Intervention de Jacques Toubon

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 18h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Les discriminations en raison du handicap pour les enfants qui nous sont le plus fréquemment signalées concernent les enfants atteints de troubles « dys » et les enfants autistes. Pour les cas de discrimination en raison du handicap pour les adultes, les cas les plus fréquents sont l'absence d'aménagements dans l'emploi. Il y a donc une spécificité de la situation des enfants, qui doit être prise en compte. C'est ce que nous avons mis en exergue dans notre rapport pour 2018 consacré aux droits de l'enfant, intitulé « De la naissance à six ans : au commencement des droits ». Les annonces relatives à la mise en oeuvre du quatrième plan autisme faites hier vont dans le bon sens. Il faut espérer qu'elles auront une traduction effective, particulièrement en termes de dépistage – pour ce qui est de la gratuité du diagnostic, des progrès sont absolument indispensables.

Au sujet de la formation et de l'insertion professionnelles, je ne peux pas faire état de situations particulières : la question est culturelle. Dans notre pays, on a traditionnellement considéré que les enfants porteurs de handicap relevaient de l'enseignement « spécialisé », selon le terme longtemps en usage. Le passage à l'école inclusive « de droit » signifie que les enfants handicapés relèvent d'abord de l'école ordinaire et que certains, comme je l'ai souligné, doivent relever d'établissements particuliers parce que leur handicap est trop lourd. Or, nous n'en sommes pas là : l'évolution depuis 2005 – depuis bien plus longtemps, en fait – a été trop lente et notre pays se caractérise notamment par une insuffisance dans la formation et l'insertion professionnelles. Nos écoles, collèges et lycées continuent d'accueillir beaucoup trop d'enfants handicapés en les considérant comme des charges alors que la vocation naturelle de l'école et de tous ses personnels devrait être de scolariser les enfants quels qu'ils soient. Sans être un spécialiste des questions de formation des éducateurs, je pense que votre commission d'enquête devrait traiter de la formation dispensée aux enseignants dans les écoles du professorat. Les modules de formation, les stages, l'insertion professionnelle doivent absolument comporter des éléments massifs et prioritaires à ce sujet ; c'est la seule façon de faire avancer les choses.

Un enfant handicapé scolarisé dans une école française à l'étranger a les mêmes droits à l'éducation et donc à l'accompagnement scolaire qu'un enfant scolarisé sur le territoire de la République ; telle est la réponse théorique. Nous avons une affaire à l'instruction à ce sujet, et notre décision sera bientôt publiée. Vous pouvez nous soumettre le cas auquel vous avez fait référence ; cela alimentera notre réflexion.

J'ai dit toute ma prudence au sujet du PIAL. Cela consiste-t-il à permettre, par la mutualisation en particulier, d'adapter les moyens aux besoins, ou finira-t-on avec ce dispositif par limiter les besoins aux moyens ? Je ne prends pas le pari et c'est pourquoi j'ai été extrêmement prudent. Hier, lors du comité d'entente handicap, nous avons constaté la méfiance de certaines associations à ce sujet, mais mon rôle n'est pas de faire des procès d'intention : si ce système peut fonctionner, c'est-à-dire s'il permet de satisfaire les besoins, tant mieux.

Pour ce qui est de l'enseignement privé sous contrat, le principe est d'une part l'égalité de traitement des enfants, d'autre part que l'AESH est financé par l'État.

S'agissant de l'éclaircissement du droit, nous avons passé près d'une année et demie, quand nous avons commencé à nous occuper du périscolaire et de l'extra-scolaire, à discuter avec le ministère de l'éducation nationale, le ministère de la santé et des affaires sociales, le secrétariat d'État chargé des personnes handicapées, et les départements qui ont une MDPH l'interprétation de je ne sais plus quel article du code de l'éducation ! C'est à la suite de cet épisode que nous avons créé le groupe de travail dont j'ai parlé tout à l'heure avec la DGESCO. Effectivement, chacun tente d'interpréter le droit de manière à renvoyer la responsabilité à l'autre – cela vaut en particulier pour l'État et les communes ; c'est pourquoi j'ai cité un arrêt du Conseil d'État qui sert précisément à fixer les interprétations. Pour reprendre votre expression, je pense que l'on éclaircit le droit pied à pied, et non pas avec des doctrines clairement établies permettant de dire en bloc : « ça oui, ça non ». J'aimerais bien qu'il en soit ainsi mais, malheureusement, on n'en est pas là. Mais je comprends très bien que, comme pour toutes les questions qui relèvent des politiques de solidarité décentralisées et pour lesquelles les capacités budgétaires des collectivités territoriales sont donc en jeu, les édiles tentent éventuellement de s'appuyer sur certaines appréciations juridiques pour éviter des charges supplémentaires.

Pour ce qui est des voyages scolaires, les nuitées à l'extérieur ne figurent pas dans les contrats des AVS, mais les AESH peuvent en faire ; quand il n'y aura plus que des AESH, la question de fond sera réglée. Quant au problème connexe que vous posez, il trouvera sa solution dans l'organisation du voyage longtemps à l'avance : alors, si un AESH est empêché de partir pour une raison familiale, on saura à temps qu'il faut un autre accompagnant. Tout voyage scolaire auquel participent des enfants handicapés implique naturellement une longue préparation ; si on improvise, on butera systématiquement sur le fait que l'on ne peut emmener l'enfant parce que son accompagnant n'est pas disponible.

L'école inclusive est la norme, je l'ai dit, et une évolution culturelle considérable doit intervenir à ce sujet.

La dématérialisation est, dans tous les domaines, une source de progrès à condition que ce soit un progrès pour tous et pour toutes. On ne peut dire d'un progrès réservé à quelques-uns, ou dont on ne peut faire bénéficier dix, vingt ou trente pour cent de la population selon les cas, que c'est un progrès, parce que c'est une manière de créer de nouvelles différences. Or, tout notre travail consiste justement à faire que, malgré les différences, notamment celles dont souffrent les personnes handicapées, chacun soit traité également grâce aux politiques de compensation et, par exemple, grâce à l'inclusion scolaire. On peut utiliser les nouvelles technologies de manière très efficace. Nous avons fait beaucoup de travaux et pris beaucoup de décisions sur l'accessibilité, et je vous ai donné l'exemple de certains logiciels qui ne sont pas utilisables pour les examens. La question de la dématérialisation doit être envisagée de manière globale : c'est un bien si c'est un progrès pour toutes et pour tous, un mal autrement. Si, comme je l'ai montré pour les formalités administratives, la dématérialisation écarte un quart de la population, ce n'est pas acceptable. Il faut tenir spécifiquement compte de la situation des personnes handicapées, plus particulièrement à l'école. Des expériences ont lieu aujourd'hui avec l'utilisation de nouvelles technologies, extrêmement positives pour les élèves scolarisés. Il faut poursuivre cette politique. L'inclusion scolaire doit aller de pair avec l'inclusion numérique, qui peut indiscutablement la favoriser. Mais si l'on ne prend pas de précautions, on peut aboutir à des exclusions, ce que nous avons dénoncé pour les formalités administratives.

Enfin, je vous recommande instamment de traiter aussi de l'accueil de loisirs. Une mission a rendu un rapport à ce sujet il y a un mois ; nous en avons été à l'origine, car le sujet est aussi important que celui des voyages et la situation n'est pas satisfaisante.

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