Je vous remercie pour votre invitation à cette audition qui s'inscrit dans l'examen prochain, par votre Assemblée, du projet de LOM voté hier par les sénateurs. Avant d'entrer plus précisément dans le descriptif des enjeux de ce texte pour la RATP, je souhaite apporter quelques éléments de contexte, de façon à ce que nous puissions ensuite avoir un débat nourri.
Le groupe est aujourd'hui inscrit dans une dynamique de développement significative et positive. Nous sommes 63 000 salariés présents dans quatorze pays, quatre continents et sept régions françaises. Les résultats qui ont été arrêtés et présentés vendredi dernier démontrent cette dynamique. Ainsi, le chiffre d'affaires 2018 a crû de 3,2 %, pour atteindre 5,563 milliards d'euros. Il a été généré par l'ensemble de nos activités : le chiffre d'affaires de l'Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) a progressé de 2,3 %, celui des filiales de 6,7 % et parmi elles, celui de RATP Développement a crû de 9,1 % et de 14 % hors effets de périmètre liés aux cessions d'actifs et à la conversion de devises. Sur le périmètre historique, cette croissance a bien évidemment été tirée par les transports, notamment le tramway – +6,5 % –, le métro – +1,3 % – et le RER – +0,8 %. Il convient toutefois de noter que la croissance de l'activité du RER est contrastée, puisque celle du RER A s'est établie à +2,2 % tandis que celle du RER B a décru de 1,7 %. L'an dernier, en effet, le RER B a connu 36 jours de grève à l'occasion du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire et a été concerné par de nombreux travaux. Pour sa part, l'activité du bus a légèrement décru (-0,6 %). Dans l'ensemble, les recettes voyageurs ont crû, elles, de 2,6 %.
Concernant nos filiales, notamment RATP Développement, l'année 2018 a été portée par le gain et l'entrée en action de contrats comme celui de Lorient. À l'international, les résultats ont été tirés par l'Algérie – où nous sommes le deuxième employeur, avec 4 000 salariés. Nous y opérons le métro d'Alger et six tramways, dont ceux de Ouargla et de Sétif. Nous avons également renforcé notre activité à Londres, où nous avons gagné des lignes de bus. Nous y comptons actuellement 1 258 bus en opération. Nous avons également gagné des contrats de bus aux États-Unis. Dans cette phase de développement intensif, nous avons gagné en 2018 des contrats qui contribueront au chiffre d'affaires en 2019 et au-delà. C'est notamment le cas du gain du tramway et du métro de Doha avec Keolis, mais aussi du métro et des bus de Riyad et du Grand Paris Express. Cette croissance est donc loin d'être terminée.
Qui plus est, il ne s'agit pas uniquement d'une croissance en volume. J'insiste sur ce point : c'est une croissance rentable. J'en veux pour preuve que notre excédent brut d'exploitation (EBE) a crû l'an dernier de 6,3 %, atteignant 476 millions d'euros. J'ai souvent l'occasion de dire – et je le pense sincèrement – qu'une entreprise publique peut être performante. Ainsi, cette année, nous avons enregistré une marge de 8,6 % sur le chiffre d'affaires, soit une croissance de 40 points de base. Cela, grâce à une maîtrise très scrupuleuse de nos charges d'exploitation et à des gains de productivité qui nous ont notamment permis d'autofinancer notre programme de transformation. Conséquence de quoi, le résultat net récurrent a augmenté de 9 %, à 290 millions d'euros. Grâce à cette dynamique vertueuse, nous avons pu générer pour la première fois dans l'histoire de la RATP une capacité d'autofinancement supérieure au milliard d'euros qui, en vertu du contrat qui nous lie à Île-de-France Mobilités, notre autorité organisatrice (AO), a été totalement réinjectée en investissements au profit des transports en Île-de-France. Nous avons ainsi investi l'an dernier 1,579 milliard d'euros, soit 33 % du chiffre d'affaires de l'EPIC, dont un peu plus de la moitié, soit 820 millions d'euros, pour la modernisation, 620 millions d'euros pour prolonger les lignes de métro et de tramway et 140 millions d'euros pour moderniser les espaces et l'information aux voyageurs. Je rappelle que quatre lignes sont actuellement en extension, ce qui représente le plus grand chantier depuis les années 1930-1940. S'y ajoute l'investissement sur la ligne 14 Sud, sur laquelle nous effectuons un travail de maîtrise d'ouvrage déléguée pour le compte de la Société du Grand Paris (SGP).
À titre d'exemples, nous avons fini le pilotage automatique sur le tronçon central du RER A – ce qui a participé à l'amélioration de sa production, puisque nous avons été capables d'injecter 15 trains hebdomadaires supplémentaires. Sur le réseau du RER B, nous travaillons activement sur le nouveau matériel roulant à double capacité pour traiter les problèmes de densité. Nous adaptons les ateliers de maintenance et de remisage et nous sommes en train de travailler sur les terminus. S'agissant du métro, vous savez que nous automatisons la ligne 4 tout en continuant son exploitation. Nous avons déjà installé des façades de quai dans cinq stations. Nous avons lancé les premiers essais du nouveau train de la ligne MP14, qui est passé de six à huit voitures. Enfin, nous conduisons un très important chantier de conversion à l'électrique et au biogaz de nos dépôts de bus. Suite à l'éclaircissement du volet réglementaire dont nous avions besoin et qui est arrivé en août 2018, des chantiers sont en cours dans douze de nos vingt-cinq centres bus.
J'ajoute que cette croissance ne s'est pas faite au prix de la consolidation financière de l'entreprise. Cela signifie que nous avons été capables, tout en investissant massivement, de réduire notre dette de 45 millions d'euros. L'État nous avait fixé comme objectif un ratio d'endettement sur fonds propres de 1,1 à la fin de 2020. Nous l'avons atteint avec deux ans d'avance.
Les fondamentaux de l'entreprise sont donc sains. Toutefois, nous sommes confrontés à des défis très importants. Pour les relever, nous avons engagé depuis mon arrivée un plan de transformation articulé autour de quatre axes. Le premier est celui de l'excellence opérationnelle au service des clients. En effet, si la performance technique du réseau RATP, en particulier du métro, est bonne – treize lignes sur quatorze ayant atteint les objectifs fixés par Île-de-France Mobilités en 2018 – il convient d'améliorer la relation client. Cela nous prendra un peu plus de temps. Notre programme, ambitieux, prévoit l'amélioration de l'information aux voyageurs, le développement d'une « promesse client » et la création d'un outil de Net Promoter Score. Celui-ci nous permettra de nourrir un dialogue continu et d'apporter des améliorations dans la qualité de service aux clients.
Le deuxième axe est celui de la concurrence et du développement. Nous devons évidemment nous préparer activement à l'ouverture à la concurrence de notre périmètre de bus. Indépendamment des sujets législatifs et réglementaires, nous avons lancé plusieurs plans de performance sur diverses fonctions de l'entreprise : les achats, le gestionnaire d'infrastructures (GI), les bus, l'ingénierie et les fonctions support. Le plan lancé fin 2017 commence à monter en puissance – les fonctions support représentant cette année un quart des gains de productivité – et permet à l'entreprise de se préparer. Le but est de rapprocher l'entreprise des coûts standard de marché et de la rendre compétitive lorsqu'elle aura à affronter la concurrence. Nous structurons également le GI, en particulier celui du Grand Paris puisque nous aurons en charge la maintenance des infrastructures des lignes 15, 16, 17 et 18 le moment venu. Nous accélérons également notre développement à l'international, mais aussi sur le volet de la Smart City en concluant des partenariats – par exemple avec l'entreprise de construction durable Woodeum – et des prises de participation comme dans Zenpark, une entreprise de parkings intelligents.
Le troisième axe est celui de l'innovation et du digital. Nous avons lancé un grand plan de transformation digitale de l'entreprise, dont le déploiement a débuté en 2018 et s'accélérera cette année. Nous avons également mis en place un plan pour les véhicules autonomes. La RATP a dépassé le 100 000e passager véhiculé sur véhicule autonome – et ce n'est pas fini. Ce programme de transformation digitale s'articule de façon très précise avec les axes stratégiques du groupe. Nous avons ainsi créé un réseau de « labs » et d'innovation au sein de l'entreprise, qui nous permet de recueillir des idées et de les pousser en projets. Nous avons également engagé deux programmes spécifiques, sur l'intelligence artificielle – car nous sommes convaincus qu'elle pourra, à terme, améliorer nos performances – et sur le Building Information Modeling (BIM) – technique de construction de bâtiments qui peut nous faire gagner du temps, d'autant que nous avons une grande capacité à conduire des projets de valorisation immobilière verticale combinant des usages industriels et de service public et des logements.
Le quatrième et dernier axe est le plus fondamental. C'est celui de la politique des ressources humaines (RH) et du dialogue social. Les transformations que je viens d'évoquer doivent en effet reposer sur un dialogue social nourri, avec le relais du management. En ce qui concerne le dialogue social, l'année 2018 a été marquée par la signature d'accords très importants. La RATP est ainsi l'une des rares entreprises françaises à avoir mis complètement en place le dispositif des ordonnances prises en application de la loi « Macron » : nous avons renégocié avec les organisations syndicales la découpe des comités sociaux et économiques (CSE) en vue de préparer l'entreprise à son ouverture à la concurrence ; nous avons travaillé sur le volet des moyens syndicaux ; nous avons conclu il y a moins d'un mois un accord sur la négociation annuelle obligatoire (NAO), un accord sur le télétravail et un accord sur l'égalité hommes-femmes. En parallèle, nous avons lancé une démarche d'excellence managériale et structuré un programme dit d'« intraprenariat », dans le cadre duquel les jeunes hauts potentiels du groupe peuvent dédier 20 % de leur temps pour réfléchir à des pistes de croissance future. Enfin, nous avons engagé un plan complet de conduite du changement. 4 300 cadres ont ainsi participé à des « journées de la transformation ».
Dans ce contexte de dynamique très forte de transformation, la perspective de la LOM revêt pour nous une importance majeure, pour ne pas dire vitale. Nous sommes concernés au premier chef par plusieurs dispositions. L'article 38, tout d'abord, introduit deux mesures primordiales. D'une part, il nous offre la possibilité de constituer des filiales pour répondre aux appels d'offres, ce qui est indispensable. D'autre part, il permet d'élargir le principe de spécialité de l'EPIC. Grâce à cet article, nous pouvons nous doter de nouveaux vecteurs de développement.
Ensuite, l'article 39 définit le cadre social dans lequel s'inscrira l'ouverture à la concurrence. Celle de l'activité bus concernera 19 000 salariés sur les 44 000 de l'EPIC et devra intervenir au plus tard le 31 décembre 2024. Mais le volume du marché est tel – 1,7 milliard d'euros, 25 dépôts, 4 700 bus, 350 lignes – qu'elle interviendra progressivement et nécessairement avant la date butoir. C'est la raison pour laquelle le plan de transformation que nous avons lancé est vaste et profond. Le temps nous est compté. En l'occurrence, le cadre social prévu dans le projet de LOM permettra de définir – pour les collaborateurs de la RATP comme pour l'AO – les conditions dans lesquelles nous serons amenés à basculer demain dans un monde concurrentiel. Pour nous, cet article 39 répond à trois enjeux essentiels. Le premier consiste à garantir la sécurité de l'exploitation et la continuité de service. Les permis D sont une ressource rare et leur acquisition se prépare plusieurs mois à l'avance. Or dans la mesure où nous basculerons vers le nouveau réseau de bus dans la nuit du 19 au 20 avril, nous avons dû – et c'est une très bonne chose – accueillir 700 nouveaux chauffeurs de bus. En effet, le système de transports décidé par notre AO comptera alors 110 bus supplémentaires. Le deuxième enjeu est celui de la bascule vers l'ouverture à la concurrence dans des conditions économiques attractives. Quant au dernier enjeu, il concerne l'obtention de l'adhésion des personnels, ce qui impose de donner de la visibilité. C'est pourquoi l'article 39 prévoit le transfert automatique du personnel, assorti de la portabilité d'un certain nombre de droits, et la construction d'un cadre social et territorial (CST) applicable à la durée et l'organisation du travail des seuls conducteurs de bus de la RATP – en raison des conditions d'exploitation spécifiques à Paris et sa petite couronne.
En séance au Sénat, la ministre des transports a déposé des amendements gouvernementaux qui visent à détailler la portabilité des droits et préciser les conditions de mise en oeuvre du CST. Ils ont été largement adoptés. À mon sens, cela montre que ces dispositions sont non seulement pertinentes mais totalement indispensables, et qu'elles ont été comprises par la majorité des parties prenantes – AO, Union des transports publics et ferroviaires (UTP), organisations syndicales. À cet égard, je considère que le texte issu du Sénat est globalement satisfaisant.
S'agissant de la sûreté, l'article 33 est très important. Aujourd'hui, nous assurons la sûreté sur le réseau RATP grâce au Groupement de protection et de sûreté des réseaux (GPSR). Le professionnalisme de cette unité est reconnu par tous les interlocuteurs, notamment la préfecture de police. Le rapport d'information de vos collègues M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot sur le continuum de sécurité vers une sécurité globale l'a également relevé. Actuellement, l'activité du GPSR est limitée au territoire de l'EPIC RATP. Si l'on ne prévoit pas de dispositif, la question de la protection du Grand Paris Express se posera. En outre, dans la mesure où il est essentiel de préserver la continuité des réseaux souterrains, il était nécessaire de légiférer sur le sujet. En l'occurrence, le projet de LOM propose de maintenir les prérogatives du GPSR sur l'EPIC, d'étendre son périmètre au Grand Paris Express et d'intervenir, le moment venu, sur le réseau de surface uniquement à la demande de l'AO. Pour moi, il est essentiel d'éviter la fragmentation des forces de sûreté en Île-de-France. Ce serait générateur d'inefficacité. En outre, je rappelle que le GPSR a des compétences particulières. Nous investissons très significativement dans les hommes et les femmes de ce groupe, avec 15 semaines de formation initiale et 3 semaines de formation continue par an. Le niveau d'engagement et de professionnalisme de cette équipe est excellent.
Les débats au Sénat ont également permis – vous le souligniez, Madame la présidente – d'introduire la possibilité pour l'ARAFER d'émettre un avis conforme sur la tarification. Cela nous paraît juste. En définitive, je pense que l'article 33 tel qu'il est sorti du Sénat permet de préserver les grands équilibres.
Enfin, il me semble très important de parler des articles 9 et 11 qui concernent l'ouverture des données et les services numériques multimodaux. Dans ce domaine, nous avons plusieurs priorités. La première est la réciprocité dans le partage des données entre les acteurs publics et privés, régulés et non régulés. Il nous paraît normal, si nous voulons construire un Mobility as a service (MAS), que l'ensemble des acteurs soient concernés par cette question. Une autre priorité vise à assurer un retour minimal sur investissement réalisé dans la structuration des données pour l'open data. Je rappelle, à cet égard, que nous sommes le deuxième opérateur d'open data en France. Aujourd'hui, 150 millions de requêtes sont effectuées tous les mois dans les systèmes de la RATP. Nous l'avons permis en investissant pour structurer les données et la capacité des autres acteurs à les utiliser. Depuis 2018, nous faisons du temps réel en permettant de traiter 200 requêtes-seconde. À Londres, les requêtes dans le système de TFL se font toutes les 30 secondes. Dès lors que nous avons armé un système d'accès à nos données qui nous a coûté 1 million d'euros, nous trouvons normal de percevoir une redevance au-delà d'un certain niveau de requêtes. Mais ce n'est pas le cas, puisque les différents acteurs ont trouvé les moyens de contourner ce paiement de redevance. Nous n'avons ainsi pas encore reçu le moindre euro de la part d'acteurs qui effectuent 1,8 milliard de requêtes par an dans nos systèmes. Enfin, concernant le MAS, nous entendons évidemment conserver la relation directe avec nos clients. Sinon, la désintermédiation observée dans d'autres secteurs, notamment hôtelier, nous concernera nous aussi. Aussi travaillons-nous sur le « phygital », c'est-à-dire la relation entre le traitement physique des transports et des infrastructures et le digital. Depuis 2018, nos clients ont la possibilité de nous signaler un problème de propreté sur le réseau. Sans ce contact client demain, nous ne saurons plus répondre à ces situations. Il en sera de même pour les objets trouvés et le service clients. Il est très important que, quel que soit le point d'arrivée, nous puissions conserver la relation directe avec nos clients.
Opérer un réseau multimodal et intermodal ne relève pas du seul numérique : c'est aussi une réalité opérationnelle.
Je propose de m'arrêter là, mais si vous le souhaitez, je peux encore dire un mot du vélo.