mon passé juridictionnel peut, je pense, constituer une garantie que je me ferai une idée précise et exacte de ce que doit être cette indépendance.

Vous avez par exemple évoqué la question des taux de protection. Je l'ai indiqué dans mes réponses au questionnaire : l'indépendance de l'OFPRA exclut que des objectifs en matière de taux de protection lui soient fixés par le Gouvernement.

M. Ciotti, enfin, m'a posé plusieurs questions, notamment sur la demande en provenance des pays d'origine sûrs, dont l'Albanie et la Géorgie. J'ai déjà donné un certain nombre d'éléments de réponse sur ce point. La demande qui vient des pays d'origine sûrs est placée en procédure accélérée mais doit faire l'objet d'un examen individuel, ce qui est une garantie essentielle pour tout demandeur d'asile.

S'agissant de l'éventuelle externalisation de l'examen de la demande d'asile dans les pays tiers, j'ai rappelé dans ma réponse au questionnaire que les principes constitutionnels auxquels j'ai fait allusion dans mon propos introductif, notamment le préambule de la Constitution de 1946 tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, s'opposent à ce que certaines demandes ne soient pas examinées au motif notamment que le demandeur aurait pu demander l'asile dans un autre État membre. Les demandes d'asile présentées en France doivent être examinées et ne peuvent pas être rejetées comme irrecevables au motif qu'il y aurait eu une possibilité d'examen dans un autre État membre. C'est une chose très différente de la réinstallation, qui permet de toucher des populations en fort besoin de protection, en situation de vulnérabilité, et qu'il faut à mon sens développer, notamment parce qu'elle a pour vertu d'éviter à ces personnes les hasards des parcours migratoires et les dangers qui y sont associés.

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