J'ai également travaillé sur les questions liées aux énergies renouvelables et je souscris largement à ce qui vient d'être dit.
Je répondrai à la question portant sur la taxe carbone, en lien avec l'article que nous avons publié à l'IDDRI. Comme la société d'une façon générale, nous avons été interpellés en tant que chercheurs sur ce qui s'est passé autour de cette question et nous nous sommes demandé pourquoi nous étions arrivés à une situation de gel.
La taxe carbone, qui est souvent présentée par les économistes comme une solution idéale, une solution à moindre coût, n'est pas facilement comprise par le citoyen. Parallèlement, il attend des actions visant à réduire les émissions de CO2 et au fait que la France respecte ses engagements climatiques.
Nous avons donc saisi l'occasion pour revisiter un peu le débat sur les avantages et les inconvénients de la taxe carbone.
La taxe carbone est un instrument utile et central de la transition, parce qu'il permet de changer les prix relatifs, d'investir dans des solutions vertueuses et de faire évoluer les comportements.
Néanmoins, la taxe carbone présente des limites, assez bien connues. L'hypothèse de la taxe carbone est appelée, en termes économiques, l'« élasticité prix », la capacité des gens à s'adapter à ce prix. Premier constat : tout le monde n'est pas égal face à cette capacité d'adaptation. La taxe carbone est régressive, elle touche une plus grande part des revenus des gens qui perçoivent le moins de revenus. Pour les 10 % de Français les plus modestes, elle représente 15 % de leurs revenus ; en comparaison, elle représente beaucoup moins pour les Français les plus aisés.
Deuxième constat : la possibilité de s'adapter dépend d'arbitrages collectifs – présence de transports en commun à proximité de son domicile, possibilité de se connecter à un réseau de chaleur.
Troisième constat : la taxe carbone n'est pas la seule taxe sur l'énergie. Il faut prendre en compte l'ensemble de la facture pour déterminer l'impact sur les ménages. Nous constatons que la France a bien rattrapé son retard en matière de taxation des carburants par rapport à d'autres pays qui ont mis en place une taxe carbone. Il ne faut donc pas s'attacher uniquement au prix de la taxe carbone, mais à l'ensemble de la taxation. Cela nous amène à dire que la taxe carbone est importante, mais que son gel, en soi, ne doit pas être dramatique pour la transition.
Il faut, au contraire, travailler à d'autres conditions nécessaires à la mise en place de la transition écologique. À cet égard, nous avons repéré quatre priorités.
Premièrement, il faut investir dans la transition écologique, qui réclame des moyens supplémentaires. Un think tank publie des panoramas sur les financements climatiques qui montrent que des investissements font défaut à la transition, notamment dans le bâtiment et les transports. Cela suppose de dégager les moyens pour y arriver. Autre exemple : le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Si l'on veut pousser ou aider les gens à modifier leur façon de se déplacer, il faut investir pour encourager des moyens alternatifs comme le vélo. Cela demandera de mobiliser des moyens – également sur les budgets publics. Comme je le disais précédemment, les gens ne peuvent pas faire tous les arbitrages par eux-mêmes.
Deuxièmement, la nécessité s'impose d'éviter de placer nos concitoyens les plus modestes dans une situation contrainte en raison de la transition. Vous citiez la tribune de M. le Professeur Geoffron. Il existe un consensus assez fort à l'heure actuelle entre de nombreux acteurs et experts sur la nécessité de réfléchir à une redistribution des recettes de cette taxe vers les citoyens, en particulier les plus modestes. Peut-être cela nécessite-t-il d'organiser un débat : la mesure portera-t-elle sur les 30 % ou 50 % de personnes les plus modestes ? En tout cas, une proposition existe, et on note, en se référant aux exemples à l'étranger, que cela participe à l'acceptation de cette mesure.
Troisième point : il y a un intérêt économique à supprimer les exemptions de la taxe carbone, nombreuses dans certains secteurs. C'est le cas du secteur de l'aviation et de celui du bâtiment et des travaux publics (BTP). D'un point de vue strictement environnemental, la meilleure manière de procéder consiste à étendre ce signal à l'ensemble des secteurs. C'est aussi une question de justice sociale.
Enfin, il conviendrait d'envoyer des signaux sur la transition aux secteurs. Des exercices nationaux sur la stratégie nationale bas carbone visent à placer la France sur une trajectoire de neutralité carbone en 2050. Que cela implique-t-il à l'échelle des secteurs et des individus ? Quelques signaux ont été émis. Par exemple, il est annoncé, pour 2040, la fin des véhicules thermiques, mais à quel moment un individu devra-t-il passer au véhicule électrique ou rénover son logement ? Ce sont des éléments utiles pour organiser les filières et pour que les gens anticipent leur changement de comportement, au-delà du fait d'imposer un prix.