Intervention de François Brottes

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

François Brottes, président du directoire de RTE :

Je ne voudrais surtout pas dire PACA, car sinon…

Dans ces péninsules historiquement électriques, même si c'est un peu moins vrai pour la dernière, les citoyens – plusieurs dizaines de milliers – sont au rendez-vous quand on leur envoie un petit message par SMS : ils acceptent de laver un peu plus tard à la machine leur vaisselle ou leur linge, ce qui représente 1 ou 2 % de la consommation. Ce n'est pas mal : enlever 2 % en période de pic permet souvent de passer la difficulté.

En ce qui concerne le stockage, il faut évoquer les différentes techniques plutôt que parler de cette question de manière générale. Les technologies se caractérisent notamment par différents dimensionnements, selon la puissance de la capacité de stockage d'énergie. L'énergie, c'est le stock ; la puissance, c'est la capacité à charger ou à décharger le stock rapidement. C'est très important : on ne peut pas comparer deux stockages si l'on ne regarde pas comment ils libèrent l'énergie, à quelle vitesse et avec quelle puissance. En fonction du ratio puissanceénergie des batteries, les moyens de stockage peuvent rendre différents services aux réseaux.

RTE s'intéresse à l'ensemble des technologies. Nous avons, bien entendu, des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) dans le réseau, qui représentent environ 4,5 GW – Mme Battistel le sait bien ; mais les nouveaux gisements sont assez limités. Des batteries lithium-ion sont en cours de raccordement au réseau, notamment pour participer au réglage de la fréquence, avec des capacités de stockage de plusieurs dizaines de minutes. Je rappelle que l'électricité est l'énergie, la puissance, la fréquence et la tension : il faut que tout ce petit monde fonctionne selon des normes bien précises si l'on ne veut pas que le réseau s'écroule. Ceux qui entrent sur le réseau, y compris dans le cadre du déstockage, doivent épouser l'intérêt commun qui est lié à ces curseurs. Certains de nos clients s'intéressent aussi à l'installation de volants d'inertie – on en fabrique en France, d'excellente qualité – mais ils ne stockent pas beaucoup et libèrent très vite – en sept secondes. Cela peut néanmoins permettre de régler des problèmes de tension. Certains industriels ne se privent pas de s'y intéresser, mais on voit bien qu'il s'agit d'un usage marginal par rapport à d'autres techniques.

RTE a obtenu l'autorisation du régulateur, qui est pragmatique, je l'ai dit, pour installer des batteries sur le réseau afin de gérer des problématiques locales : c'est le projet RINGO. Nous sommes en train d'installer des batteries en trois points du territoire continental pour stocker du trop-plein d'énergie qui arrive dans le réseau à un moment où l'on n'en a pas besoin dans une région, tout en déstockant ailleurs le même volume dans le même temps. On le fait car, sinon, les producteurs pourraient dire que RTE perturbe le marché. En réalité, cela ne change rien à la demande de production au niveau global : c'est seulement une façon de ne pas avoir à réaliser des infrastructures. C'est pourquoi nous parlons de « lignes virtuelles » dans notre jargon. Avec l'accord de la CRE, nous avons permis l'émergence, ou la valorisation, de la filière industrielle française du stockage, qui compte peu d'acteurs, il faut le reconnaître. Nous allons pouvoir tester en vraie grandeur. Le régulateur nous a demandé de mettre la part de stockage que nous n'utiliserions pas pour nos propres besoins à la disposition des acteurs de production, afin qu'ils aient un hub de stockage à prix coûtant, sous le contrôle du régulateur. C'est en cours.

L'hydrogène, c'est un peu une tarte à la crème, si vous voulez bien me pardonner cette vulgarité, et cela prête à bien des confusions.

Celle-ci porte d'abord sur les différentes sources d'hydrogène. Il y a de l'hydrogène « gris », pas propre, produit à partir du méthane selon un processus de vaporeformage émetteur de CO2, de l'hydrogène « bleu », produit selon le même processus de vaporeformage mais avec une capture du CO2 émis – c'est presque de l'hydrogène propre –, et de l'hydrogène « vert », complètement propre, produit par électrolyse après d'électricité issue d'énergie renouvelable.

Il existe aussi une confusion en ce qui concerne les usages. On distingue les usages directs actuels, dans l'industrie, comme la fabrication d'engrais ou d'ammoniac, les usages directs futurs, par exemple la mobilité grâce à l'hydrogène, et les usages indirects via une injection dans le réseau de gaz, avec du méthane dans de faibles proportions – de 2 à 10 %. Dans ce dernier cas, on l'injecte après transformation en méthane de synthèse – c'est ce que l'on appelle la méthanation – en utilisant les infrastructures actuelles, avec beaucoup de perte.

Nous sommes proactifs sur l'ensemble des éléments de stockage, car il ne faut pas perdre de temps pour comprendre. Nous avons un partenariat avec GRTgaz à Fos-sur-Mer pour tester la mise en oeuvre de l'hydrogène dans le réseau de gaz – c'est le « Power-to-Gas ».

Il y a une confusion, je l'ai dit, sur les différentes justifications des développements de l'hydrogène. On parle de « verdir » le système gazier. L'alternative serait l'électrification des usages. Il est question de soutenir la flexibilité du système électrique en apportant une solution de stockage-déstockage – c'est ce que j'ai évoqué. J'y crois, à une échelle de temps qui n'est sûrement pas de cinq ans, mais le prototype va nous permettre de savoir si cela tient la route sur le plan économique et industriel. Les équipes de RTE considèrent qu'il n'y a pas d'intérêt à intégrer cela dans le système avant 2035, mais si nous attendons cette date pour comprendre le fonctionnement et pour être performant, on risque d'avoir des problèmes. Il ne s'agit pas d'une solution immédiate aux problèmes que nous rencontrons, c'est vrai, mais il y a là potentiellement une solution d'avenir. C'est pourquoi nous travaillons sur le projet « Jupiter 1 000 ». Pour ce qui est des industriels qui se raccordent directement aux réseaux de transport, je signale que deux unités de H2V ont déjà été raccordées, à Dunkerque et en Normandie, à Port-Jérôme – ce sont des fabricants d'hydrogène. Nous ne sommes pas face à quelque chose qui relèverait du mythe : cela devient une réalité qui commence à prendre corps.

J'ai senti que vous vouliez aussi m'interroger sur le véhicule électrique du point de vue de la flexibilité. Nous estimons qu'il y aura environ 16 millions de véhicules électriques en 2035. En tant que gestionnaires du réseau et garants de l'équilibre du système électrique, nous disons que cela peut être une chance considérable, à condition que le pilotage soit vertueux. Si tout le monde recharge où il veut, quand il veut, à la vitesse qu'il veut et pour obtenir le volume qu'il veut, on n'y arrivera pas : ce sera très compliqué. Pour donner une idée de la consommation d'énergie, 16 millions de véhicules représentent 35 térawattheures, soit l'équivalent de ce que consomme la région Nouvelle-Aquitaine – mais c'est moins que le chauffage électrique. Quel serait l'impact des appels de puissance sur le réseau et des pointes de consommation ? L'enjeu est là : un million de véhicules électriques représentent une pointe de près de 700 MWh s'il n'y a pas de pilotage. Nous étudions comment faire pour que ce soit une chance plutôt qu'une source d'embêtements – nous en parlerons fin mai.

Seize millions de véhicules électriques, ce sont 16 millions de batteries que l'on peut piloter pour soutenir le réseau. C'est l'équivalent en énergie de dix fois les STEP dont on dispose aujourd'hui. Il faut bien avoir conscience que c'est colossal, si c'est bien piloté. L'intérêt est de pouvoir stocker et déstocker : on stocke quand il y a une abondance d'électricité, typiquement la nuit, et on déstocke dans des moments où une question de pointe va peut-être demeurer. Si l'on pilote bien, on peut réaliser entre 1 et 1,5 milliard d'euros d'économies par an pour le système électrique européen. Il y a donc un enjeu de pilotage. Le législateur et ceux qui font les règlements devront certainement adopter une approche un peu coercitive afin que ce ne soit pas « open bar » – pardonnez-moi cette expression triviale. Sinon, nous ne réaliserons pas les gains considérables que je suis en train d'évoquer.

Je pourrais vous en dire encore beaucoup sur la flexibilité, mais je pense que j'ai déjà abusé du temps qui m'était imparti…

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