Intervention de Yvon-Yvan Barabinot

Réunion du mardi 26 mars 2019 à 17h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Yvon-Yvan Barabinot, professeur de lycée professionnel en établissement régional d'enseignement adapté (EREA) :

Mesdames, messieurs les députés, mon intervention portera sur la vision que nous avons du fonctionnement actuel de l'école inclusive.

Nous vous remercions de recevoir la Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture (FERC-CGT), la CGT-Éduc'action et son collectif que nous représentons aujourd'hui dans le cadre de cette commission d'enquête. Nous saluons votre volonté d'évaluer l'application de la loi de 2005, parce que cela nous apparaît urgent.

Au-delà du principe affirmé par cette loi d'un droit à la scolarisation pour tout enfant et jeune en situation de handicap, nous constatons quotidiennement que les conditions réelles de l'école inclusive sont loin d'être facilitées et qu'elles entraînent des dysfonctionnements, mais aussi démoralisation et souffrance pour de nombreux élèves, pour leurs familles et les personnels.

La CGT considère qu'on ne peut pas penser l'école inclusive séparément de la situation globale de l'école qui subit aujourd'hui les politiques d'austérité, de suppression de postes, de non-créations à la hauteur des besoins, la casse de la formation et la précarité. D'ailleurs, nous nous inscrivons dans l'appel intersyndical à une journée d'action, le 30 mars prochain, contre la politique de ce ministère et pour un budget à la hauteur des besoins du service public d'éducation.

Les nombreuses mobilisations locales, tant des parents que des personnels, et en particulier sur la question des AESH – dernièrement encore, le 6 février – ont montré que la situation actuelle et les réponses du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des besoins et des enjeux, bien au contraire.

Compte tenu de l'actualité, nous centrerons en partie notre propos sur la question des AESH. Néanmoins, avant d'aborder cette question, je vous propose de faire un panorama nécessairement rapide, tant les questions soulevées sur l'état de l'école inclusive sont nombreuses.

Plutôt que de faire un inventaire, nous vous proposons de partir de ce qui se vit dans un établissement, non pour parler plus particulièrement de ce qu'il s'y passe, mais parce que cela permet d'ancrer le propos.

Nous avons pris le cas d'un EREA parisien, mais cela pourrait être la même chose ailleurs. On peut d'abord parler de ces collègues AESH qui effectuent un travail remarquable d'accompagnement des élèves en situation de handicap, pour leur permettre de se concentrer sur les apprentissages. Toutefois, elles le font sans formation, si ce n'est leur auto-formation, avec les difficultés liées à leur statut précaire. Ces collègues n'ont pas non plus de temps reconnu pour se concerter, échanger avec les enseignants dont je suis, ou avec le reste de l'équipe. Mme Elouard y reviendra.

Il faut aussi évoquer le cas de tous ces élèves qui, pour des raisons diverses, restent sans aucun accompagnement, soit parce que l'évaluation des troubles est arrivée tardivement – je parle ici d'un EREA du second degré, c'est-à-dire après le collège –, soit parce qu'ils ont refusé cet accompagnement, soit enfin parce qu'ils n'ont jamais pu faire les démarches d'évaluation auprès d'une MDPH. Cela renvoie, de notre point de vue, à l'insuffisance des moyens de prévention, d'évaluation et d'accompagnement des familles dans ces démarches, mais aussi à la longueur du traitement des dossiers et au manque de moyens des MDPH et de l'éducation nationale dans ce domaine. Quand on sait, par exemple, qu'un enseignant référent doit suivre des centaines de dossiers – plus de 300 en Seine-Saint-Denis –, comment faire ? On peut faire le même constat pour les psychologues de l'éducation nationale qui sont environ un pour 1 500 élèves.

La CGT est favorable à la limitation à 100 au maximum du nombre de dossiers suivis par un enseignant référent, et à la présence d'une ou d'un psychologue scolaire – c'est un métier très féminin – à plein-temps dans les établissements qui accueillent des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS). À ce propos, nous estimons que la casse des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) a été plus que préjudiciable. Le rétablissement de RASED complets doit permettre au plus tôt un meilleur traitement des élèves en difficulté scolaire qui sont malheureusement parfois renvoyés dans le champ du handicap.

On pourrait aussi parler de ces élèves qui ont dû attendre des semaines pour avoir l'accompagnante prescrite, faute de recrutement, et qui n'ont pu être correctement scolarisés dans l'intervalle.

Il faudrait aussi évoquer, même si l'on s'éloigne un peu de ce qui vous occupe aujourd'hui – mais pas tant que cela – les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et les mineurs étrangers isolés, qui sont dans cet établissement en CAP. La plupart d'entre eux ne relèvent pas du handicap, mais ce sont bien des élèves à besoins éducatifs particuliers. Pour eux aussi, l'insuffisance des moyens de l'école inclusive est cruelle, avec notamment une période de scolarisation trop courte pour apprendre la langue. Ceux d'entre eux qui pourraient relever du handicap sont rarement évalués, suivis, ont peu de prise en charge. On parle ici d'élèves qui connaissent de nombreux problèmes d'hébergement, administratifs, de pauvreté. En la matière, la présence insuffisante de l'assistante sociale est un obstacle. Le même problème se pose évidemment dans les écoles, les collèges et les lycées, notamment des quartiers populaires et de l'éducation prioritaire. Nous sommes favorables à ce qu'une assistante sociale soit présente dans chaque établissement et à la création d'un véritable service social dans les écoles.

Dans cet établissement, la semaine dernière, à l'occasion d'un oral blanc, un élève suivi à l'extérieur pour des traitements était manifestement très « assommé » par ses médicaments. Que fait-on quand l'infirmière, déjà présente uniquement à mi-temps dans l'établissement, n'est pas remplacée depuis des semaines ? Que fait-on quand le médecin scolaire n'est là qu'épisodiquement compte tenu du nombre d'élèves qu'il doit suivre ? Cela renvoie, là aussi, au manque criant de médecins scolaires, à l'absence d'un service social et de santé dans les écoles et à son insuffisance dans le second degré.

Nous devons revenir sur ce que vivent les personnels intervenant en ULIS – ici, il s'agit d'un dispositif pré-professionnalisant – qui se sentent souvent démunis, en échec et estiment que certains de leurs élèves relèvent d'autres structures. Rappelons que les structures spécialisées offrent un nombre de places insuffisant et inégalement réparti entre les territoires. C'est aussi la conséquence de politiques des agences régionales de santé (ARS) qui, en accord avec les régions, suppriment des établissements spécialisés ou demandent des réorientations du projet de la structure. Nous sommes pour le maintien de ces structures.

Il existe dans cet EREA un temps institutionnel de synthèse, même si certaines de ses modalités peuvent interroger. Mais comment fait-on dans la plupart des autres établissements pour se concerter ? Toutes nos remontées, quels que soient les établissements, insistent sur le manque de temps de concertation pour les équipes entre les différents intervenants, quand des services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) interviennent, quand il y a des unités d'enseignement (UE), etc. Nous sommes pour la création dans le service des enseignants, mais aussi des accompagnants, d'un temps de concertation. Cela participerait également de la transformation de l'école que nous appelons de nos voeux.

Rappelons que le rôle des EREA, comme celui des sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), est le traitement des difficultés scolaires d'apprentissage. Le rôle de ces structures n'est évidemment pas de traiter du handicap. Pourtant, vous l'avez entendu dans le descriptif que je faisais, nous constatons une dérive avec l'utilisation de ces structures pour accueillir tout type d'élèves à besoins éducatifs particuliers : élèves en situation de handicap, élèves d'ULIS, élèves issus des SEGPA mais aussi des UPE2A. Cette dérive, nous le constatons de plus en plus, s'étend progressivement à une partie de l'enseignement professionnel.

Il faut parler également de la situation des enseignants coordonnateurs d'ULIS. Ils sont en partie accaparés par la gestion et voient leur rôle d'enseignement de plus en plus réduit. Ils n'ont pas assez de temps à consacrer à leurs élèves, ils sont inquiets des projets de mise en réseau des ULIS.

À propos des ULIS, nous soulignons leur nombre insuffisant. Les effectifs des élèves d'ULIS doivent, de notre point de vue, être pris en compte dans les effectifs des écoles et des établissements, dans le calcul des seuils de classes et des dotations. Il est nécessaire de diminuer les effectifs des classes dans les écoles accueillant une ULIS.

Un problème spécifique se pose dans les ULIS-DAPP (ULIS – Découverte des activités professionnelles et projets personnels et professionnels) ou ULIS-LP (ULIS – Lycée professionnel), et plus globalement aux établissements de la voie professionnelle qui accueillent des élèves en situation de handicap dont l'orientation a souvent été imposée, l'important étant d'avoir une affectation après la classe de troisième plutôt que de suivre le projet de l'élève. Cela est fait parfois, malheureusement, en dépit de toute réflexion sur le lien entre le handicap et la formation professionnelle. Nous rencontrons dans ces cas-là de grandes difficultés pour trouver des stages aux élèves, des situations où les professeurs estiment que le handicap de l'élève l'empêchera d'exercer avec la qualification qu'il prépare. Se pose également la question des machines dangereuses et des risques qu'elles engendrent. En la matière, nous pourrions vous citer un certain nombre d'exemples.

Il faut revenir aussi aux questions d'accessibilité en termes de locaux. Si quelques avancées ont été obtenues pour améliorer leur accès, il reste encore beaucoup à faire. Ce devrait être une obligation pour l'État, les communes n'ayant pas les moyens financiers de rendre accessibles toutes les écoles. Il est également nécessaire de mener une réflexion sur les espaces des écoles et des établissements en termes d'adaptation. Une réflexion est indispensable sur la taille, les espaces et les équipements, avec un budget et une formation pour permettre cette réelle adaptation. Dans ce cas-là, le rôle des conseillers à la scolarisation, qui peuvent exister dans certains départements, est très utile pour accompagner les personnels. Ils doivent être généralisés.

Tous ces éléments posent plus généralement la question de la formation des personnels. De ce point de vue, nous estimons que les trois étages de la formation – initiale, continue et spécialisée – sont aujourd'hui en crise. Nous revendiquons deux ans de formation initiale pour les enseignants, qui devrait comprendre des modules de formation aux divers handicaps, à l'enseignement aux élèves à besoins éducatifs particuliers, au travail en équipe et à la concertation.

La formation continue réduite, trop réduite, ne répond pas aux besoins exprimés sur le terrain. Quant à la formation spécialisée, nous estimons qu'elle est réduite en volume et en approfondissement depuis la création du certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (CAPPEI). Les offres de formation au certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH) et au certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2CA-SH) devraient être remises en place, améliorées et développées. La limitation de la formation d'enseignants spécialisés a pour conséquence que trop de personnels non formés, et souvent précaires, se retrouvent sur ces postes d'enseignants spécialisés. Dans l'EREA dont je parlais tout à l'heure, où les postes ont vocation à être occupés par des enseignants spécialisés, titulaires du CAPPEI ; en réalité, sur vingt-quatre enseignants, seize sont des contractuels et n'ont pas de formation initiale, et la plupart des autres ne sont pas spécialisés.

Par ailleurs, la question des effectifs par classe est primordiale. Ils doivent être limités à vingt élèves à l'école et au collège, et à vingt-quatre au lycée, nombre qui devrait être abaissé dans les situations particulières d'éducation.

Ce panorama assez sombre, où dominent l'insuffisance des moyens, le manque de formation, les difficultés pour penser, réfléchir et travailler à l'adaptation et à la compensation nécessaires, a des conséquences négatives sur les personnels et, bien évidemment, sur l'épanouissement des élèves accueillis. Les personnels nous font largement remonter leur mal-être, leur sentiment de découragement pour gérer ce quotidien avec son cortège de culpabilité, de sentiment d'incompétence, de fatigue et parfois d'incompréhensions. Un indicateur très significatif est d'ailleurs celui de l'augmentation du nombre de remontées pour risques psycho-sociaux dans les registres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) lié à l'accueil des élèves en situation de handicap.

Cette première présentation s'appuie sur les remontées du terrain. Toutefois, comme vous l'aurez constaté, en partant d'un établissement pour illustrer notre propos, elle manque beaucoup de données chiffrées car elles sont très difficiles à obtenir. J'espère que le travail de votre commission permettra d'avancer sur cette question-là. Il est très difficile en effet de savoir auprès de l'institution combien il y a de personnels AESH – pas seulement les équivalents temps plein, qui sont connus, mais les personnes elles-mêmes, car les quotités sont très souvent celles du temps partiel –, quels sont les contrats, quelles sont les quotités de temps de travail, combien d'enfants sont restés sans accompagnement, combien de temps, combien il y a eu de déscolarisations faute d'inclusion réussie, combien il y a d'enfants par AESH, combien d'enfants ne sont pas en ULIS faute de places. Il serait très utile d'avoir des chiffres sur la réussite de l'inclusion.

En conclusion, la scolarité des élèves nécessite de nombreux moyens financiers et humains, tant par l'emploi, le salaire que la formation des personnels. Cela demande un investissement budgétaire et une rupture avec les politiques actuelles.

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