L'intérêt de la création de pôles anti-discriminations au sein des parquets est largement tempéré par le fait que quasiment aucune affaire ne remonte à la justice. En effet, si la discrimination continue d'être perçue comme devant faire l'objet de plaintes, essentiellement de la part des victimes, il n'y aura jamais de plainte, car on ne sait en général pas que l'on est discriminé. Si l'on sait que l'on s'est fait taper dessus, qu'est-ce qui permet de savoir en revanche que l'on est victime d'une discrimination ? Bien entendu, SOS Racisme procède à des testing afin de révéler des cas de discrimination. Mais, dès lors que l'on ne vous donne pas explicitement les raisons pour lesquelles vous n'avez pas été pris, il est extrêmement compliqué de porter plainte. La lutte contre les discriminations doit évidemment passer par la justice : nous nous efforçons précisément de judiciariser toute une série de situations à travers nos testing et de sensibiliser les gens au fait que la loi punit les discriminations. Mais la question d'une politique publique proactive visant à débusquer les situations de discrimination demeure posée si l'on veut vraiment lutter contre ce phénomène.
De façon plus générale, si l'on veut vraiment faire émerger un droit contre la discrimination, et plus généralement contre le racisme, les personnes qui s'en estiment victimes doivent pouvoir ester en justice, et la qualification doit pouvoir être retenue, quitte à ce qu'elle soit retirée ultérieurement au cours de l'instruction ou du procès. Aujourd'hui, dans nombre de situations dans lesquelles la question du racisme, de l'origine ou de la couleur de peau, etc. entrent en jeu dans la commission d'une infraction, ces dimensions ne sont pas retenues par la police ou la justice, ce qui fait que les enquêtes ne s'orientent pas vers ces sujets. De fait, lorsque l'on ne cherche pas un délit, on ne le trouve pas. Il y a là quelque chose de très pervers. C'est pourquoi il serait intéressant de réfléchir à l'adaptation en France de la solution retenue en Grande-Bretagne après le rapport Macpherson.
Enfin, à moins que l'information ne nous revienne pas, soit les pôles anti-discriminations n'ont pas été mis en place par les parquets, soit ils l'ont été de façon tellement ineffective que nous ne sommes pas au courant de leur existence.
Par ailleurs, puisque le ministère de la justice affirme que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme fait partie de ses priorités, il serait bon qu'il associe davantage le monde associatif à ses réflexions avant de prendre des circulaires, dont nous apprenons la publication par la presse. Lorsque l'on fait une circulaire pour faciliter les enquêtes, les dépôts de plainte, etc., il serait peut-être opportun de consulter les associations, qui sont tout de même en première ligne face aux difficultés. Nous aurions ainsi pu demander que les associations reconnues pour leur travail en la matière soient, par exemple, exemptées de consignation lorsqu'elles veulent ester en justice. Cela aurait été utile. Encore eût-il fallu nous avertir de la préparation d'une circulaire – je pense à celle qui a été annoncée récemment par la garde des sceaux.
Par ailleurs, nous sommes partenaires de la DILCRAH et nous portons une appréciation très positive sur son action, au-delà des subventions qu'elle nous verse. Cette structure, souple et réactive, a donné une bouffée d'air financière aux associations de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations. Bien sûr, nous souhaiterions qu'elle bénéficie de plus de moyens. C'est évidemment en quelque sorte un plaidoyer pro domo, car la question des moyens supplémentaires est celle des subventions. Mais ce point est loin d'être négligeable alors que nous sommes confrontés, ces dernières années, à des phénomènes violents. Il n'est pas évident aujourd'hui de lutter contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.
Ainsi, en général les associations ne disposent-elles pas de leur propre community manager, parce que ce poste implique un salaire. Compte tenu de la violence qui s'exprime, le bénévolat ne suffit pas : il faut aussi, au sein des associations, des personnes dont c'est le métier. On nous demande souvent de présenter des projets élaborés et très léchés pour obtenir des subventions. Mais le simple fait de disposer de fonds dédiés pour payer un community manager changerait la vie de tout le monde et permettrait aux associations d'avoir un impact plus fort sur internet. C'est encore plus vrai pour les associations « traditionnelles » que nous représentons ici, nées avant internet, et qui ont pris du retard à cet égard. Elles ont en effet longtemps privilégié les médias classiques comme canal de communication. Or, aujourd'hui, les modes de recueil de l'information et la façon dont on discute ou échange échappent largement aux médias classiques ainsi qu'à leurs forums.