Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je ne suis pas sûr de réussir à répondre, dans mon propos liminaire, à toutes les questions qui ont d'ores et déjà soulevées, mais j'imagine que vous poserez de nouveau celles que j'aurai oubliées.
Je voudrais commencer par vous rappeler que l'Autorité de la concurrence est à la fois généraliste, en termes de secteurs couverts, et spécialisée, dans la mesure où elle se concentre sur les questions liées à la concurrence. Nous ne suivons pas au jour le jour l'intégralité des enjeux de l'électricité, mais c'est un sujet qui, dans les dernières années, nous a occupés un certain nombre de fois. En matière d'électricité, nous sommes compétents pour ce qui est de contrôler les pratiques anticoncurrentielles et les concentrations, comme pour tout autre marché ; s'agissant de notre activité consultative, nous intervenons de plusieurs manières, dans le cadre de saisines soit obligatoires soit facultatives émanant du Gouvernement ou bien, par exemple, de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, comme cela a été le cas au moment de la discussion de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) ; enfin, nous avons une compétence un peu particulière, qui a été précisément fixée dans la loi NOME : l'Autorité de la concurrence est en charge de rendre un rapport tous les cinq ans sur le déroulement et le fonctionnement de l'ARENH, ainsi que son évolution. Le premier rapport que nous avons rendu en la matière – et qui est aussi le dernier à ce jour – date de décembre 2015.
Je vais commencer, puisque vous m'y avez invité, par évoquer les deux avis que vous avez cités. Je reviendrai toutefois, à un moment ou un autre, sur la philosophie plus générale du système de régulation.
Comme vous l'avez souligné, ces deux avis ont des points communs. Je ne pense pas qu'il faille se focaliser sur les divergences avec la CRE : il vaut mieux s'intéresser à ce qui ressort de ces avis. En l'occurrence, ce que nous apprennent nos réflexions et les discussions qui ont eu lieu au cours de l'élaboration de ces avis, c'est que le dépassement du plafond de l'ARENH témoigne du fait que le système actuel de régulation a montré ses limites.
Je reviendrai brièvement sur les caractéristiques du marché et du système français. En effet, dans notre pays, la situation est particulière, ce qui nous amène à composer pour mettre en place le système de régulation de l'électricité – du reste, on ne retrouve pas les mêmes problèmes pour le gaz. La place du nucléaire pose des questions et nécessite un fonctionnement un peu particulier. La commission Champsaur avait posé les bases de la loi NOME, et elle disait très clairement dans son rapport que, de son point de vue, le nucléaire n'était pas ce qu'on appelle une « facilité essentielle ». Dans les discussions qui se sont ensuivies – cela apparaît très clairement, par exemple, dans la décision rendue par la Commission européenne en 2012, qui examinait une grande partie du dispositif français en matière d'électricité pour déterminer s'il existait des aides d'État –, on a bien vu qu'il y avait une difficulté, ce que l'on appelle une « défaillance de marché » – le terme n'étant, d'ailleurs, pas forcément péjoratif. Le nucléaire crée des avantages non réplicables ayant des conséquences sur le fonctionnement du marché, conséquences que le droit de la concurrence, c'est-à-dire le contrôle ex post des pratiques anti-concurrentielles, ne peut ou n'entend pas résoudre.
Le droit de la concurrence, c'est-à-dire le contrôle ex post des pratiques concurrentielles, ne peut pas traiter lui-même ces conséquences. C'est dans ce type de cas que l'on a besoin d'un système de régulation.
On y a réfléchi : le système qui a été mis en place avec la loi NOME est l'ARENH, qui s'ajoute à d'autres systèmes de régulation, comme celui des tarifs réglementés de vente (TRV). Ce dispositif a un certain nombre de caractéristiques, notamment le fait qu'il est temporaire et limité en volume. Deux ou trois objectifs, selon les distinctions que l'on établit, ont été fixés. Le premier d'entre eux consiste à permettre la concurrence en aval, c'est-à-dire sur le marché de détail, dans le but – et c'est le deuxième objectif – de faire bénéficier le consommateur de la compétitivité du parc nucléaire. Le troisième objectif était de donner le temps aux fournisseurs alternatifs, aux futurs concurrents sur le marché, de mettre en place des capacités de production et de remonter la chaîne de valeur pour être capables de faire concurrence à l'opérateur historique, à la fois sur le plan de la production et sur celui du marché de détail. L'idée sous-jacente, que l'on retrouve dans une partie des débats parlementaires, était de se dire que lorsque l'on aurait atteint ce plafond, on se trouverait dans une situation où les fournisseurs alternatifs auraient vraisemblablement développé des capacités et seraient en mesure de concurrencer et de se développer d'une manière autonome.
Dès les premiers rapports et comptes rendus sur le fonctionnement de la loi NOME, notamment dès 2014 et 2015 en ce qui concerne l'Autorité de la concurrence, on a vu que le troisième objectif n'était pas atteint et que le fonctionnement de la loi n'avait pas permis une remontée de la chaîne de valeur et la mise en place de nouvelles capacités de production.