Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 13h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

M. Darmanin et moi-même sommes très heureux de vous présenter ce programme de stabilité, tout en précisant d'emblée qu'il ne présage pas des décisions qui seront prises par le Président de la République à l'issue du Grand débat, et qui pourront modifier le cadre que nous fixons aujourd'hui.

Je ferai trois remarques d'ordre général. Tout d'abord, la politique économique que mènent la majorité et le Gouvernement depuis deux ans donne des résultats. Le taux de croissance, initialement prévu à 1,7 %, a été révisé à 1,4 % mais place la France au-dessus de la moyenne de la zone euro. Nous avons créé un demi-million d'emplois depuis 2017 et atteint le niveau de chômage le plus bas depuis 2009. Nous respectons nos engagements en matière de déficits publics, qui ont atteint 2,8 % en 2017, 2,5 % en 2018 et qui s'élèveront à 2,3 % en 2019, à quoi s'ajoute 0,8 point en raison de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de cotisations sociales, soit un déficit global de 3,1 %, mais la décision liée au CICE étant exceptionnelle – c'est un one-off, comme on dit –, le déficit public, de 2,3 %, sera bel et bien inférieur à 3 %, en 2019, et nous visons un déficit de 1,2 % à la fin du quinquennat, en 2022. Enfin, nous avons engagé un mouvement de baisse des impôts, dont nous avons déjà largement débattu hier en séance publique : à la fois les impôts des entreprises avec la baisse de l'impôt sur les sociétés et la transformation du CICE en allégement de cotisations, et les impôts des ménages puisqu'en 2019, ils baisseront en moyenne de 440 euros pour les deux tiers des ménages.

Toutes ces décisions de politique économique qui figurent dans le programme de stabilité nous conduisent, selon les évaluations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à envisager une croissance de 3,2 % de la richesse nationale d'ici dix ans, qui bénéficiera en priorité aux classes moyennes et aux classes moyennes modestes.

En revanche, nous conservons deux faiblesses, comme le reconnaît le programme de stabilité avec la sincérité qui le caractérise. La première, c'est la dette. Elle a explosé de 30 points entre 2009 et 2018 en passant de 64 % à plus de 98 % de la richesse nationale. La réalité est celle-ci : la dette publique française tangente les 100 % en raison de son explosion depuis plusieurs années, et parce que la croissance actuelle n'est pas assez forte pour la faire baisser rapidement. Cette dette, je le répète, est un poison avec lequel nous ne pouvons pas vivre si nous voulons garantir une croissance solide. Nous prévoyons de la réduire de moins de 5 points, comme nous le présentons en toute sincérité dans le programme de stabilité, cependant je conserve cet objectif. Cela signifie que si des marges de manoeuvre supplémentaires apparaissent en raison d'une croissance plus forte que prévu, elles devront être consacrées en priorité au désendettement de l'État. Les cessions d'actifs qui doivent être décidées demain matin à l'occasion de l'adoption définitive de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (« PACTE ») y seront également consacrées, car le désendettement est à mes yeux une priorité. Les conditions actuelles sont plus difficiles à cause du ralentissement de la croissance ; nous stabilisons la dette et la réduirons d'ici à 2022, certes dans des proportions moindres dans le programme de stabilité que ce que nous avions envisagé, mais je conserve cet objectif et, je le répète, toutes les marges de manoeuvre supplémentaires iront à la réduction de la dette publique.

Notre seconde faiblesse est structurelle et ne date ni d'hier ni d'avant-hier : le volume global de travail de la France est trop faible. Les Français entrent trop tard sur le marché du travail et nous connaissons un problème structurel majeur d'inadéquation entre l'offre et la demande de travail : une entreprise sur deux ou presque ne trouve pas les qualifications et les formations dont elle a besoin. Vous connaissez tous, dans vos circonscriptions, des petites et moyennes entreprises (PME) industrielles qui cherchent en vain des chaudronniers ou des soudeurs, des concessionnaires automobiles qui cherchent en vain des carrossiers, des sociétés d'ingénieurs qui cherchent en vain des codeurs et des développeurs. C'est le problème structurel qu'il faut selon moi résoudre en priorité, ce à quoi nous nous employons avec Mme Pénicaud et l'ensemble du Gouvernement. D'autre part, le taux de chômage de la France est supérieur à la moyenne de la zone euro et le départ à la retraite intervient plus tôt que chez certains de nos partenaires européens. Ce volume de travail plus faible, lié aux problèmes de qualification, de formation et de chômage élevé, explique en grande partie l'appauvrissement relatif des Français depuis dix ans : au début des années 2000, la richesse par habitant en France était au même niveau que l'Allemagne, alors qu'elle est aujourd'hui inférieure de 15 %.

Tout cela doit nous conduire à poursuivre les réformes structurelles engagées, comme le précise le programme de stabilité. La réforme de l'assurance chômage est décisive pour inciter au retour à l'emploi et pénaliser le recours abusif aux contrats courts qui existe dans certains secteurs depuis plusieurs années – à cet égard, je suis favorable au système de bonus-malus dans les secteurs en question, comme je le dis depuis plusieurs mois. Les entreprises doivent être responsables et ne pas user de ces contrats très courts qui déstabilisent le marché du travail. Outre l'assurance chômage et les retraites, l'autre grande réforme structurelle, qu'ont annoncée MM. Darmanin et Dussopt il y a quinze jours, concerne la fonction publique. Ce sont ces réformes prioritaires qui justifient que nous contenions l'ajustement structurel à 0,1 point en 2019 et en 2020.

Troisième point : le ralentissement de la croissance mondiale devient préoccupant. Il s'explique par plusieurs raisons : la fin des mesures de relance budgétaire – le stimulus – aux États-Unis, tout d'abord, qui avaient été efficaces dans un premier temps et qui le sont moins aujourd'hui ; le ralentissement de la croissance chinoise ; la faiblesse du commerce mondial liée aux tensions commerciales et aux rivalités entre les États-Unis et la Chine ; enfin, les difficultés propres à l'Europe, les incertitudes liées au Brexit, la récession italienne et le ralentissement économique marqué en Allemagne, dont la croissance sera de 0,8 % en 2019 contre 1,4 % en France.

Tous ces facteurs produisent un ralentissement marqué et préoccupant face auquel nous ne pouvons pas rester les bras croisés. J'estime qu'il est de la responsabilité principale des ministres de l'économie et des finances de la zone euro de prendre des initiatives en la matière. Demain, en marge du G7 à Washington, je proposerai donc à mes partenaires européens un nouveau contrat de croissance pour la zone euro qui reposera sur quatre piliers. Le premier concerne la poursuite des réformes structurelles dans les pays qui doivent gagner en compétitivité, en faveur desquelles la France s'engagera comme elle s'engage au rétablissement de ses finances publiques. Le deuxième pilier consiste à accroître l'investissement consenti par les États qui bénéficient des marges de manoeuvre budgétaires nécessaires – je pense à l'Allemagne, aux Pays-Bas, à la Finlande – afin qu'ils luttent avec nous contre le ralentissement de la croissance mondiale et de celle de la zone euro. Troisième pilier : l'accélération de la transformation de la zone euro, dont je répète qu'elle ne sera pas capable de résister à une éventuelle nouvelle crise financière et économique. Le budget de la zone euro doit être disponible en juin prochain, l'union bancaire doit être réalisée d'ici à la fin de l'année et l'union des marchés de capitaux doit s'accélérer. Telles sont les trois réformes qui composeront le contrat de croissance pour la zone euro que je proposerai. Enfin, dernier pilier : la poursuite d'une politique monétaire accommodante de la part de la Banque centrale européenne (BCE) pour éviter de resserrer le crédit et les disponibilités financières dont nos entreprises ont besoin.

J'insiste sur ce nouveau contrat de croissance pour la zone euro que je proposerai à nos partenaires européens car le programme de stabilité que nous vous présentons n'a de sens que si nous sommes aussi capables de prendre les décisions politiques nécessaires afin d'éviter que le ralentissement de la croissance de la zone euro ne soit trop marqué et, in fine, ne touche notre croissance, nos emplois et notre prospérité collective.

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