Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 17h00
Commission des affaires économiques

Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'inviter à m'exprimer sur un sujet que nous avons pris à bras-le-corps depuis deux ans, car nous avons la conviction que bénéficier d'une bonne couverture numérique et mobile n'est pas un luxe, mais un droit.

Pendant des années, on a brandi le numérique comme la solution à tous les maux que traversait le pays mais, contrairement à ce que l'on avait cru, le numérique n'a pas résorbé les fractures territoriales, ni au niveau des infrastructures — ce qui relève de mon portefeuille — ni à celui des usages — ce qui relève du secrétariat d'État au numérique. Au contraire, la fracture numérique les a accrues.

Devant ce constat, nous nous sommes emparés de ce sujet dès le début du quinquennat, avec pour boussole la perception de nos concitoyens. Ils n'en peuvent plus de devoir aller au fond du jardin pour espérer obtenir une connexion sur leur téléphone, de ne pas parvenir à entrer en communication avec les services de secours ou de voir leurs démarches administratives empêchées parce que leur connexion n'est pas stable. Tant que la perception de nos concitoyens n'aura pas changé, nous devrons poursuivre notre travail.

Lorsque nous avons commencé, les fondements de la couverture numérique devaient être changés. Il fallait d'abord revoir les décisions prises par l'État. En effet, on a généralement considéré que c'étaient les opérateurs qui étaient en faute, mais en réalité ils ont généralement atteint les objectifs que l'État leur avait fixés. Le problème vient du fait que l'État avait défini un système inadéquat pour assurer une couverture dans les zones rurales, en particulier pour la téléphonie mobile. Comme vous le savez, un opérateur de téléphonie mobile achète à l'État des fréquences qui lui permettent de faire fonctionner son réseau. Or jusqu'à présent, l'État avait toujours eu une approche strictement budgétaire de l'octroi de ces fréquences et se contentait d'organiser des enchères. Ainsi, sous le précédent quinquennat, une grande partie des dépenses allouées à la défense par la loi d'orientation sur la défense avaient été financées par l'octroi de fréquences par l'État.

La conséquence d'une telle politique est la suivante : les opérateurs développent leur réseau dans les zones les plus rentables pour recouvrer les sommes qu'ils ont versées à l'État. Les zones les plus denses, où il est plus facile de trouver des clients, étaient donc couvertes, tandis que les zones rurales ne l'étaient pas. C'est ce paradigme qu'il fallait changer pour trouver enfin des solutions durables afin d'assurer la couverture mobile dans les zones les plus rurales, comme le notaient de nombreux rapports parlementaires. Lors de l'octroi des fréquences de la 4G à l'été dernier, nous avons mis en place un nouveau système qui repose sur des engagements contraignants pour les opérateurs à investir dans les zones les plus rurales.

Ce nouveau paradigme a donné lieu au New Deal mobile conclu en janvier 2018 par l'ensemble des opérateurs sous le sceau de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Le New Deal repose donc, d'une part, sur l'engagement par l'État de changer le système d'octroi des fréquences en recherchant la couverture des territoires les plus ruraux, d'autre part, sur l'engagement des opérateurs à mettre en oeuvre le plus grand plan d'aménagement du territoire en matière de téléphonie mobile jamais conclu dans l'histoire de notre pays.

Ce plan comporte plusieurs objectifs. Premièrement, il vise à permettre à chaque commune d'avoir accès aux nouvelles technologies relevant de la téléphonie mobile, c'est-à-dire aujourd'hui à la 4G — permettez-moi de mettre de côté la 5G sur laquelle la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Mme Agnès Pannier-Runacher, le secrétaire d'État au numérique et moi-même continuons de travailler.

Aujourd'hui, plus de 10 000 localités ne bénéficient que de la 2G ou de la 3G, or la 4G est essentielle pour utiliser internet et obtenir des données sur un téléphone portable. Le New Deal a pour objectif d'équiper ces 10 000 localités, qui correspondent parfois à des communes entières, en 4G. Le déploiement de ce dispositif a déjà largement commencé, puisque, depuis la conclusion de ce New Deal le 1er janvier 2018, plus de 4 000 localités ont basculé de la 2G à la 4G, ce que nos concitoyens commencent à percevoir.

Deuxièmement, le New Deal vise à réduire les fameuses « zones blanches ». Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y avait officiellement 600 zones blanches, mais aujourd'hui on en compte beaucoup plus. Là encore, on avait tendance à accuser les opérateurs, alors que le vrai problème résidait dans le fait que le service public de la téléphonie mobile n'avait pas été bien défini. On considérait en effet que dès lors qu'existait une couverture dans les premières communes « à 500 mètres au-delà du clocher du village », c'est-à-dire de l'antenne de la téléphonie, le service était assuré, et que cette zone n'était pas une zone blanche. Aujourd'hui, on a changé cette définition pour considérer comme une zone blanche toute zone qui ne bénéficie pas d'une couverture de « bonne qualité ». Cette définition change tout. Cette décision me place dans une position paradoxale, puisque, au lieu des 600 zones blanches recensées à ma prise de fonction, je me suis créé des milliers de problèmes. Toutefois, lorsque l'on veut mener une politique publique efficace, on a un devoir de sincérité.

Nous avons imposé aux opérateurs, dans le cadre de ce New Deal, de couvrir chacun 5 000 zones blanches, ce qui est colossal. Un certain nombre de ces zones blanches seront couvertes de manière mutualisée. Par conséquent, les 4 opérateurs ne couvriront pas 20 000 zones blanches, mais 10 000 à 12 000 nouvelles infrastructures seront déployées.

Troisièmement, le New Deal vise à assurer une couverture des axes routiers et ferroviaires très empruntés, où l'on constate pour l'instant des coupures incessantes. Plus de 55 000 kilomètres de routes et plus de 23 000 kilomètres du réseau ferroviaire doivent ainsi être couverts. Indépendamment de la 4G, le New Deal permettra d'établir 10 000 à 12 000 « points hauts », c'est-à-dire des antennes, et du matériel actif, ce qui représente quasiment l'équivalent d'un cinquième réseau de téléphonie mobile.

Où en sommes-nous un an et demi après la conclusion de ce New Deal ? Premièrement, 4 000 localisations ont basculé vers la 4G.

Deuxièmement, nous avons décidé de couvrir les zones blanches de manière progressive, pour des raisons de capacité industrielle : chaque année, nous traiterons 700 à 900 zones blanches. Lors du dernier plan de résorption des zones blanches — qui n'en recensait que 600 —, on demandait aux opérateurs de s'engager à les couvrir, sans prévoir de sanctions, de surveillance, ni d'obligation de mise en service des pylônes. Ces pylônes étaient à la charge des collectivités, mais leur localisation était définie par les opérateurs et non par les élus locaux. Nous avons changé tout cela : chaque opérateur a l'obligation d'installer 5 000 pylônes, dont un certain nombre sont mutualisés. Les élus locaux identifient les sites, tandis que les pylônes sont à la charge de l'opérateur, qui a l'obligation de les mettre en service dans un délai d'un an après la signature de l'arrêté si la collectivité donne le terrain, ou de deux ans, si elle ne donne pas le terrain. Nous avons d'ores et déjà notifié 485 sites en juillet 2018, 115 sites en décembre 2018, et à nouveau 207 sites la semaine dernière, lors d'un déplacement avec le Premier ministre. La progression est donc très forte.

Troisièmement, il fallait changer d'approche pour le numérique et d'abord renforcer les financements. Depuis que nous avons sécurisé les financements du plan France très haut débit, plus de 1,6 milliard d'euros ont été octroyés à ce titre. Ensuite, les appels à manifestation d'engagements locaux (AMEL) sont déployés dans une quinzaine de départements, de manière à permettre 1,5 million de nouveaux raccordements à la fibre, qui sont financés par les entreprises et non par les collectivités.

Quatrièmement, nous avons institué des obligations. Jusqu'à présent, différents schémas existaient. Tout d'abord, les collectivités locales ont déployé des réseaux d'initiative publique (RIP). Dans ce cas, si l'opérateur n'atteignait pas les objectifs qui avaient été fixés, il devait payer des pénalités au titre du contrat. Ensuite, dans les zones très denses comme les centres-villes, les contraintes ne sont pas nécessaires, car la rentabilité est telle que les opérateurs se précipitent. Les zones d'initiative privée, ou zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII), constituent un cas intermédiaire : la répartition établie devant l'Autorité de la concurrence établissait des objectifs mais n'imposait pas aux opérateurs un calendrier de déploiement. Nous avons rendu l'ensemble de ces objectifs contraignants pour les opérateurs en utilisant l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, voté dans le cadre de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. S'ils n'atteignent pas les objectifs, l'ARCEP, devant laquelle cet accord a été signé, leur attribue des pénalités.

Cinquièmement, il fallait simplifier. C'est l'un des engagements que nous avons pris lors de la campagne, et nous l'avons honoré grâce à la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « loi ÉLAN ». Je souhaite saluer le travail de Mme Laure de La Raudière et de M. Éric Bothorel, ainsi que celui de Corinne Erhel, qui avait porté ce sujet avec tant de détermination à l'Assemblée, avant sa triste disparition. Ce travail a donné des résultats très concrets, puisque depuis le 1er janvier 2018, chaque jour ouvré, 13 000 Français obtiennent la possibilité de se raccorder à la fibre. Alors que 2 millions de prises étaient raccordées à la fibre en 2017, ce chiffre est passé à 3 millions en 2018, et sera porté à 4 millions en 2019. L'accélération est donc très significative.

Nous sommes déterminés à atteindre les objectifs fixés par le Président de la République : assurer un bon débit pour tous en 2020 et un très haut débit pour tous en 2022. La cellule France très haut débit et la cellule France mobile, pilotées par M. Cédric O, Mme Agnès Pannier-Runacher et moi-même, assurent un suivi mensuel afin de vérifier, département par département, si les objectifs sont atteints.

Alors que, il y a deux ans, les élus locaux me parlaient systématiquement des infrastructures du numérique, dans le Grand débat national, les échanges ont porté sur les usages plutôt que sur les infrastructures. Cela prouve que les résultats du travail entrepris dans les territoires depuis notre prise de fonction commencent à être visibles. Ces résultats doivent encore être améliorés, mais nous sommes sur la bonne voie.

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