Le chiffre de 3 000 – donné depuis très longtemps – correspond à nos estimations. Nous ne pensons pas qu'il ait connu des variations importantes au cours des dernières années, même si on peut parfois avoir cette impression lorsque certains groupes deviennent très actifs sur certains territoires. Mais il s'agit simplement de l'activation de réseaux déjà existants.
Les universitaires ont également dû en faire longuement état : nous sommes face à des réseaux très instables, avec beaucoup de passages d'un groupe à l'autre, de départs. Ces groupes constituent des sortes de sas pour toute une partie de la jeunesse. Leurs actions sont plus ou moins médiatisées et les phases de médiatisation plus ou moins importantes.
Cela étant, un nouvel activisme s'est sans doute développé après l'échec de Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2017. La dynamique et la perspective d'une éventuelle victoire avaient en effet canalisé certaines énergies extrémistes. Le crash public de Marine Le Pen lors du débat d'entre-deux tours de l'élection présidentielle, puis sa défaite, ont sans doute entraîné une résurgence d'activisme dans des groupes qui ne recherchent pas spécialement la respectabilité, mais ont une volonté de visibilité et d'alternative à l'action politique démocratique et légale. Néanmoins, je ne pense pas que le nombre d'activistes concernés ait beaucoup varié.
En tout état de cause, il ne faut pas se focaliser seulement sur les activistes : il faut aussi s'intéresser aux dynamiques et aux effets de levier. Les salles de sport, qui ont été évoquées, visent clairement les activistes. Mais il existe aussi toute une série de rassemblements musicaux dont la capacité d'influence est bien plus importante. Ainsi, Blood & Honour – qui a été dissous – organisait dans les monts du Lyonnais des concerts particulièrement marqués idéologiquement, puisqu'il s'agissait de black metal néonazi. L'objectif de ces rassemblements est précisément d'étendre l'influence…
Le deuxième élément à avoir à l'esprit, c'est évidemment la nouvelle caisse de résonance offerte par internet, phénomène nouveau.
Vous m'avez interrogé sur l'existence d'une éventuelle Internationale de l'extrême droite. Je ne sais pas vraiment ce que cela signifie… Que des gens qui ont pour point commun de ne pas aimer les Arabo-musulmans, les Noirs et les Juifs entrent dans une forme de communauté d'esprit et se reconnaissent comme appartenant à des réseaux qui luttent tous contre l'abomination que représenterait le grand remplacement – l'invasion par les musulmans du territoire européen –, c'est évident. Il est évident qu'internet met en relation ces différents groupes ou militants beaucoup plus facilement. Mais je ne sais pas si parler d'Internationale de l'extrême droite a du sens, car cela peut donner l'impression d'une structuration qui n'existe pas.
Si une Internationale structurée existait, il serait alors facile d'identifier ce contre quoi combattre et ce qu'il y aurait à démonter. Malheureusement, les relations entre les différents groupuscules d'extrême droite sont assez peu formalisées. Même dans les groupes d'extrême droite beaucoup plus structurés – le Rassemblement national ou d'autres partis européens –, la question des alliances n'est pas toujours simple.
Certes, après Christchurch, on peut dire qu'un Australien est passé par l'Europe et a commis un attentat terroriste en Nouvelle-Zélande et qu'il y a un aspect international mais la thématique d'une Internationale de l'extrême droite me paraît malgré tout assez impressionniste.
Sur la proposition de loi relative à la haine sur internet, le testing que nous avions réalisé en 2016 avec l'Union des étudiants juifs de France montrait une absence patente de modération chez Facebook – le moins mauvais des réseaux sociaux – mais également Twitter et YouTube. Cela avait contribué à la prise de conscience des défaillances de la modération sur les plateformes numériques et sur internet.
La proposition de loi reprend une partie des préoccupations portées par les associations, notamment en ce qui concerne les obligations qui incombent aux principales plateformes, l'identification de responsables légaux, le retrait rapide des sites incitant à la haine. Mais nous attendons encore des avancées. Ainsi, le responsable légal doit-il non simplement être un référent, mais avoir une responsabilité civile et pénale, ce qui permettrait d'actionner les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse y compris contre ces responsables légaux. S'agissant de la question de l'anonymat, nous souhaitons qu'il y ait une procédure de validation, qui ne doit pas passer nécessairement par la transmission d'une pièce d'identité – cela poserait toute une série de problèmes – mais qui doit au moins prévoir un numéro de téléphone ou une adresse mail, ce qui permettrait aux plateformes de disposer de données d'identification, même imparfaites, et faciliterait la fermeture des comptes de personnes qui se cachent derrière l'anonymat pour agir et contre lesquelles aucune action judiciaire n'est possible en l'état actuel du droit. Si elles ont commis des délits, il faut faciliter la fermeture des comptes de ces personnes qui tiennent absolument à rester dans l'anonymat.
Enfin, l'article de la proposition de loi concernant les pouvoirs donnés à l'administration de fermer des sites dont les contenus ont déjà été sanctionnés par un tribunal nous préoccupe un peu. Le parquet pourrait en effet procéder à ces fermetures. Cela constituerait une garantie plus forte en matière de respect des droits, d'autant que c'est déjà la pratique. Ainsi le parquet a-t-il réagi avec une grande réactivité lorsque le site « Démocratie participative », qui avait été fermé par la justice, a rouvert quasiment à l'identique avec de nouvelles adresses. Il n'est donc pas nécessaire d'octroyer des pouvoirs supplémentaires à l'administration, le parquet étant parfaitement compétent et réactif.