Intervention de Éric Woerth

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 13h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président :

Je me permettrai, messieurs les ministres, une analyse sensiblement différente. Une fois de plus, je salue l'effort de sincérité, que vous n'êtes pas le premier gouvernement à consentir, quoique vous le consentiez longtemps et jusqu'au bout ; je m'en réjouis. Vous révisez notamment les prévisions de croissance, à juste titre car vous tenez dûment compte du ralentissement mondial – comme l'a dit le président Migaud ce matin.

Sur la forme, vos prévisions sont bonnes ; le sont-elles sur le fond ? J'en suis moins sûr. Apportons un bémol à votre sincérité : ce programme de stabilité est empreint d'une grande instabilité car le Président de la République et le Gouvernement n'ont pas encore tiré les conséquences du débat qui s'est tenu pendant plusieurs mois et qui, par principe, devrait se traduire par des décisions – vous avez vous-mêmes tracé quelques pistes à cet égard. En clair, l'instabilité du programme de stabilité est plus forte que jamais, même si les programmes de stabilité ont souvent été très éloignés de la réalité.

Ce programme de stabilité est tout de même placé sous le signe de la dégradation par rapport au programme précédent. L'objectif de déficit public en 2022 est réduit de 1,5 point : c'est beaucoup, et sans doute trop. L'effort que vous fixiez à 2,9 points sur la période de réduction passe à 1,6 point ; en d'autres termes, vous abandonnez 45 % de votre objectif de réduction en à peine un an. La croissance peut certes expliquer certaines choses mais elle ne peut pas tout expliquer.

D'autre part, le Gouvernement a dégradé son effort de diminution de la dépense publique. Vous l'avez dit : cela va à l'encontre de la tendance générale à réduire de la dépense publique – ce que vous faites assez peu. Je conteste notamment la notion de « zéro volume » : un calcul plus juste consistant à réintégrer les crédits d'impôt et en utilisant un déflateur de PIB plus adapté que celui que vous utilisez donne plutôt une progression de 0,9 % du volume des dépenses – sans parler de leur augmentation en valeur. En tout état de cause, ce programme de stabilité montre qu'en volume, la dépense publique repart à la hausse en 2020 et en 2021, quel que soit le mode de calcul retenu.

J'en viens à la dégradation de la dette publique. M. Le Maire l'a dit : c'est un problème complexe et ancien qui n'est que très peu résolu. La réduction du ratio d'endettement, que vous prévoyiez de fixer à 5 points de PIB – c'est considérable – sera en fait de 1,6 point. Là encore, c'est un abandon d'objectif.

Enfin, vous dégradez notre capacité de convergence avec nos partenaires européens, et c'est sans doute le plus inquiétant. À terme, nous serions dans l'incapacité de répondre puissamment à une nouvelle crise si elle nous frappait aussi fort que celle qui nous a frappés il y a dix ans. Je pense en particulier à l'écart entre le déficit de la zone euro et celui de la France : il s'est creusé en cinq ans pour passer de 1,1 point à 1,9 point. L'essentiel n'est pas de courir seul mais de se comparer aux autres. Or, sur les cinq dernières années, cette comparaison n'est pas avantageuse.

La baisse des impôts, quoique moins rapide que ce que vous prévoyiez, est réelle, comme je vous l'ai dit hier, monsieur le ministre de l'économie, et même importante en termes de points de PIB, mais elle se fera au prix fort, c'est-à-dire au prix de l'augmentation des déficits publics.

Pour toutes ces raisons, j'ai une vision assez négative de la trajectoire que vous proposez par rapport au programme de stabilité précédent. Globalement, vous révisez vos objectifs à la baisse. Il n'y a qu'une seule révision à la baisse qui nous place en position de force vis-à-vis de la zone euro : c'est le ralentissement de la croissance. La croissance française révisée, à 1,4 point, sera supérieure – cela n'a pas toujours été le cas – à la croissance de la zone euro. En soi, c'est une bonne nouvelle, car cette croissance plus rapide répond à certains des problèmes structurels que le ministre de l'économie a cités. Il me semble cependant que si la croissance française est légèrement supérieure à celle de la zone euro, c'est aussi pour plusieurs mauvaises raisons qui tiennent à nos faiblesses – lesquelles se transforment parfois, de manière très ponctuelle, en forces. Je pense au fait que l'économie française est plus déconnectée que d'autres du contexte international ; structurellement, nous gagnons donc moins en période d'accélération, mais nous perdons aussi moins en période de ralentissement, comme en témoigne le fait que le ralentissement actuel de l'économie mondiale nous touche moins. D'autre part, il s'est produit une injection massive de capitaux publics ; la dernière injection date de décembre et, en tout état de cause, le volume de la dépense publique demeure très important. Sur ce point, vous faites peu d'efforts, au prix de déficits persistants – situation que ne connaissent pas d'autres économies.

Enfin, vous avez raison, monsieur le ministre de l'économie : le critère du volume de travail est très important. La réponse au mal français consiste sans doute à augmenter le taux d'activité et le taux d'emploi – en somme, le volume de travail effectif, ce qui passe par de nécessaires réformes structurantes qui ne sont pas encore engagées.

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