Intervention de Cédric Philibert

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 16h40
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Cédric Philibert, analyste expert des énergies renouvelables à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) :

Monsieur le président, je reviens à votre première question : qu'est-ce que la transition ? L'objectif est-il le climat ? D'un point de vue mondial et européen, il y a aucun doute, c'est bien le climat.

La France est un cas assez original dans le monde, avec peu d'exemples comparables, sauf peut-être, d'une certaine façon, la Belgique ou la Suède, qui comptent une part de nucléaire assez importante. L'Allemagne, après Tchernobyl, est revenue à sa décision antérieure d'abandonner le nucléaire. La décision n'a pas été prise sur un coup de tête après Tchernobyl : c'était un retour à une décision transpartisane antérieure. Les renouvelables, en essor en Allemagne, ont progressivement remplacé le nucléaire mais n'ont pas permis la décroissance de la consommation d'énergies fossiles, du moins jusqu'à présent. On a même enregistré une légère augmentation de 2 % pendant deux années consécutives. Ce n'est pas considérable, mais c'était une augmentation et non une réduction. Les Allemands ont donc choisi de réduire le nucléaire avant de s'occuper des émissions de CO2. En France, on a décidé de mettre en place des éoliennes et du solaire pour remplacer le nucléaire. Selon moi, il faut s'attacher à la perspective des trente années qui viennent.

On a construit un parc impressionnant en un temps extrêmement court. Personne ne pense possible de réitérer le même exploit aujourd'hui avec les renouvelables ou quelque autre source d'énergie décarbonée que ce soit. Personne n'imagine qu'on va faire du nucléaire neuf, encore moins dans des quantités comparables à celles du passé. Une des questions est donc de savoir combien de temps on peut prolonger les centrales actuelles, dont l'âge moyen avoisine aujourd'hui les trente ans. On va certainement les prolonger, sous réserve des investissements supplémentaires qu'exigera l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour amener les centrales actuelles au niveau de sécurité, plus élevé, qui avait été exigé au moment de la conception de l'European Pressurized Reactor (EPR), et dont je ne pense pas qu'il puisse ni doive être réduit. On parle des investissements du grand carénage à hauteur de 40 milliards d'euros. Le montant des investissements ne sera sans doute pas le même dans toutes les centrales. J'exprime là une opinion personnelle et non pas une vue officielle. Lorsque l'on se réfère à ce qui s'est passé dans le monde en matière de centrales nucléaires, on constate qu'en général, c'est, in fine, l'exploitant qui les arrête, rarement l'autorité responsable de la sûreté nucléaire. En général, celle-ci autorise la poursuite sous réserve, par exemple du remplacement des générateurs de vapeur ou autres, pour un coût de 1 ou 2 milliards d'euros. On peut donc garantir dix ans de fonctionnement, mais cela reste à la merci d'un incident qui ferait que l'autorisation serait retirée du jour au lendemain. In fine, les exploitants ne souhaitent pas prendre ce risque, trop onéreux par rapport aux bénéfices.

La situation d'autres centrales est meilleure, qui ne nécessitent que 300 millions ou 500 millions d'euros d'investissements. L'exploitant sera heureux de le faire et de prolonger ainsi leur fonctionnement. Tout cela entraînera une décroissance progressive du nucléaire, que cela participe ou non d'un objectif politique, tout simplement parce que c'est inscrit dans les faits et qu'il peut difficilement en être autrement sur un plan pratique. On en prolongera certaines, non toutes, ce qui engendrera un déficit d'énergie. La question est de savoir si ce déficit d'énergie sera complété par d'autres énergies sans carbone, ou si l'on remettra plus de carbone dans le système, par exemple avec des centrales à gaz.

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