Oui, je parle des EnR, mais il me semble que l'idée, dans les premières discussions, était également de savoir s'il pouvait y avoir un investissement dans des centrales nucléaires – non pour en construire de nouvelles, mais sous la forme d'un droit de tirage particulier dans des centrales nucléaires. A priori, tout semblait possible, mais on s'est vite rendu compte que ce n'était pas le cas.
En ce qui concerne l'Autorité de la concurrence, la question de savoir ce que l'on devait faire s'est posée dès 2015. Fallait-il considérer que l'ARENH était un dispositif transitoire, que l'on irait jusqu'au bout de ce dispositif mais que l'on s'arrêterait là ? Dans ce cas, il fallait commencer à anticiper une sortie progressive du dispositif. Ou bien, si l'on se rendait compte que le dispositif n'avait pas fonctionné ou, en tout cas, qu'il n'avait pas atteint tous les objectifs voulus, il fallait penser déjà au coup d'après. Dès cette époque, il nous semblait important de se positionner sur la poursuite ou non de l'ARENH.
En 2019, nous faisons face à une situation inédite dans laquelle le plafond de l'ARENH est dépassé à un moment où – cela n'a pas toujours été le cas, comme en 2016 – le prix sur les marchés de gros est supérieur à celui de l'ARENH. On voit bien qu'il y a une difficulté : ce système ne parvient pas à atteindre en même temps les différents objectifs qui lui ont été fixés. C'est une transposition du triangle d'incompatibilité : on ne peut pas avoir en même temps, dans le système actuel, un plafond qui reste fixé à ce niveau, des tarifs réglementés qui n'augmentent pas et protègent le consommateur, et des alternatifs qui peuvent entrer sur le marché et proposer des offres concurrentielles par rapport à EDF.
Le point commun entre les deux avis que nous avons rendus est que nous sommes dans une situation dans laquelle on sent bien la tension entre les objectifs de la loi. On voit qu'il y a une difficulté et que la seule façon de la surmonter, en réalité, est de passer par la loi. Les principales composantes des objectifs ou des façons d'arriver à les réaliser sont, en effet, fixées par la loi.
C'est une des difficultés avec le décret qui fait l'objet de notre premier avis. D'abord, l'esprit qui anime ce décret est présenté, en partie, comme résultant du jeu du droit de la concurrence. Sur ce point, nous essayons d'expliquer la différence entre, d'une part, les objectifs du droit de la concurrence et ce qu'il permet de faire et, d'autre part, d'autres objectifs, notamment de régulation, qui ont été fixés par la loi en France. S'il faut les changer, c'est aussi dans ce cadre. On sent qu'il y a dans le décret un changement de nature du dispositif de régulation, qui est peut-être le bon ou non – c'est peut-être une partie de ce qui pourrait être fait –, mais on voit mal comment ce changement de nature pourrait être réalisé par décret, sans débat public, sans que le Gouvernement et le Parlement se positionnent sur les objectifs que le dispositif de régulation doit atteindre. Autre problème que l'on sent poindre, on risque d'avoir avec cette logique, comme vous l'avez rappelé, une confusion entre les objectifs que les différents outils de régulation doivent atteindre, à savoir l'ARENH et les tarifs réglementés de vente.
Quelles sont nos conclusions dans le cadre du second avis ? Elles sont assez similaires aux précédentes. Pour être honnête, et compte tenu du serment que j'ai prêté, je dois rappeler que si l'Autorité de la concurrence ne s'est pas prononcée sur les tarifs réglementés de l'électricité, elle l'a fait à propos de ceux du gaz, avant le début de la procédure qui a conduit à ce que l'on en recommande la suppression prochaine. L'Autorité de la concurrence n'est pas fondamentalement, ou à l'origine, la plus favorable à ce type de tarifs car ils distordent la concurrence. C'est une exception au droit de la concurrence, et ces tarifs doivent être bien encadrés. Nous nous sommes prononcés, je le répète, sur les tarifs du gaz, mais pas sur ceux de l'électricité.
Le débat a, de toute façon, été tranché et ce n'est pas à l'Autorité de la concurrence de décider si ces tarifs doivent être maintenus ou non. Ce n'est pas son rôle. La France a défendu leur maintien et elle l'a obtenu, notamment devant le Conseil d'État. Mais il y a une difficulté : si on l'a fait, c'était pour faire bénéficier le consommateur d'une stabilité des prix et, d'une manière générale, de la compétitivité du parc nucléaire français. Or on arrive à une situation dans laquelle la mise en oeuvre des différents instruments de régulation aboutirait à ce que les tarifs réglementés ne remplissent pas leur objectif. Il nous a semblé qu'il fallait discuter de cette difficulté, de manière à ce que le Gouvernement puisse se prononcer sur la question de savoir si une telle situation est effectivement une conséquence nécessaire et que, dans ce cas, on dise clairement que les tarifs réglementés, à l'heure actuelle, ne peuvent plus atteindre leur objectif, mais aussi que le Parlement puisse éventuellement se prononcer sur cette question.
Voilà ce qui nous paraît les questions essentielles dans ces deux avis. Il y a, et vous l'avez peut-être vu, des éléments juridiques, mais on peut en discuter, à la rigueur. Au-delà, et quelles que soient les réponses juridiques, il y a des éléments d'arbitrage d'un type plus politique sur ce que l'on veut faire de nos différents outils. Si ceux qui existent à l'heure actuelle conduisent, comme nous le craignons, à une situation dans laquelle les injonctions sont contradictoires, il faut remettre à plat la question en se demandant ce que l'on veut faire. Ce n'est pas l'Autorité de la concurrence qui peut réaliser ce travail, mais plutôt le Gouvernement et le Parlement. J'imagine que c'est en partie la raison pour laquelle vous m'avez demandé de venir devant vous.