Intervention de Jacques Toubon

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 18h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Le Défenseur des droits est évidemment très impliqué quand il s'agit des personnes porteuses de handicaps et en particulier des enfants, puisqu'il est concerné au moins au titre de trois de ses compétences : les relations avec les services publics, les droits de l'enfant et, bien entendu, la lutte contre les discriminations.

Quatorze années se sont écoulées depuis la promulgation de la loi ; c'est un bon moment pour s'interroger, alors que le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination : il représente près de 23 % des quelque 5 000 saisines sur cette base. En ce qui concerne les droits de l'enfant, le motif « handicap » et le motif « état de santé » peuvent se rejoindre, et 18 % des 3 000 saisines relatives aux droits de l'enfant ont porté sur ces questions en 2018.

En dehors des réclamations individuelles que nous recevons et que nous traitons, nous avons établi une relation avec la société civile par le bais du comité d'entente handicap que nous réunissons deux fois par an, et encore hier après-midi. Le comité d'entente regroupe les principales associations de ce secteur, avec lesquelles nous travaillons pour cerner la situation – au-delà des cas individuels dont nous sommes saisis –, en tout cas telle qu'elle est ressentie par les personnes concernées. C'est ce comité qui nous a permis de mettre l'accent sur l'absence de connaissances statistiques.

Je rappellerai les cadres juridiques dans lequel nous nous inscrivons. C'est d'abord la Convention des droits de l'enfant, dont le Défenseur des droits, qui est aussi le Défenseur des enfants depuis 2011, est le mécanisme de suivi indépendant en France. Pour cette raison, nous contribuons au rapport d'évaluation indépendante devant le Comité des Nations unies qui, à Genève, s'occupe des droits des enfants. Le deuxième cadre de notre action est naturellement la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), qui date de 2006. Cette déclaration de l'Assemblée générale des Nations unies a été ratifiée par la France en 2010 et, en 2011, le Premier ministre nous a désignés comme mécanisme de suivi. La Convention invite les États à adopter des politiques publiques inclusives en agissant de manière concomitante sur les facteurs environnementaux et personnels, afin de faire tomber les barrières qui font obstacle à la pleine et effective participation des personnes handicapées, sur la base de l'égalité avec les autres. L'article 7 traite des droits et de l'intérêt supérieur des enfants, l'article 24 de l'accès à une éducation sans discrimination. Nous sommes le mécanisme indépendant de référence, et je suis en train de préparer pour dans quelques semaines un rapport sur la mise en oeuvre de la CIDPH depuis 2010 dans notre pays ; la France fera probablement l'objet d'un examen au mois de septembre prochain.

Notre action s'inscrit aussi, bien entendu, dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans l'article 2 du protocole n°1 – le droit à l'instruction – et dans son article 14 – le principe de non-discrimination –, la CEDH pose un principe d'universalité et de non-discrimination dans l'exercice du droit à l'instruction. Elle en déduit que l'éducation inclusive a été reconnue comme le moyen le plus approprié pour garantir ces principes fondamentaux.

Naturellement, nous mettons aussi en oeuvre la loi du 11 février 2005. Globalement, si des avancées majeures ont eu lieu ces dernières années en direction des personnes handicapées, en particulier par l'impulsion qu'a donnée cette loi, la première qui parlait des droits fondamentaux des personnes handicapées et qui couvrait l'ensemble des handicaps – y compris le handicap mental, jusque alors non reconnu – nous sommes contraints de déplorer que ni les engagements souscrits par la France à l'échelon international et régional ni la loi ne sont toujours réellement et suffisamment pris en compte dans l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques en matière de handicap, alors que la France est souvent rappelée à l'ordre par les instances onusiennes ou européennes pour la violation de ses engagements.

Notre cadre d'action est complété par l'avis que le Défenseur des droits a donné le 28 janvier dernier sur le projet de loi sur l'école actuellement en discussion au Parlement et qui inclut un chapitre assez important sur les questions d'inclusion.

Il y a loin de la coupe aux lèvres. Quels sont donc les freins à la scolarisation inclusive et les insuffisances que nous constatons ?

Je rappelle que l'on est passé de 151 000 enfants handicapés scolarisés dans les enseignements primaire et secondaire à la rentrée 2005 à 340 000 enfants scolarisés à la rentrée 2017, seul chiffre disponible pour l'instant. En 2017, 20 000 enfants de plus qu'en 2016 avaient été scolarisés, soit 6 % de plus que l'année précédente ; 79 000 enfants étaient scolarisés en établissement spécialisé, 71 500 en établissement médico-social et 8 000 enfants en établissement hospitalier.

Mais plusieurs milliers d'enfants handicapés ne sont pas scolarisés ou ne le sont qu'à temps partiel. C'est l'une des raisons qui nous fait dire qu'il faudrait connaître les données exactes, et nous manquons d'un système statistique d'information et de suivi des décisions d'orientation. Si je n'ai pu citer que les chiffres relatifs à l'année scolaire 2017-2018, c'est que, six mois après la rentrée de l'automne 2018, nous n'avons pas les nombres exacts pour l'année scolaire en cours ; c'est surprenant, et cela étonne les associations – nous en avons encore parlé hier lors du comité handicap. Mais, en ce qui concerne le système d'information et de suivi des décisions d'orientation prises par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la convention portant sur les années 2016 à 2019 passée entre l'État et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) semble, cette année, devoir être appliquée : selon la Caisse, quarante-trois départements ont mis en oeuvre les échanges d'informations et l'on sait donc quel est le résultat des systèmes d'information dans les MDPH de ces départements. Selon les estimations actuelles, à la fin de cette année, le déploiement du système d'information sur les décisions d'orientation des MDPH sera complet ; la Caisse nous l'a confirmé lorsque nous avons-nous-mêmes conclu une convention avec elle au mois de février dernier. L'année 2019 marquerait donc un progrès important dans la connaissance des décisions d'orientation des MDPH.

Cependant, ce bilan positif sur le plan quantitatif doit être nuancé. Tout ce que je vais dire maintenant a commencé par ce qui a déclenché, en quelque sorte, votre travail, c'est-à-dire l'absence de connaissance statistique globale. Après que nous avons interrogé l'administration de l'Éducation nationale sur la mise en oeuvre effective des décisions des MDPH concernant l'accompagnement des élèves en situation de handicap, la direction de l'évaluation, de la prospective et la performance (DEPP) nous a fait la réponse suivante : « Les données qui permettraient de suivre, comme vous le souhaitez, la mise en oeuvre effective des accompagnements prononcés par les MDPH ne sont pas disponibles à notre niveau ».

Autre exemple concernant le recensement des élèves en situation de handicap : cette direction reconnaît ne pas comptabiliser les élèves qui, bien que répondant à la définition du handicap, ne relèvent pas d'un projet personnalisé de scolarisation (PPS), mais d'un projet d'accompagnement personnalisé (PAP). Beaucoup d'élèves ne sont donc pas comptabilisés ; c'est le cas, par exemple, d'un grand nombre d'élèves « dys » qui entrent dans ce dispositif et qui ne sont pas recensés. D'ailleurs, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) confirme que seule la reconnaissance d'un handicap par la MDPH peut conduire l'Éducation nationale à recenser un élève à ce titre. Autant dire que le système se mord la queue, chacun se renvoyant en quelque sorte la responsabilité de faire état du renseignement statistique et de l'information. C'est pourquoi nous avons adopté, le 26 septembre 2017, la décision-cadre que vous avez mentionnée, madame la présidente, dans laquelle nous recommandons des mesures destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées. Comme je vous l'ai dit, nous nous réjouissons de voir que sur un point en tout cas, le système d'information des MDPH, des progrès ont été fait.

Le Parlement est sensible à cette question puisque, lors de la discussion du projet de loi pour une école de la confiance, un amendement a été adopté en première lecture créant l'article 5 octies, ainsi rédigé : « Un rapport détaillant l'évolution des demandes, le nombre d'élèves accompagnés, les moyens mobilisés dans chaque département, les carences éventuelles et un état statistique complet de la scolarisation des élèves en situation de handicap est remis par le Gouvernement au Parlement chaque année. Ce rapport est actualisé trois fois par an. Il est transmis au Parlement un mois après la rentrée scolaire de septembre. Un rapport actualisé est transmis au Parlement un mois avant le vote de la loi de finances initiale. Un rapport actualisé est également remis au Parlement au plus tard le 1er mai. »

Cela correspond en tous points aux préconisations du Défenseur des droits sur la connaissance globale de la scolarisation des enfants handicapés. Il serait pertinent de compléter l'amendement au cours de la navette pour spécifier que le recueil de données doit également inclure les informations concernant les orientations des MDPH non effectives – ce que l'on appelle les solutions aménagées.

Voilà pour ce qui concerne la connaissance statistique : il est clair qu'un travail important reste à faire. Dans cette recommandation, nous avions aussi souligné que les grandes études qui étaient faites il y a une dizaine d'années sur le thème « handicap et santé » ont cessé, et appelé le ministère de la santé et des affaires sociales à reprendre une enquête à ce sujet. La dernière datant, me semble-t-il, de 2009, elle mériterait d'être actualisée.

J'en viens aux conditions de l'école inclusive, pour dire que le terme implique prioritairement que l'école s'ajuste aux enfants, par la formation des enseignants et l'adaptation de la scolarité. Le vote en première lecture de la scolarisation obligatoire des enfants dès trois ans, y compris les enfants porteurs de handicap, rend l'enjeu crucial. Dans l'avis que j'ai rendu sur le projet de loi sur l'école de la confiance, je souligne que c'est à l'école de s'adapter pour être inclusive. C'est d'ailleurs ce qu'établit la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées : la société, et l'école en particulier, doivent se faire inclusives.

Dans son rapport du 8 janvier 2019, rédigé à la suite de la visite qu'elle a faite en France en 2017, la rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a encouragé le Gouvernement français à passer de l'approche individuelle appliquée actuellement, qui veut que les enfants handicapés s'adaptent au système scolaire, à une approche générale visant à transformer le système d'enseignement, de sorte qu'il accueille les enfants handicapés dans une démarche inclusive.

Parmi les recommandations de la rapporteure des Nations unies, il en est une avec laquelle le Défenseur des droits est en désaccord : la désinstitutionalisation, pour mieux inclure les enfants handicapés en milieu ordinaire. Je pense qu'il faut continuer à développer des réponses adaptées à toutes les situations ; scolariser tous les enfants en classe ordinaire, quelle que soit la lourdeur de leur handicap, peut, pour certains, constituer une forme de maltraitance. Pour le reste, les remarques de la rapporteure des Nations unies relatives à l'inclusion sont bien entendu pertinentes.

Quelques mots sur l'accompagnement des élèves en situation de handicap. Il a été dit la semaine dernière que 175 000 des 340 000 enfants dont j'ai parlé tout à l'heure font l'objet d'un accompagnement. C'est insuffisant, mais il y a une croissance manifeste du nombre d'accompagnants auprès des élèves handicapés, et le rapport conjoint des trois inspections établit que l'accompagnement est devenu la réponse principale en faveur de l'inclusion des élèves en situation de handicap. Il n'en reste pas moins que l'école doit s'adapter aux enfants porteurs de handicap et que l'accompagnement humain n'est pas la seule réponse souhaitable à l'inclusion des élèves handicapés. Mais l'amélioration, notamment quantitative, de l'accompagnement est absolument nécessaire, et j'ai relevé que les plans mis en oeuvre au cours des deux dernières années ont eu pour effet un accroissement incontestable.

La loi de finances pour 2018 prévoyait la mobilisation de 10 900 nouveaux emplois d'accompagnement d'élèves pour la rentrée 2018-2019 : 6 400 au titre de la transformation des contrats aidés et 4 500 recrutements supplémentaires. En tout, 22 500 recrutements supplémentaires auront lieu au cours des cinq prochaines années. Pour la rentrée 2019-2020, la loi de finances pour 2019 a prévu 12 400 nouveaux emplois – 6 400 au titre de la poursuite de la transformation des contrats aidés et 6 000 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires. Á cela s'ajoute la poursuite du plan de « cédéisation » des AESH.

Nonobstant une amélioration incontestable, le Défenseur des droits continue de traiter de nombreuses demandes qui font apparaître l'absence d'accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire (AVS) en dépit d'une décision en ce sens de la MDPH, ce qui compromet gravement la scolarité des enfants. Nous faisons le nécessaire, dans les limites de notre pouvoir, auprès des établissements scolaires. Nous soulignons également auprès d'eux qu'il n'est pas possible de refuser de scolariser un enfant parce qu'il n'a pas d'accompagnement et que l'accompagnement n'est pas la seule réponse satisfaisante à la scolarisation d'un enfant handicapé.

Nous avons aussi noté des pratiques illégales au sein des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) dont certaines, dans leurs notifications, conditionnent l'octroi d'un AVS aux moyens dont disposent les services départementaux de l'Éducation nationale pour y répondre. Nous intervenons auprès des MDPH afin de les rappeler à leurs obligations légales : il appartient à la commission départementale d'évaluer et de se prononcer sur les besoins de compensation du handicap de l'enfant indépendamment des moyens nécessaires et disponibles pour y répondre. En français dans le texte, cela s'appelle un droit fondamental ; il ne peut donc être conditionnel.

La création d'un statut pérenne d'accompagnant – celui d'AESH, associé à un contrat à durée indéterminée – n'a pas résolu à lui seul les problèmes de recrutement et de stabilisation dans l'emploi des AVS, vous le savez. Le métier n'est pas suffisamment attractif, il y a beaucoup de temps partiel et de changements, et les réclamations adressées au Défenseur des droits font également apparaître un manque de coordination dans le recrutement des AVS entre les rectorats et les établissements d'enseignement privé sous contrat. Parce qu'il est de la compétence de l'État de recruter des AVS, nous avons pris le 2 mars 2018 une décision recommandant de clarifier les conditions de recrutement des AVS dans ces établissements.

Je voudrais faire un sort à la question des pôles inclusifs d'accompagnement localisé (PIAL), dispositif introduit à l'article L. 351-3 du code de l'éducation par le projet de loi pour l'école de la confiance. Les PIAL étant issus de la concertation « Ensemble pour une école inclusive », je fais une parenthèse pour souligner qu'au cours de la réunion du comité d'entente handicap qui a eu lieu hier, plusieurs associations ont exprimé le regret que cette concertation ait été souvent formelle, et dit n'avoir pas eu l'impression d'être suffisamment entendues. Le dispositif d'accompagnement organisé en pôles au niveau des établissements scolaires nous paraît être une solution pour pallier le manque d'AESH AVS en permettant la couverture des besoins grâce aux moyens alloués mais aussi aux modulations et à l'adaptation des aides et de leur durée, a priori en accord avec la famille et les directeurs des MDPH. Cette approche semble donc privilégier les accompagnements mutualisés. Mais que se passera-t-il quand le besoin d'un AVS est clairement identifié ? La vigilance s'imposera sur le bilan, prévu en juin prochain, des expérimentations de PIAL faites dans certaines académies depuis la rentrée 2018. C'est sûrement une voie, mais il faudra mesurer si elle permet vraiment de répondre aux besoins et si elle donne satisfaction aux familles.

Le quatrième sujet dont je souhaite vous entretenir est celui des aménagements de la scolarité et des examens. Beaucoup de réclamations nous arrivent qui ont trait aux défauts d'aménagement de la scolarité, en particulier pour des enfants présentant un trouble de neurodéveloppement, qu'il s'agisse de troubles « dys », de troubles du comportement ou d'enfants autistes. Que ce soit dans le cadre d'un PPS ou dans le cadre d'un PAP, les parents ont du mal à obtenir des aménagements de la scolarité de ces enfants, qu'il s'agisse d'aménagements pédagogiques, de tiers-temps, d'accompagnement par une aide humaine individualisée ou mutualisée ou d'une réduction du temps de scolarité, et nous avons été saisis de quelques cas de sanctions disciplinaires à caractère discriminatoire.

Très souvent, ces saisines traduisent un manque de formation et d'accompagnement des professionnels de l'éducation et encore trop fréquemment une représentation discriminatoire, voulant que les enfants en situation de handicap ne relèvent pas du milieu ordinaire. L'un des axes de la concertation « Ensemble pour l'école inclusive » est le renforcement de la formation des équipes pédagogiques. C'est à nos yeux une priorité impérieuse car, je l'ai déjà dit, en matière de handicap la France a une culture de retard par rapport à d'autres pays. Certaines professions ne sont pas assez sensibilisées et formées à ces questions, dont les enseignants. On ne peut le leur reprocher car c'est une question encore très nouvelle pour eux : ils ne sont ni suffisamment formés ni suffisamment accompagnés pour accueillir en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap.

J'appelle l'attention sur le fait que les sorties et les voyages scolaires font partie intégrante de la scolarisation des enfants et qu'il appartient aux équipes pédagogiques d'anticiper les mesures nécessaires pour permettre la participation des enfants handicapés à ces sorties. Or, certains statuts d'AVS interdisent de participer à des voyages avec nuitées. Le Défenseur des droits ayant alerté le ministère de l'éducation nationale à ce sujet, celui-ci a adressé à ses services la circulaire du 3 mai 2017 dans laquelle il précise que seuls les AESH peuvent, dans le cadre de la durée réglementaire du temps de travail, exercer l'accompagnement des enfants lors des sorties ou voyages scolaires avec nuitées et des stages. En conséquence, afin de garantir la continuité de l'accompagnement par le même personnel, les services responsables du recrutement des personnels chargés de l'aide humaine doivent privilégier un accompagnement par un AESH et non par un AVS lorsque les élèves doivent effectuer un stage durant l'année scolaire ou s'ils sont susceptibles de bénéficier d'une sortie ou d'un voyage scolaire avec nuitées. Le Gouvernement envisageant de transformer tous les AVS en AESH, la question ne devrait ne plus se poser à terme, mais pour l'instant ce n'est pas le cas et il faut être particulièrement vigilant à ce sujet.

Nous sommes aussi préoccupés par l'augmentation du nombre de saisines concernant l'inclusion des élèves en situation de handicap en établissements d'enseignement privés et par le défaut de sécurisation par l'État du parcours scolaire de ces enfants, en dépit de l'obligation donc l'État est débiteur aux termes de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Le Défenseur des droits a été saisi de refus de scolarisation et de sanctions disciplinaires à caractère discriminatoire. Nous avons appelé l'attention du ministère de l'éducation nationale sur ces difficultés mais, pour l'instant, nous n'avons pas reçu de réponse satisfaisante à nos décisions de février et mars 2018.

En ce qui concerne les aménagements d'examens, nous nous félicitons globalement du dispositif, relativement bien pensé, complet et précis qui permet de rétablir l'égalité à l'égard des élèves en situation de handicap, mais, au regard des réclamations qui nous parviennent, nous notons des difficultés dans l'application de ce dispositif : nous constatons un écart entre les aménagements accordés dans le cadre de la scolarité et ceux accordés dans le cadre des examens : les familles qui nous saisissent font état de ce que leur enfant, dont la scolarité a pourtant été aménagée pendant l'année, se voit refuser l'aménagement de l'examen. Les difficultés rencontrées concernent plus spécifiquement les enfants présentant un trouble du neurodéveloppement qui bénéficient d'un PAP et à qui l'on refuse des aménagements d'épreuves d'examen au motif qu'ils ne relèveraient pas d'un dispositif et d'une décision de la MDPH. Or, les aménagements d'examen ne se limitent pas aux seules personnes ayant fait l'objet d'une reconnaissance du handicap par la MDPH : légalement, un enfant répondant à la définition du handicap – comme c'est le cas des enfants présentant un trouble du neurodéveloppement – mais qui n'a pas fait l'objet d'un PPS ne peut être par principe exclu du dispositif d'aménagement des examens.

Par ailleurs, les saisines adressées au Défenseur des droits traduisent très souvent un manque de formation et d'accompagnement des professionnels de l'éducation aux questions des aménagements de la scolarité et des examens. Nous constatons un manque de sensibilisation des acteurs – par exemple les jurys d'examen – à la philosophie générale de ce dispositif qui ne vise pas, contrairement à ce que l'on pense, à octroyer un avantage à l'enfant ou à l'adolescent handicapé mais à rétablir l'égalité. On constate une suspicion à l'égard de l'élève en situation de handicap, comme s'il bénéficiait d'une faveur.

Incidemment, c'est l'un des points que j'ai soulignés à propos de la procédure Parcoursup. J'ai pris une décision spéciale concernant les élèves handicapés présentant des candidatures au site Parcoursup, en soulignant qu'il fallait prendre garde à ce que les aménagements en cours en ce qui les concerne ne soient pas considérés par certains décideurs comme des avantages dont ils auraient bénéficié. J'ai inscrit cette mise en garde dans la recommandation que nous avons faite au mois de janvier sur la situation des élèves handicapés qui soumissionnent à Parcoursup.

La complexité des demandes et la procédure de demande d'aménagement, menée parfois tardivement – souvent par défaut d'information des parents –, ne permettent pas toujours de mettre en place les aménagements nécessaires ni d'utilement exercer les recours avant le déroulement des examens. Le problème d'information préalable relève probablement des rectorats. Le Défenseur des droits recommande de rendre automatique l'évaluation des besoins d'aménagement des examens pour les enfants en situation de handicap justifiant d'un aménagement de leur scolarité, sans que les familles aient à en faire la demande. Je demande simplement que l'on soit logique…

L'accès aux études supérieures des élèves handicapés n'a cessé de progresser. Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), la proportion augmente de 13,5 % en moyenne chaque année depuis la rentrée 2006. En 2015, 49 % des personnes handicapées étaient sans diplôme ou ne possédaient que le brevet, contre 28 % de la population générale, et 25 % étaient titulaires du baccalauréat, d'un brevet professionnel ou davantage, contre 49 % de la population générale. La marge de progrès est donc encore considérable, mais nous avons constaté une hausse des effectifs étudiants handicapés, surtout à l'université, principalement au niveau de la licence ; peu d'étudiants handicapés vont jusqu'au master.

Des difficultés persistant, nous nous sommes saisis d'office de la situation des élèves handicapés dans le cadre de Parcoursup, après avoir constaté que cinq académies seulement avaient pris des mesures particulières en faveur des élèves handicapés dans la formule appliquée cette année. Nous avons demandé la généralisation de ces mesures et, dans la perspective de Parcoursup 2019 nous avons pris la décision que j'ai rappelée tout à l'heure et constaté que le ministère y a, semble-t-il, été sensible, si bien qu'il y aura cette année des aménagements pour les élèves handicapés dans l'ensemble des académies.

Pour ce qui est de l'aménagement des études et des examens dans l'enseignement supérieur, j'appelle l'attention sur le rapport pour 2017 de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur : elle écrivait que l'entrée dans l'enseignement supérieur constitue une rupture pour les bacheliers handicapés plus encore que pour les bacheliers valides. Elle remarquait que les dispenses d'apprentissage de langues vivantes accordées aux élèves handicapés dans l'enseignement secondaire les empêchent de poursuivre certaines études dans certaines filières dans l'enseignement supérieur. Elle soulignait que des élèves se voient opposer des refus d'aménagement d'épreuves d'examens, par exemple le recours à un logiciel de traitement de texte avec correcteur d'orthographe – nous avons eu connaissance de cas de ce type pour des étudiants atteints de troubles « dys » –, la numérisation des documents pour un étudiant dyspraxique dans le cadre de l'examen pour un brevet de technicien supérieur (BTS) agricole, ou encore le respect d'un temps minimum de pause et de repas entre deux épreuves qui avait été réclamé comme un aménagement pour des étudiants handicapés.

S'agissant de l'aménagement des études, le code de l'éducation prévoit que les accompagnants des élèves en situation de handicap peuvent être recrutés pour exercer des fonctions d'accompagnement auprès des étudiants en situation de handicap inscrits dans les établissements d'enseignement supérieur. Cette obligation figure dans le code de l'éducation, mais parce que les universités sont autonomes et parce que, comme nul ne l'ignore, elles ont des contraintes financières, le droit n'est pas toujours respecté et les étudiants handicapés ne bénéficient plus, une fois entrés à l'université, de l'accompagnement humain qui leur avait été accordé dans l'enseignement secondaire.

J'en viens à l'évaluation des besoins et des solutions à mettre en place pour le périscolaire. C'est un sujet sur lequel je me suis penché dès ma prise de fonction, en 2014. Cette année-là, les nouveaux rythmes scolaires se mettaient en place et je me suis rendu compte que rien n'était prévu à ce sujet pour les élèves handicapés. Nous avons créé un groupe de liaison avec le ministère de l'éducation nationale à ce sujet et traité de cette question de manière particulièrement active dès cette époque.

Trois problèmes se posent. Le premier tient à l'absence d'évaluation et donc d'objectivation des besoins d'accompagnement des enfants handicapés dans les temps périscolaires et extra-scolaires ; le deuxième concerne la prise en charge financière de cet accompagnement ; le troisième a trait à l'absence d'aménagement raisonnable.

L'évaluation des besoins de compensation de ces enfants par les MDPH est morcelée, hétérogène et parcellaire. Les besoins d'accompagnement des enfants en situation de handicap sur les temps périscolaires varient selon les MDPH : certaines se prononcent sur les besoins d'accompagnement dans le temps périscolaire, d'autres limitent strictement leur intervention au temps scolaire, le temps extra-scolaire ne faisant l'objet d'aucune évaluation par les MDPH. Pourtant, l'évaluation apparaît comme un moyen d'objectivation du besoin et, par définition, comme un préalable nécessaire à une réponse adaptée aux besoins des personnes handicapées. L'évaluation globale des besoins de compensation pendant tous les temps de vie de la personne en situation de handicap doit donc être clarifiée et les pratiques des MDPH doivent être harmonisées afin de garantir l'égalité de traitement. Cependant, au regard de ce qu'était la situation il y a quatre ans, les progrès sont manifestes, et un nombre grandissant de MDPH évaluent le besoin d'accompagnement dans le temps périscolaire.

La deuxième difficulté a trait au financement des activités périscolaires. Comme il s'agit d'un service public facultatif, ces activités, quand elles sont créées, ont vocation à s'ouvrir à tous les élèves, élèves handicapés compris, et la commune doit mettre en place des aménagements permettant à ces enfants d'accéder à l'ensemble des activités périscolaires. L'article L. 917-1 du code de l'éducation prévoit la possibilité pour les communes de passer une convention avec l'Éducation nationale afin que des AESH puissent être mis à leur disposition dans le temps périscolaires ; en ce cas, conformément aux articles L. 916-2 et L. 216-1 du même code, leur rémunération incombe à la commune. Cependant, les cas dont nous sommes saisis montrent des problèmes récurrents à ce sujet, les communes estimant qu'il appartient à l'État de prendre en charge ces rémunérations. En effet, le Conseil d'État a reconnu dans un arrêt du 20 avril 2011 l'obligation pour l'État de prendre en charge les mesures propres à assurer l'accès des enfants handicapés aux activités périscolaires – en l'espèce, l'accompagnement de l'enfant par un AVS pendant le temps de la cantine – alors même que ces activités ne relèvent pas en tant que telles de la compétence de l'État, dès lors que ces mesures apparaissent comme une composante nécessaire à la scolarisation de l'enfant et qu'elles sont préconisées par la commission départementale. Mais, dans ce cas d'espèce, il s'agissait de la pause méridienne et l'incertitude demeure pour les temps périscolaires, avant et après l'école, ce qui permet à des communes de refuser d'accueillir des enfants handicapés dans ces temps-là.

Le Défenseur des droits a également été saisi à plusieurs reprises de la question de l'application de tarifs « extérieurs » – c'est-à-dire de tarifs appliqués aux élèves valides résidant hors de la commune où ils sont scolarisés – pour la restauration scolaire aux élèves handicapés scolarisés en unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS), alors même qu'ils n'ont pas d'autre choix de scolarisation. Les traitements sont très disparates : certaines communes appliquent aux enfant scolarisés en ULIS le tarif de résident local, d'autres appliquent un tarif extérieur et certaines ont organisé entre communes des conventionnements spécifiques. Mais, dans beaucoup de cas, les familles règlent les frais de restauration scolaires selon des régimes différents, ce qui entraîne des inégalités territoriales. Les maires le justifient par le principe de libre administration des collectivités territoriales, mais nous disons qu'il s'agit d'une discrimination indirecte au préjudice des enfants en situation de handicap scolarisés en ULIS – si j'ose dire, une discrimination de plus.

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