Intervention de Cédric Philibert

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 16h40
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) :

Monsieur le président, vous avez posé deux questions. Je choisis de répondre en priorité à la seconde, qui relève davantage de mon champ de compétences actuelles que sont les énergies renouvelables.

L'Agence internationale de l'énergie surveille ce marché d'assez près. Sa publication annuelle consiste en un rapport de marché rapportant ce qui s'est passé au cours de la dernière année ou des deux dernières et en une prévision pour les cinq années à venir, assortie d'une analyse de sensibilité. L'Agence a donc une bonne vision du contexte.

Nous participons aussi à des exercices plus prospectifs, qui sont des scénarios se fondant sur des hypothèses, qui ne sont donc pas des prévisions.

Parmi ces scénarios, citons les scénarios à long terme, notamment un scénario dit de développement durable par lequel nous essayons de répondre aux besoins de l'humanité en énergie, ce en termes de coûts, d'accès à l'énergie, de réduction de la pollution atmosphérique à l'intérieur des locaux ou dans les milieux urbains, et de réduire les émissions de gaz à effet de serre, grosso modo compatibles, à une limitation du réchauffement de deux degrés. Nous avons publié et publierons des scénarios plus ambitieux qui cherchent à se rapprocher d'une augmentation d'un degré et demi.

Dans tous ces scénarios, les énergies renouvelables ainsi que les économies d'énergie jouent un rôle décisif : elles représentent entre les deux tiers et les trois quarts de la production mondiale d'électricité à l'échéance 2040 ou 2050.

D'autres scénarios s'appuient sur une augmentation de la production nucléaire au plan mondial, sur une part non négligeable de thermique fossile avec la capture et le stockage de CO2, et de fuel switching, c'est-à-dire plus de gaz et moins de charbon – en proportion, beaucoup moins de charbon. Mais dans toutes les hypothèses, l'essentiel de la production électrique mondiale sera assuré par les énergies renouvelables. Parmi ces énergies renouvelables, quatre sont majeures.

La bioénergie n'est pas forcément majeure dans l'électricité, mais l'est dans le bilan énergétique global. Elle représente aujourd'hui à peu près la moitié de la production de la contribution des énergies renouvelables au bilan énergétique mondial. J'évoque la bioénergie sous toutes ses formes : liquide, solide, via l'électricité, via les transports, et surtout via la chaleur – la chaleur industrielle en particulier.

Ensuite, nous avons l'hydroélectricité, qui ne date pas d'aujourd'hui mais qui reste une énergie en croissance, notamment grâce aux grands barrages dans les pays émergents. Elle représente à peu près 20 %.

Enfin, les « deux petits nouveaux » que sont l'éolien et le solaire sont sur des pentes de croissance extrêmement fortes et représenteront à terme 20 % à 25 % de la production électrique mondiale.

Ces scénarios sont des scénarios d'optimisation économique sous contrainte. Par exemple, on pose une contrainte de CO2 et on cherche les solutions les plus économiques. De ce point de vue, à long terme, les renouvelables font partie du panier des mesures économiques indispensables pour atteindre les objectifs que l'humanité s'est fixés à Paris en 2015 dans le cadre de la COP21. Il existe des variantes mais elles sont plus ou moins mineures. Les autres scénarios, ceux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) comme d'autres instituts, convergent en ce sens.

Comment se fait-il que les renouvelables, qui, il y a quelques années, paraissaient si coûteux, figurent à une place aussi importante dans des bilans qui sont économiquement les moins coûteux ? La raison tient à l'effondrement des coûts. Je m'en explique dans la mesure où vous avez évoqué la notion de coût complet. Nous mesurons le coût actualisé de ces énergies, ou plutôt leur coût lively, c'est-à-dire réparti sur la durée de vie, technique ou économique, des investissements. Ce coût s'est effondré ces dernières années : de 40 % pour l'éolien et de 75 % pour le solaire photovoltaïque, ce qui est considérable. En dix ans, l'effondrement est de plus de 80 %.

Bien sûr, il faut distinguer le coût comptable du coût économique. C'est ce dernier qui est déterminant. Il convient de définir combien coûtera, dans les trente ans à venir, une installation que nous mettons en service aujourd'hui, sachant qu'au départ l'investissement est important, mais les dépenses de mise en oeuvre extrêmement faibles dans le cas du solaire et assez faibles dans le cas de l'éolien et de l'hydraulique. Cela s'oppose au coût comptable. Quel est aujourd'hui le coût d'un kilowattheure (KWh) solaire ou éolien dans le contexte français, compte tenu des infrastructures construites dans le passé ? Il existe une énorme différence entre ces deux coûts en raison de la très grande rapidité de la baisse des coûts des énergies renouvelables ces dernières années, notamment du solaire.

Aujourd'hui, en France, le solaire est produit par des installations qui ont été créées, conçues et financées il y a quatre ans, cinq ans, six ans, quand l'électricité coûtait quatre, cinq, six fois plus cher. Des engagements ont été pris pour rémunérer cette électricité sur la base de tarifs élevés, qui s'élevaient en France à plus de 300 euros par MWh alors que le KWh mis aux enchères aujourd'hui dans les centrales au sol trouve des offres à 55 euros, voire inférieures. On retrouve les mêmes prix un peu partout, le phénomène est mondial. Selon l'ensoleillement, les prix oscillent entre 25 euros, parfois moins, et 55 ou 60 euros maximum. Je parle des grandes centrales au sol. Le prix est plus élevé si l'énergie est produite par de petites centrales. Mais on arrive, pour les énergies massives, à des coûts extrêmement compétitifs. Le coût comptable moyen du KWh solaire avoisine aujourd'hui 200 euros. Vous pouvez trouver ces données dans un rapport de la Cour des comptes. Le coût prend en compte des KWh qui ont été rémunérés au départ à 360 euros le MWh. Il est important d'opérer cette distinction.

Quand vous nous interrogez sur le coût complet, j'imagine que vous nous interrogez sur les coûts éventuellement induits par la variabilité du solaire et de l'éolien. La question est tout à fait légitime.

Notre division compte une unité spécialisée dans l'intégration des énergies renouvelables. L'interaction entre ces énergies et le reste du système est éventuellement source de problèmes, la variabilité des énergies renouvelables n'étant pas seule en cause. Je m'explique : nous sommes confrontés à une variabilité naturelle de la demande, qui diffère le jour et la nuit, en hiver et en été.

Le système est déjà doté d'une certaine flexibilité, apportée par les centrales électriques, le thermique, l'hydroélectricité, les interconnexions, la présence de réseaux, certains systèmes de stockage, tels que les centrales de transfert d'énergie par pompage, importantes en France puisqu'elles produisent près de cinq gigawatts. Aujourd'hui, le KWh marginal éolien ou photovoltaïque ajouté dans le système n'a, en gros, aucun coût d'insertion. Il induit des coûts de connexion, qui sont supportés par les développeurs, mais n'induit aucun coût lié à la variabilité. La question est de savoir quand des investissements supplémentaires commencent à poser des problèmes particuliers d'insertion. D'après les expériences étrangères, les problèmes peuvent survenir au-delà d'un taux de pénétration de 20 % ou 30 % dans la consommation annuelle, sauf exception, sauf poches localisées, sauf implantation de l'ensemble des structures photovoltaïques dans un seul département. Globalement, il faut que les réseaux suivent, mais cela ne représente qu'une toute petite part des investissements dans les réseaux. Pour l'heure, il n'y a pas de coûts spécifiques d'insertion, et il n'y en aura pas avant d'atteindre un taux de pénétration de 20 % ou 30 %.

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