Intervention de édouard Sauvage

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

édouard Sauvage, directeur général de GRDF :

Dans un logement, le rendement d'une molécule de gaz utilisée dans une chaudière à condensation est pratiquement de 100 %. Mais si vous la brûlez dans une centrale à gaz pour produire de l'électricité, le rendement tombe à 50 % – les plus performantes, assez minoritaires, ne dépassent pas 60 %. Ce à quoi il faut ajouter les pertes liées à l'effet Joule sur le réseau électrique, même si elles sont assez marginales. Globalement donc, le rendement d'une molécule de gaz est deux fois plus élevé si vous brûlez cette molécule directement dans le logement que si vous la brûlez de manière centralisée dans une centrale électrique.

On sait ensuite que la transition énergétique coûte cher. Pour décarboner, on dispose de deux solutions : soit réduire la consommation, soit décarboner les vecteurs. Toute solution consistant à investir de l'argent pour passer d'un vecteur à un autre n'offrant pas de gain immédiat en termes de bilan carbone, dans un souci d'efficacité de la dépense, qu'elle soit publique ou privée, nous recommandons donc de se concentrer sur les vecteurs existants pour s'efforcer soit de les décarboner efficacement, soit de réduire leur consommation d'énergie, qu'il s'agisse de fioul, de charbon, d'électricité ou de gaz. Mais basculer d'un vecteur à un autre n'est a priori pas de nature à améliorer le bilan carbone.

Enfin, il faudrait développer davantage l'analyse des différentes politiques énergétiques menées en coût par tonne de CO2 ou par tonne de gaz à effet de serre évitées. Or la programmation pluriannuelle de l'énergie ne propose aucun bilan de ce type pour les différentes mesures proposées, qu'il s'agisse du développement des énergies renouvelables – encore faudrait-il débattre de la répartition prévue entre gaz et électricité renouvelables –, de l'amélioration de l'efficacité énergétique ou des certificats d'énergie électrique (CEE). Certes, ces bilans sont compliqués à réaliser, et il y aura toujours des experts pour débattre de l'opportunité de raisonner en coût moyen ou en coût marginal, mais ne pas les faire est une erreur : c'est la certitude de ne pas opter pour les meilleures politiques publiques.

La seconde erreur consiste à ne pas tenir compte dans le bilan carbone de l'ensemble du cycle de vie d'un produit. Or les données sont connues : on sait, par exemple, que le biométhane, le nucléaire et l'éolien présentent des résultats à peu près similaires, soit une vingtaine de grammes de CO2 par kilowattheure, tandis que le photovoltaïque atteint cinquante-cinq grammes de CO2, dans la mesure où une partie des panneaux solaires est fabriquée dans un pays où le mix électrique est très carboné. Nous plaidons donc pour des débats beaucoup plus soutenus, animés par le ministère ou le régulateur, sur l'impact des politiques menées en termes d'émissions de CO2.

De ce point de vue, sommes convaincus, à GRDF, que le développement de la méthanisation doit être fortement encouragée, et ce pour plusieurs raisons.

Pour commencer, comme l'a rappelé Thierry Trouvé, les coûts d'investissement sur le réseau ne posent pas de problème à proprement parler. Nous avons envisagé, avec l'ADEME, le scénario, extrême en termes d'investissements et en termes d'unités à raccorder, d'une production réalisée en totalité à partir de gaz renouvelable : dans un coût de revient qui tournait autour de 100 euros par mégawattheures, la part liée aux réseaux était de l'ordre de 3 euros… En vérité, l'enjeu est bien davantage dans la production et, comme pour GRTgaz, toutes nos simulations effectuées à partir de l'hypothèse des 10 % de gaz renouvelables à l'horizon de la PPE convergent vers des montants d'investissement stables par rapport à notre niveau actuel, parfaitement en ligne avec nos investissements historiques. En d'autres termes, le fait de disposer d'un réseau efficace et pour partie déjà amorti doit nous permettre de substituer aux investissements de développement du réseau des investissements en faveur de la méthanisation, à coût inchangé pour le consommateur, s'agissant des tarifs d'accès au réseau de distribution.

En ce qui concerne enfin le coût lui-même du gaz renouvelable, la filière prioritaire est évidemment celle du recyclage des déchets, dont nous maîtrisons la technologie, qu'il s'agisse de méthaniser les boues des stations d'épuration, les déchets ménagers putrescibles ou les déchets agricoles, qui représentent 80 % du potentiel de la filière.

Sur ce dernier point, nous avons considéré qu'il fallait associer à nos réflexions aussi bien le Fonds mondial pour la nature (WWF) que la FNSEA ainsi qu'un certain nombre d'associations environnementales, dans la mesure où l'approche de la méthanisation en termes d'impact environnemental est indissociable du développement d'une agriculture durable : non seulement elle permet le recyclage des déchets et favorise donc la réduction des gaz à effet de serre, mais elle a également l'avantage de réduire les engrais azotés, grâce à l'utilisation des digestats. Il est donc essentiel de prendre en compte ces externalités positives lorsqu'on évalue l'intérêt de cette filière par rapport aux autres.

En termes de compétitivité stricto sensu ensuite, elle apparaît également tout à fait compétitive par rapport à d'autres filières renouvelables : selon les chiffres de la CRE, le tarif de rachat du mégawattheure produit est en légère progression depuis une dizaine d'années, il est en diminution pour le photovoltaïque, mais demeure très élevé – autour de 300 euros le mégawattheure, contre 90 euros pour l'éolien ; quant au gaz renouvelable, son tarif de rachat est de 95 euros par mégawattheure, et son coût de production proche de celui de l'éolien.

Il faut bien distinguer ici le coût de production du mégawattheure et sa valeur. Or nous disposons pour le gaz d'infrastructures permettant de le stocker sans difficultés, ce qui fait que, globalement, compte tenu de la flexibilité des réseaux et du fait qu'il est techniquement simple d'installer des compresseurs « rebours » permettant de renvoyer le gaz produit vers le stockage, il est possible de l'utiliser à n'importe quel moment de l'année pour un coût additionnel quasiment minime.

Si le gaz se stocke sans difficulté, on sait au contraire que le stockage de l'électricité renouvelable pose un problème majeur : à titre d'illustration, sur ces six derniers mois, les prix du marché de gros de l'électricité ont varié en France entre 250 euros, à la pointe de dix-neuf heures en novembre, et des prix négatifs, dimanche en huit à quinze heures. On a donc affaire à des prix extrêmement volatils, alors que, pour le gaz, les prix des marchés de gros sont restés stables sur les six derniers mois, entre 15 et 24 euros. De ce fait, le coût de production du gaz correspond peu ou prou à sa valeur, alors que la valeur de l'électrique renouvelable dépendra évidemment du prix de marché au moment de la production. À cet égard, le gaz renouvelable est moins cher aujourd'hui que l'énergie renouvelable dernière génération : l'éolien a légèrement augmenté avec les nouvelles mises en service de 2018.

S'il est donc exact que le gaz renouvelable est plus cher que le gaz importé – 90 euros contre 20 euros –, en revanche, dans l'optique de la décarbonation, il est aujourd'hui tout à fait compétitif par rapport aux renouvelables électriques, a fortiori si l'on prend en compte les externalités positives pour un modèle agricole durable. Nous sommes donc convaincus que c'est cette énergie que les pouvoirs publics auraient intérêt à subventionner le plus largement.

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