Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) :

Merci de nous accueillir. Vous l'avez dit, la délibération de la CRE fait l'actualité. Je formulerai ainsi les choses : moi, je ne donne pas le prix du kilo de bananes ! Je m'en tiens à mon secteur et je n'empiète pas sur le terrain du voisin ; l'avis de l'Autorité de la concurrence, que je respecte en tant qu'autorité indépendante, n'avait pas été demandé, il est ultra petita. C'est tout ce que j'ai à dire sur cette affaire, que j'ai mal vécue. Pour moi, l'incident est clos.

Je souhaite débuter mon propos en mettant en lumière les caractéristiques du système énergétique, dans l'optique de la transition énergétique. Il est convenu que celle-ci passe par le développement des énergies renouvelables. Mais à mon sens, elle devrait passer par la baisse de la consommation, car elle seule permettrait d'éviter les « violences environnementales ».

Il ne faut pas s'y tromper : grâce au mix énergétique décarboné, composé principalement de nucléaire et d'hydroélectrique, nous bénéficions déjà de faibles émissions de CO2 et d'un prix de l'électricité maîtrisé. Vous le savez, nous émettons six fois moins de CO2 que nos voisins allemands et le prix de l'électricité pour un consommateur résidentiel moyen est de l'ordre de 180 euros par mégawattheure (MWh), contre 300 euros en Allemagne.

Le développement des énergies renouvelables (EnR) électriques ne sert donc pas à réduire les émissions de CO2. Il faut le rappeler, car on dit beaucoup de mensonges à ce sujet, et encore récemment à la télévision. Cela n'a aucun sens et procède d'une forme de populisme idéologique. Pourtant, le développement des EnR est indispensable pour répondre à l'enjeu de la diversification. À moyen et long termes, la compétitivité relative des filières est totalement incertaine. Les EnR, le photovoltaïque et l'éolien en tête, ont réalisé d'importants gains de performance ces dix dernières années et se développent partout dans le monde, au point que ce qui pouvait passer pour une chimère devient une option crédible pour le mix énergétique. Je suis convaincu que le prix à la production des énergies se situera demain dans une bande comprise entre 60 euros et 80 euros le MWh.

Dans le même temps, l'industrie nucléaire soulève la question, aujourd'hui non résolue, de la gestion des déchets et fait l'objet d'exigences environnementales croissantes de la part de la population et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Nous ne pouvons pas continuer à dépendre à 75 % d'une seule et même filière de production, alors que les coûts se rapprochent et que l'énergie nucléaire devrait voir ses coûts de production augmenter.

Il est donc logique de réduire progressivement la part du nucléaire pour lui substituer des EnR – qui ne produisent pas de déchets. C'est la raison pour laquelle, je suis, à titre personnel, favorable à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui enclenche cette réduction de manière résolue et raisonnable. L'avenir ne peut pas être de produire en permanence des déchets nucléaires que nous ne savons pas traiter !

Le développement des EnR soulève des questions de coûts, de délais, de techniques, mais nous devons le faire, évidemment au meilleur coût pour la collectivité, sans sacrifier les atouts du système électrique que sont le coût à la production, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Ce dont la CRE est comptable, me semble-t-il, c'est la garantie pour le consommateur, industriel ou domestique, du prix, de la qualité et de la sécurité.

Le développement des énergies renouvelables repose aujourd'hui encore sur le soutien des pouvoirs publics. Des erreurs de politique se sont révélées coûteuses, j'y ai moi-même participé en tant que directeur de cabinet d'un ministre. Cela a donné lieu à la bulle photovoltaïque, en 2010 notamment. Le prix du MWh était de 600 euros ; il est aujourd'hui de 48 euros. La définition d'un cadre adapté et efficace assure un meilleur usage des ressources publiques et je regrette qu'à l'époque, la CRE n'ait pas joué un rôle de garde-fou.

La CRE évalue le montant prévisionnel des charges imputables aux missions de service public, intégralement compensées par l'État, dans les conditions prévues à l'article L. 121-9 du code de l'énergie ; elle détermine le montant des reversements effectués au profit des opérateurs qui les mettent en oeuvre. C'est à ce titre que la CRE participe, aux côtés de votre collègue Richard Lioger, au comité de gestion des charges publiques.

Jusqu'en 2015, c'est la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui permettait de compenser les charges du service public de l'électricité. Elle a fait l'objet d'une refonte et est devenue un instrument fiscal banal, un impôt comme un autre, dont le législateur fixe le montant sur proposition du ministre de l'économie et des finances – 22,5 euros par MWh. On confond souvent l'ancienne CSPE et la nouvelle CSPE.

Aux termes de la loi de finances rectificative de 2015, les charges de service public de l'énergie imputables au développement des énergies renouvelables sont désormais financées par le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (CAs TE), qui n'est plus alimenté par la CSPE, mais par des taxes pesant sur les produits énergétiques les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la taxe intérieure sur le charbon.

La CRE est aussi chargée de mettre en oeuvre la politique de soutien à la production d'électricité. À ce titre, elle émet un avis sur les arrêtés fixant les tarifs, plus élevés, de l'énergie produite par les petites installations valorisant des déchets ménagers ou des énergies renouvelables.

Enfin, si les capacités de production ne répondent pas à la programmation, le ministre recourt à des appels d'offres. La CRE, pour des raisons qui m'échappent, n'est plus chargée de ces appels d'offres ; elle n'émet qu'un avis sur le modèle du cahier des charges, puis instruit les réponses. Ainsi, la CRE rendra son avis au début du mois de mai sur les installations éoliennes en mer au large de Dunkerque.

La CRE considère que les appels d'offres sont les vecteurs les plus efficaces pour le soutien public aux filières matures : ils permettent d'adapter le soutien public aux besoins de chaque projet et offrent aux pouvoirs publics le moyen de contrôler le rythme de développement.

Aujourd'hui, le soutien public est basé sur le système dit « marché + primes » : sur un prix de 100 euros garanti, si le marché est à 60 euros, la prime est à 40 euros ; si le marché est à 50 euros, la prime est à 50 euros. Mais si le marché est à 110 euros, alors le titulaire de l'appel d'offres doit rembourser les 10 euros. Le collège de la CRE estime que c'est le meilleur système, après appel d'offres, car il est vertueux.

Cela dit, les appels d'offres ne sont pas la panacée, car ils ne peuvent fonctionner sans concurrence. Or les appels d'offres sont programmés pour les cinq ans à venir, en indiquant tous les six mois le volume, ce qui empêche la concurrence de jouer. Je suis donc opposé à l'idée que les calendriers et les quantités soient fixés une fois pour toutes.

La part du photovoltaïque dans la consommation est de 2 %. C'est peu, et vous avez raison, monsieur le président, de mettre en regard le coût et le développement de cette EnR. Mais la croissance est rapide : au 30 septembre 2018, nous avions 8,4 gigawatts-crête installés, contre 6,8 fin 2016. La CRE estime que la filière est compétitive. Elle a recommandé que des projets de grande taille soient développés pour faire baisser les prix. Le Gouvernement va lancer des appels d'offres portant sur des installations de plus de 30 mégawatts (MW), ce qui semblait autrefois indépassable.

Il est vrai qu'il faut prendre garde à ne pas exploiter les terres agricoles. Mais il existe suffisamment de bases militaires et de terrains industriels qui offrent de grandes surfaces. Sur 100 hectares, le prix de production ne sera pas le même que sur un toit de 12 mètres carrés. Cela paraît une évidence, mais on a mis du temps à le comprendre. Le prix du MWh, sur les installations les plus vertueuses est de 48 euros, soit en dessous du nucléaire, tous coûts confondus ! La filière française est compétitive, puisque les coûts de production en Allemagne se situent entre 40 et 70 euros le MWh.

Nous devons nous interroger sur le pourquoi du comment des petites installations photovoltaïques. Leur objet n'est pas de fournir beaucoup d'électricité pour pas cher ; ce n'est pas pour autant qu'il ne fallait pas les soutenir.

Pour ce qui est de l'éolien terrestre, le dernier appel d'offres a fait émerger des projets à 65 euros le MWh, toujours dans cette bande comprise entre 60 et 80 euros le MWh. Le véritable enjeu de l'éolien terrestre, c'est le repowering – la reconception du parc – et le revamping – le remplacement des machines.

En 2021-2022, nous parviendrons au terme de la contractualisation pour les premières éoliennes. En lieu et place des mats de 1,5 MW, on peut installer des mats de 3, voire de 6 MW. Il sera donc possible de produire, sur la même surface, deux à trois fois plus d'électricité. Je plaide pour que les appels d'offres de repowering soient différents des appels d'offres portant sur des installations nouvelles.

Je prône aussi un retour au marché, au-delà de la période de quinze ou vingt ans prévue par le système. Il n'y a pas de raison de continuer à soutenir les éoliennes une fois qu'elles sont amorties. Il faut composer avec le lobby anti-éolien, assez fort en France, où l'on est souvent contre tout, mais il faut aussi mettre un terme à l'obligation d'achat. Enfin, il faut que nous parvenions à sortir de la situation inédite de blocage dans laquelle se trouve l'éolien terrestre, en l'absence d'autorité environnementale.

Sur l'éolien en mer, les appels d'offres ont été lancés en 2011 et 2013. La décision avait été prise par le Premier ministre avant 2010 – j'étais alors directeur de cabinet du ministre de l'environnement. Nous sommes en 2019 : si cela continue ainsi, nous aurons un musée des projets…

Oui, l'éolien en mer a un coût. M. Gérard Rameix, chargé de piloter les discussions, a bien travaillé et la CRE a été sollicitée. Nous avons obtenu une baisse de l'enveloppe de 25 % : d'une part, les coûts de raccordement, qui devaient être pris en charge par le titulaire du marché, seront désormais financés via le TURPE ; d'autre part, nous avons obtenu une diminution des prix. Cette baisse de 25 % n'est pas négligeable : le coût du MWh atteindra 150 euros, ce qui était prévu initialement. Disons la vérité, cela est dû au retard qui nous est imputable collectivement, aux atermoiements, à l'extrême complexité des procédures. Mais sur les installations au large de Dunkerque, nous avons tiré les conséquences et le coût du kilowatt sera raisonnable, ce qui en surprendra plus d'un.

Les power purchase agreement (PPA) – contrats d'achat à long terme entre un producteur et un utilisateur – demeurent encore embryonnaires en France. Ils doivent être développés.

Je veux évoquer avec vous le stockage. Ce n'est pas seulement un moyen de pallier l'intermittence, qui est le propre des énergies renouvelables. Son intérêt est surtout de permettre la flexibilité, absolument indispensable à notre réseau. Dans le système électrique français tel qu'il est, avec notamment beaucoup de chauffage électrique, et un excellent opérateur de transport, Réseau de transport d'électricité (RTE), que je salue au passage – la flexibilité suppose des interconnexions avec l'étranger, de l'interruptibilité, des capacités d'effacement et de stockage. La CRE rappelle cette double utilité du stockage et préconise des investissements dans ce domaine. Nous avons lancé un appel à réflexion en ce sens.

Un dernier mot sur les zones insulaires non interconnectées (ZNI), où le risque est celui de la surcapacité de production. La CRE s'investit dans les PPE et refuse de compenser les charges de service public si elles ne sont pas inscrites dans les programmations. Nous discutons fermement avec les autorités territoriales compétentes pour éviter que les PPE ne prévoient des absurdités écologiques – importer de Marseille de l'huile de palme en Guadeloupe, ou encore du bois en Guyane –, qui bien souvent conduisent à produire une électricité inutile.

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