Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous remercier pour votre invitation. L'UNAPEI gère 3 100 établissements, compte environ 55 000 adhérents et associe plus de 80 000 professionnels au service des enfants, des adolescents, mais aussi des adultes en situation de handicap mental. En 2015, lors d'une précédente audition dans ces murs, je déclarais que l'école inclusive relevait encore de l'esthétique déclaratoire et j'exprimais la crainte que les parents d'enfants handicapés, souvent qualifiés de résilients, ne se transforment peu à peu en parents résignés, notamment au sujet de l'école inclusive.
Aujourd'hui, il serait très excessif de considérer que l'école est inclusive. Pour reprendre une formule entendue récemment à propos d'un autre sujet, on avance, mais on ne progresse pas. Certes, comme Madame Kail vient de le rappeler, une forme de massification s'opère, puisque 340 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés en milieu dit « ordinaire », mais il faut voir leurs conditions de scolarisation. Je rappelle que certains d'entre eux ne bénéficient que d'un temps de scolarisation très réduit, ce qui n'est pas conforme à leurs droits. Dans leur grande majorité, les élèves qui souffrent de troubles du neurodéveloppement, notamment de troubles intellectuels et cognitifs, et qui sont accompagnés par les associations de notre mouvement, quittent encore l'école « ordinaire » très précocement. Seuls 8 % des enfants atteints d'un handicap cognitif atteignent le cycle 3, c'est-à-dire la classe de CM1. Ils sont moins scolarisés individuellement – c'est-à-dire dans une classe, au même titre que les autres – et moins souvent à temps plein.
Le principe de l'école inclusive, que l'on pourrait définir comme une école qui tient compte des singularités de chacun, ne s'applique pas, à ce jour, à tous les enfants.
Pour les élèves qui fréquentent les instituts médico-éducatifs (IME), les temps de scolarisation sont très variables d'un handicap à l'autre et d'un territoire à l'autre, même si les établissements et les associations qui les gèrent ont la volonté farouche d'offrir des temps de scolarisation conformes à la fois aux droits et aux besoins des enfants et des adolescents et aux souhaits de leur famille. Les parents, bien souvent, ne comprennent pas pourquoi leur enfant ne bénéficie pas de l'effectivité d'un droit qui, aujourd'hui, ne devrait être ni discuté, ni conditionné.
Le temps de scolarisation des élèves en IME interroge, émeut ou scandalise, selon le point de vue que l'on adopte. En 2015, les élèves qui présentent plusieurs troubles associés, un trouble intellectuel et cognitif ou un trouble du psychisme, sont scolarisés moins de la moitié du temps et 41 % d'entre eux sont scolarisés un jour, voire moins d'un jour par semaine. Ces chiffres sont issus d'une enquête de la DEPP de 2016 sur les élèves nés en 2005. Pour faire de l'école inclusive une réalité, il est selon nous nécessaire d'avoir à l'esprit trois dimensions de ce que l'on appelle parfois abusivement l'inclusion : l'inclusion physique, l'inclusion sociale et l'accès à des savoirs accessibles.
L'inclusion physique est en cours, nous en convenons : elle s'avère peu coûteuse et facilement mesurable. La définition du handicap inscrite dans la loi de 2005, la difficile identification des besoins et l'insuffisance des dispositifs de prévention et d'intervention précoce ont sans nul doute contribué à faire considérablement progresser la scolarisation des enfants en situation de handicap. Oui, le nombre d'élèves reconnus handicapés a beaucoup progressé, mais parallèlement, et paradoxalement, les listes d'attente des IME – 429 pour les associations affiliées à l'UNAPEI – n'ont pas cessé de s'allonger durant cette période, entraînant des ruptures de parcours insupportables et des conséquences sociales inacceptables.
Si l'inclusion physique est en cours, l'inclusion sociale, elle, est déjà plus complexe. Nous constatons et regrettons des exclusions ou des restrictions de participation, qui sont contraires à la loi de 2005 et provoquent des difficultés de participation sociale, depuis la classe jusqu'aux sorties scolaires, en passant par la cantine.
La troisième dimension de l'inclusion, c'est le droit de bénéficier de savoirs accessibles, d'aller à l'école et d'y apprendre des choses, de progresser à sa mesure, dans un « chez soi pour tous », pour reprendre les termes de Charles Gardou. C'est ce que nous défendons à l'UNAPEI, et notre position politique se fonde sur trois principes : l'effectivité, la bientraitance et l'ambition. Nous partageons les propositions que vient de faire Madame Kail, mais nous pensons aussi que des outils existent déjà, qui pourraient nous permettre d'agir.
En cette journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, je voudrais mentionner les unités d'enseignement en maternelle pour enfants autistes (UEMA), dont beaucoup sont soutenues par des associations affiliées à l'UNAPEI. Ce dispositif est intéressant à plusieurs titres. D'abord, il permet la scolarisation en milieu ordinaire d'élèves réputés non scolarisables, y compris avec l'accompagnement d'un AESH individuel. Ceci tend à démontrer que, pour certains élèves, la scolarisation nécessite des aides, des médiations, des approches particulières et que la réponse qui consiste en la seule attribution d'un AESH n'est pas conforme, ou pas seule conforme, aux besoins de tous les enfants. Ce dispositif est exemplaire, ensuite, dans la mesure où il permet aux différentes parties prenantes de collaborer – d'apprendre à le faire – et, le cas échéant, d'être formées ensemble. Je pense aux professionnels du secteur médico-social et de l'éducation nationale, mais aussi aux familles, qui ont aussi des besoins de formation pour faire face aux besoins particuliers de leurs enfants, qui ne s'expriment pas qu'à l'école.
Il s'agit de dispositifs inscrits en milieu ordinaire, qui ont vocation à ne pas constituer des enclaves spécialisées fermées au sein de l'école, mais qui permettent aux élèves de poursuivre un parcours ordinaire, ou presque ordinaire – au moins pour un grand nombre d'entre eux. Pour les autres il convient de dimensionner l'accompagnement à la hauteur des besoins, sans pour autant recréer des filières spécifiques. C'est la raison pour laquelle nous défendons l'idée de « scolarisations » au pluriel, c'est-à-dire d'un panel de solutions et d'aides pour garantir accès, participation et ambition à chacune et chacun des élèves.
Il existe d'autres outils que les UEMA, notamment les unités d'enseignement externalisées (UEE), qui sont déployées un peu partout en ce moment, dans les écoles et les collèges. Cette externalisation constitue une magnifique occasion de construire des environnements, puis des écosystèmes inclusifs, en mobilisant l'expertise des acteurs de l'éducation nationale et du secteur médico-social. Néanmoins, on ne peut décréter l'externalisation en se fixant des objectifs chiffrés, sans tenir compte des conséquences à court et moyen terme. L'externalisation d'unités d'enseignement entraîne le déplacement, dans une école ou un collège – qui ne sont pas forcément à proximité immédiate d'un établissement spécialisé – de personnels – enseignants, éducateurs spécialisés, intervenants thérapeutiques – qui ont besoin de locaux disponibles et adaptés. Cette externalisation, aujourd'hui, ne concerne qu'une partie des élèves de l'établissement. Ceux qui restent sur le site ne bénéficient plus du même accompagnement et subissent souvent une baisse de leur temps de scolarisation, puisque les externalisations sont réalisées à moyens constants. Lorsqu'on regarde le ratio entre le nombre d'enseignants et le nombre d'enfants accueillis dans les IME, on s'aperçoit que le taux d'encadrement est souvent d'un pour vingt-cinq et qu'il peut atteindre un pour cinquante, ce qui ne permet absolument pas de scolariser les enfants dans des conditions acceptables.
Cela étant, nous manquons de données statistiques consolidées sur les enfants et les adolescents non scolarisés ou partiellement scolarisés. Nous avons peu de données sur la qualité de la scolarisation et la permanence des parcours et nous nous étonnons qu'un amendement déposé sur le projet de loi pour une école de la confiance, relatif aux outils de pilotage des politiques publiques dans ce domaine, ait été rejeté par le Gouvernement. La réalité vécue aujourd'hui par nombre de familles n'est pas tolérable.
En cette journée un peu particulière, je souhaiterais, pour finir, vous demander ce qu'est un gosse, pour vous. Dans notre monde, un gosse devrait être un loupiot, un mioche, un gamin, et pas un groupe opérationnel de synthèse (GOS) dans le cadre de la « réponse accompagnée pour tous ». Et l'école inclusive ne devrait pas être qu'un îlot de satisfaction dans un océan de renoncement.