Je regrette que nous n'ayons pas eu l'occasion d'aborder davantage l'aspect sociétal des choses au cours de cette audition, car c'est un aspect qui joue souvent un rôle clé pour la mise en oeuvre réussie d'un dispositif. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la voie la plus soutenable est celle de l'efficacité et de la frugalité énergétiques. Or, selon l'ADEME, un grand nombre de rénovations énergétiques réalisées n'améliorent pas la classe énergétique des bâtiments rénovés, ce qui est paradoxal ; par ailleurs, des sondages ont montré que, pour la plupart des Français, on rénove surtout pour se faire plaisir, pour l'agrément ; économiser l'énergie, ce n'est pas leur souci, c'est celui des pouvoirs publics. Du coup, ils ne s'engagent dans de telles opérations que lorsqu'il existe des dispositifs incitatifs, sous la forme de subventions ou d'avantages fiscaux.
Cette façon de penser est très paradoxale, car le premier bénéficiaire d'une diminution de la consommation d'énergie est bien l'occupant du logement concerné ! Il s'agit là d'une problématique majeure en termes d'acceptabilité des projets de renouvelables, et il y a indéniablement un travail à faire pour améliorer l'appropriation par l'ensemble de la société de l'intérêt de la frugalité – je crois que cela fait partie des premières restitutions du Grand débat, que je n'ai pas eu le temps d'examiner dans le détail –, une frugalité envisagée dans son acception environnementale la plus large, et dont la frugalité énergétique n'est qu'une des composantes. Dans ce domaine, les choses s'améliorent, et il n'est pas exclu que, dans un futur plus ou moins proche, on puisse avoir une approche plus efficace, ce qui permettrait aux aides de produire un effet de levier beaucoup plus puissant.
Enfin, pour ce qui est de la réallocation des moyens qui a été évoquée, au-delà des moyens eux-mêmes, la stabilité des dispositifs est essentielle. Quand vous avez un crédit d'impôt transition énergétique qui fait l'objet de modifications incessantes – chaque année, on supprime ci ou ça, on baisse tel ou tel taux, et les textes d'application des lois ayant vocation à préciser les choses mettent des mois à être publiés –, on aboutit à un système qui est le pire qu'on puisse imaginer. En effet, face à une telle incertitude, les seuls à se lancer dans la réalisation d'un tel projet sont ceux qui n'avaient pas réellement besoin de l'aide, puisqu'ils ne savaient pas cela leur rapporterait… Au final, vous vous retrouvez dans un système doublement pervers, puisqu'on dépense l'argent du contribuable sans aucun effet incitatif !
La stabilité des politiques d'incitation est primordiale pour que les acteurs concernés s'engagent. Cela vaut pour la méthanisation, où la production de gaz issu de cette filière coûte aujourd'hui 90 euros le mégawattheure : les prix vont baisser régulièrement, mais seulement à condition que les acteurs de la filière puissent compter sur une certaine stabilité des règles du jeu. Le stop and go qu'ils ont connu au cours des dernières années – notamment quand on leur a imposé de diminuer leurs coûts de production d'un tiers en trois ans –, ne peut que favoriser la multiplication à court terme de projets de qualité médiocre et réalisés dans de mauvaises conditions, donc voués à l'échec. Il faut s'adresser aux acteurs de la filière en les considérant comme les industriels responsables qu'ils sont, et en leur permettant de disposer d'une visibilité grâce à laquelle ils seront en mesure de s'améliorer progressivement.