Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je suis très heureux de retrouver la commission des Lois pour cette audition sur le projet de loi de transformation de la fonction publique. Permettez-moi d'excuser l'absence de Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, retenu au conseil des ministres.

Le projet de loi que je vais vous exposer a été présenté au conseil des ministres le 27 mars dernier. Il répond à l'objectif de transformation de l'action publique, que défend le Président de la République, ainsi qu'aux orientations dessinées par le Premier ministre, à l'occasion du comité interministériel de la transformation publique du 1er février 2018. Il représente une profonde modernisation de la gestion des ressources humaines de la fonction publique, mais aussi un outil, une condition nécessaire pour mettre en oeuvre les autres transformations publiques dans chaque périmètre ministériel, ainsi que dans les autres versants de la fonction publique.

Dès lors que l'on s'intéresse à la question des ressources humaines de la fonction publique, il faut rappeler que l'on évoque 5 500 000 agents publics, dont 1 million de contractuels, et avoir en tête que neuf agents sur dix sont quotidiennement au contact avec les usagers, sous des formes diverses, pour l'exercice de leurs missions. Nous savons, parce que les organisations représentatives nous l'ont dit, mais aussi parce que j'ai eu l'occasion d'organiser de nombreuses réunions avec les agents, territoire par territoire, sans filtres ni conditions, qu'ils sont attachés à l'exercice de leur mission et ont à coeur de rendre un service de qualité. À chacun de mes déplacements, j'ai entendu des agents soucieux d'évoluer professionnellement dans la fonction publique, parfois de mettre fin à un sentiment d'assignation à résidence professionnelle, et certains même envisager une seconde carrière dans le secteur privé.

Dans le même temps, nos concitoyens expriment de fortes attentes, que nous avons pu mesurer à l'occasion du grand débat, sur la capacité des services publics à répondre à leurs besoins, à être réactifs, à garantir la continuité qui est au coeur de leur engagement. Les employeurs publics, pour leur part, comme les élus, nous ont fait part de leur volonté de bénéficier d'outils managériaux nouveaux et de voir les outils actuels améliorés. Ils nous ont surtout demandé de leur faire confiance et de leur accorder de l'autonomie dans les fonctions qui leur incombent et pour les réformes qu'ils ont à mener.

Au regard de ces exigences, nous devons répondre à un triple enjeu : offrir aux agents publics de nouveaux droits et de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle ; accorder aux employeurs publics, élus ou encadrants, une plus forte autonomie dans le recrutement et la gestion de leurs équipes ; apporter une nouvelle souplesse, mais aussi des outils de décloisonnement, pour améliorer la réactivité et l'efficacité du service public. Il faut inventer une nouvelle souplesse, pour être plus efficaces, mais aussi apporter de nouveaux droits et des perspectives professionnelles à tous les agents.

Ce projet de loi est avant tout le fruit d'une année de concertations avec les neuf organisations syndicales et les employeurs du versant hospitalier comme territorial. Il s'inscrit dans un cadre, une volonté clairement affichée : ne pas remettre en cause le statut défini par la loi de 1983, auquel nous sommes attachés, ainsi qu'aux valeurs qui le sous-tendent et qui caractérisent l'engagement dans la fonction publique. Mais nous sommes aussi attachés à le moderniser et à le rénover, pour lui permettre de s'adapter à des contraintes nouvelles, que ce soient des évolutions technologiques ou territoriales ou celles des besoins exprimés par les usagers.

Avant de vous présenter les principales dispositions du texte, je dirai un mot sur sa méthode d'élaboration et la concertation conduite depuis quinze mois. Toutes les organisations syndicales ont pris part jusqu'au bout à la concertation, qui a pris la forme de plusieurs dizaines de réunions, pendant plusieurs centaines d'heures. Ces organisations étaient aussi présentes dans les instances : les conseils supérieurs des trois versants du secteur public, comme le Conseil commun de la fonction publique, qui a été saisi pour avis. Ces instances ont eu à examiner environ trois cents amendements, déposés par les employeurs, ainsi que par la CFDT et l'UNSA, les autres organisations syndicales ayant fait le choix de ne pas en présenter. À la demande de ces deux syndicats, j'avais accordé un délai supplémentaire pour le dépôt d'amendement, de manière à permettre leur examen et la défense des différentes positions.

Si l'on met de côté les amendements de suppression d'articles du texte, dont la défense a été l'occasion de présenter un certain nombre de positions de principe, nous avons pris en compte la moitié des amendements déposés par les deux syndicats, soit en introduisant des dispositions nouvelles dans le texte – rôle du conseiller syndical dans certaines procédures ou amélioration de l'accès à la formation pour certains agents particulièrement fragiles –, soit en nous engageant à les prévoir dans les décrets d'application, dans la mesure où le droit de la fonction publique relève pour une grande part du domaine réglementaire.

S'agissant des employeurs publics, nous avons fait le choix de la coconstruction avec la fédération hospitalière de France et les employeurs territoriaux. Je me suis appuyé sur la coordination des employeurs territoriaux, lancée par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, qui réunit l'ensemble des associations représentatives d'élus locaux, par strates, à commencer par les trois plus connues, l'Association des régions de France (ARF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des maires de France (AMF). Nous avons prévu des possibilités de différenciation pour la fonction publique territoriale. Par exemple, sur l'élargissement de la possibilité de recours aux contrats, sur la rupture conventionnelle ou sur des sujets relatifs à la formation, nous avons veillé à ce que les dispositions que nous vous présentons aujourd'hui soient coconstruites. Elles l'ont été à tel point que ce sont les amendements mêmes des employeurs territoriaux qui ont été intégrés dans le texte.

Tout cela témoigne d'une volonté de consultation et de concertation que nous allons poursuivre sous des formes différentes, à l'occasion du débat parlementaire, en souhaitant qu'il soit l'occasion d'autres enrichissements.

Sur le fond, le texte est organisé autour de cinq piliers. Le premier a trait au dialogue social, que nous souhaitons à la fois plus stratégique et recentré sur des enjeux qualitatifs. Notre volonté est également de le simplifier : il existe actuellement 22 000 instances de dialogue différentes – parfois avec des organisations contradictoires – couvrant les 5,5 millions d'agents. Nous souhaitons déconcentrer les décisions, notamment en matière de mobilité, et recentrer l'instance unique que nous allons créer par fusion des comités techniques (CT) et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur les grands enjeux de chacune des catégories de personnel concernées.

Ces nouvelles dispositions vont permettre aux employeurs publics et aux encadrants de recruter directement les compétences dont ils ont besoin et qu'ils auront choisies : les commissions administratives paritaires (CAP) n'examineront plus les dossiers individuels de mobilité des agents publics. Les nouvelles instances de dialogue social – notamment l'instance unique susmentionnée – auront à définir les règles de portée générale et les voies de recours spécifiques. Ainsi, en matière d'accès à la mobilité ou à la promotion, les règles seront définies au sein d'instances uniques par le biais du dialogue social et seront ensuite appliquées par les encadrants. Bien entendu, les agents publics auront toujours des possibilités de recours internes et, le cas échéant, contentieux.

Nous souhaitons aussi décentraliser le dialogue social et permettre la conclusion d'accords majoritaires au niveau local, indépendamment ou non d'un accord national. C'est un levier important pour permettre à tous les acteurs locaux du dialogue social de travailler ensemble sur certaines thématiques, qu'il faudra arrêter en lien avec les partenaires sociaux. C'est d'ailleurs l'objet d'une des demandes d'habilitation à légiférer par ordonnance.

Le deuxième pilier du projet de loi vise à développer des leviers managériaux pour que l'action publique soit plus efficace. Le premier objectif de ce second pilier – et sans doute une des mesures les plus discutées – concerne le recours aux contractuels. Cette ouverture n'est pas nouvelle : un million d'agents sont déjà contractuels et ils servent avec la même intensité, les mêmes droits et les mêmes devoirs que les fonctionnaires, comme le prévoit l'article 30 du statut de 1983.

Cet élargissement du recours aux contrats va garantir une plus grande diversité des profils, faciliter les recrutements – notamment dans les métiers pour lesquels les écoles de service public ne proposent pas de formation –, mais aussi répondre aux besoins des employeurs publics qui, de manière récurrente, nous indiquent ne pas toujours trouver les compétences et les profils dont ils ont besoin dans le vivier des agents titulaires.

Cette mesure rendra possible le recrutement de cadres de haut niveau aux compétences rares, qui peuvent souhaiter s'engager pour le service public, non pas pour toute une carrière, mais de manière plus limitée dans le temps – ainsi pour les emplois de direction ou les contrats de projet. Ces derniers seront ouverts dans les trois fonctions publiques, pour mobiliser des compétences externes afin de conduire ou mettre en oeuvre un projet spécifique, pendant une durée inférieure à six ans. Par exemple, un maire qui souhaite mettre en place un plan de rénovation urbaine et a besoin d'un spécialiste pendant quatre à cinq ans, ou pendant la durée d'un programme, pourra y recourir. Il n'y aura aucune obligation, simplement la volonté de faciliter son recours, en assouplissant les conditions d'accès.

Parallèlement, nous souhaitons mieux lutter contre la précarité des contractuels. C'est pourquoi nous élargissons le recours à l'emploi contractuel et titulaire pour l'exercice de missions qui nécessitent un service à temps non complet – durant le temps périscolaire ou la cantine par exemple – et ainsi supprimer le recours parfois abusif aux vacations.

Dans la même logique managériale, nous voulons renforcer l'évaluation et la reconnaissance de l'engagement professionnel : la notation sera supprimée afin que l'entretien d'évaluation professionnelle se généralise et que l'évaluation soit plus qualitative.

Nous voulons aussi faciliter, sans la rendre obligatoire, l'intégration de parts variables dans la rémunération. Ce sera désormais possible pour les contractuels, alors que seuls les titulaires peuvent actuellement y prétendre. Des mécanismes d'intéressement collectif pourront être mis en place dans la fonction publique hospitalière, comme dans les deux autres fonctions publiques.

Le troisième pilier du texte vise à la fois à renforcer l'équité, mais aussi l'égalité, entre les agents. L'équité suppose l'alignement des régimes de temps de travail – certaines collectivités appliquent actuellement des protocoles inférieurs à 1 607 heures. L'équité, c'est le renforcement et la modification du cadre d'examen des situations de déontologie, en prenant en compte l'expérience des deux dernières années, afin que l'examen de déontologie soit centré sur les métiers à risques, pas seulement à la sortie de la fonction publique, mais aussi au retour ou à l'entrée dans la fonction publique, à la suite du recrutement de contractuels sur des postes considérés comme sensibles.

L'égalité, c'est aussi travailler, et avoir un peu de temps pour le faire dans la concertation, grâce à des habilitations à légiférer par ordonnance sur la protection sociale complémentaire, sur la prévention des risques psychosociaux ou la réforme du système de formation.

Le quatrième pilier touche à la mobilité entre fonctions publiques, mais aussi avec le secteur privé. Il s'agit d'abord de garantir la portabilité des droits – du contrat à durée indéterminée, du compte personnel de formation et par le biais d'un mécanisme de conversion pour celles et ceux qui font des allers-retours entre le secteur public et le secteur privé. Il convient ensuite de prévoir un dispositif global d'accompagnement en cas de restructuration de services : accompagnement personnalisé et renforcé, mise en place d'une priorité d'affectation locale pour permettre à un fonctionnaire dont le poste serait supprimé – quelle qu'en soit la raison – de rester fonctionnaire, en changeant de ministère ou de service déconcentré et en s'appuyant sur un congé de transition professionnelle lui permettant d'être formé à ce nouveau métier.

En outre, nous allons proposer d'ouvrir le mécanisme de la rupture conventionnelle aux contractuels de droit public et, à titre expérimental, aux agents titulaires de la fonction publique. Nous l'avions envisagé pour la fonction publique d'État (FPE) et la fonction publique hospitalière (FPH). À l'issue de la concertation, les employeurs et l'une des organisations syndicales nous ont proposé de l'expérimenter également dans la fonction publique territoriale. Par ce biais, nous souhaitons faciliter les deuxième ou troisième carrières dans le secteur privé, en donnant aux agents publics les mêmes garanties qu'aux salariés – le bénéfice d'une indemnité de rupture et de l'assurance chômage.

Enfin, le cinquième pilier vise à renforcer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il s'agit de transposer dans la loi le protocole d'accord du 30 novembre 2018 sur l'égalité entre les femmes et les hommes, signé par les employeurs des trois fonctions publiques et par sept des neuf organisations syndicales. Des plans d'action devront obligatoirement être adoptés pour traiter les écarts de rémunération et prévenir les violences et discriminations sexistes et sexuelles. Le dispositif de nominations équilibrées sera renforcé pour les emplois de direction. Il conviendra que la répartition femmes-hommes des promotions et avancements au choix soit conforme à la répartition femmes-hommes des effectifs concernés dans le corps ou le cadre d'emploi.

Nous plaidons également pour le maintien des primes et indemnités versées par les collectivités territoriales aux agents durant les congés de maternité, d'adoption, de paternité ou d'accueil de l'enfant. Nous proposerons de supprimer le jour de carence pour les femmes enceintes, de la déclaration de grossesse au départ en congé de maternité.

Indépendamment du protocole sur l'égalité femmes-hommes, certaines dispositions visent à favoriser l'égalité professionnelle des agents en situation de handicap : nouvelles obligations pour les employeurs en matière de lutte contre les discriminations, reconnaissance de nouveaux handicaps susceptibles de bénéficier d'aménagement d'épreuves lors des concours, création d'une procédure de promotion dérogatoire élargie par le biais de la suppression de la référence au seul handicap physique. Cette volonté d'inclusion complétera utilement les dispositions déjà adoptées à l'occasion de la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel défendue par la ministre du travail Muriel Pénicaud.

Le projet de loi n'épuise pas les thématiques relatives à la fonction publique puisque des concertations sont aussi ouvertes sur l'attractivité des concours – qui relèvent du champ réglementaire –, importante pour garantir l'attractivité des métiers de la fonction publique. Nous réfléchissons également au développement de l'apprentissage et au renforcement de la politique de prévention et de santé au travail.

En conclusion, le projet de loi que je vous propose répond à nos objectifs : trouver de nouvelles souplesses et moderniser le statut de la fonction publique, tout en garantissant de nouveaux droits aux agents, et notamment le droit fondamental de mieux maîtriser leur parcours et leur vie professionnels, voire d'envisager – pour ceux qui le souhaitent – une deuxième ou une troisième carrière, dans le secteur public ou privé.

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