Intervention de Mamédi Diarra

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Mamédi Diarra :

Merci de votre question qui me permet de revenir sur une partie de ma vie.

Pendant une grande partie de ma vie à l'ASE, on ne m'entendait pas. Comme je le dis souvent, on écoute les enfants, mais on ne les entend pas. Ça entre par une oreille, ça sort de l'autre. À chaque fois que l'on ne m'a pas écouté, cela a mené à des difficultés monstrueuses.

J'ai été placé une première fois dans un établissement à Sucy-en-Brie. Cela se passait très bien. Au bout de trois ans, s'est posée une nouvelle fois la question de savoir s'il fallait que je retourne chez mes parents. J'avais été placé parce que mon père ne sortait pas, ne nous inscrivait pas à l'école alors que j'avais atteint l'âge de sept ans. De multiples difficultés de ce type s'additionnaient. On avait repéré également qu'il avait une pathologie psychiatrique sans savoir ce que c'était. Lui ne s'estimait pas malade, il ne voulait donc pas être soigné, mais il n'était pas suffisamment malade pour qu'on fasse une injonction de soins. Lui était donc malade, nous, nous étions en foyer, nous subissions la situation.

On nous a demandé si nous voulions rentrer à la maison. Moi qui étais un enfant plutôt très lucide et très mature pour mon âge – je n'avais que onze ans, mais cela n'empêchait pas –, j'ai refusé. La juge a, quant à elle, décidé que nous allions rentrer chez nous et qu'elle allait mettre en place une action éducative en milieu ouvert. On ne m'a donc pas écouté. Première fois que l'on ne m'a pas écouté. Je dis souvent qu'elle a voulu faire une bonne action avant de partir à la retraite le mois suivant. Si ce n'est qu'il s'agissait d'une très mauvaise décision. En effet, pendant un an et demi, la situation a été très compliquée à la maison. Faute de soins, je me suis retrouvé à l'hôpital et, à ce moment-là, c'est moi qui ai demandé à être placé. Cette fois-là, on m'a écouté et j'ai été placé en foyer d'urgence, où l'on peut rester trois mois avant la réorientation.

Nous avons visité plusieurs structures dont une qui me semblait un peu louche à la visite. Un certain nombre de points m'ont paru bizarres. J'ai dit que je ne sentais pas cet endroit et que je ne voulais pas y aller. Mon père, lui, il aimait bien Paris. Il a vu la structure, cela lui a paru pas trop mal. Il a dit : « Ça peut être bien. » Et dans la mesure où l'ASE avait toujours eu du mal à travailler avec mon père, ils se sont dit qu'ils allaient suivre l'avis du père – pour une fois qu'il était d'accord ! On m'a donc placé dans cette structure contre mon avis.

Le jour même où j'ai été placé, les sévices ont commencé : sévices psychologiques, psychiatriques. Je suis entré en dépression progressivement. Je subissais des maltraitances verbales, des moqueries de la part du personnel, que ce soit du personnel de direction ou du personnel éducatif que je n'appelle pas « éducateurs » parce que des gens comme ça ne méritent pas d'avoir le titre d'éducateurs.

Je me suis battu pendant un an pour partir de cet établissement. Au bout d'un an, mes frères devaient également être placés. Mon référent ASE qui a vu que quelque chose n'allait pas a pris mon parti et a commencé à étudier d'autres endroits où nous aurions pu aller. Il a cherché, il a été un soutien. Mon référent a été en soutien – vraiment. Mais la structure mentait dans les rapports qu'elle produisait, affirmant : « Mamédi se sent très bien, on ne comprend pas pourquoi il dit qu'il ne se sent pas bien avec nous, on travaille bien avec lui, le père ne vient plus. » Ils oubliaient de préciser que c'était à cause d'eux !

Le juge a alors décidé de me placer à nouveau dans cette structure avec mes deux frères, au lieu de me changer d'établissement et de nous placer, malgré les difficultés, malgré les rapports de mon éducateur. Une nouvelle fois, on ne m'a pas écouté.

La deuxième année, j'avais baissé les bras, je m'enfonçais, je ne mangeais plus, je dormais mal, la seule chose qui me permettait de tenir, c'était d'aller à l'école – et j'ai toujours tenu une scolarité qui était plutôt bonne, voire très bonne.

Mes frères ont commencé à expliquer qu'ils voulaient partir, qu'ils ne supportaient pas la rupture ni les maltraitances. Les rapports affirmaient que je manipulais mes frères pour qu'ils inventent et demandent à partir de la structure, que je prenais le parti de mon père, alors que je n'ai jamais pris son parti, à un quelconque moment de mon placement. Depuis petit jusqu'à ma majorité, j'ai toujours été en opposition à mon père, non pas pour le plaisir d'être en opposition, mais parce que, comme je l'ai dit, j'étais plutôt mature, je comprenais les raisons de mon placement ; j'estimais même que le placement était bénéfique pour moi.

L'usage du mensonge est symptomatique du système qui, au bien-être moral et psychique de l'enfant, préfère se fier aux rapports des adultes. À ce moment-là, j'étais en détresse, en dépression profonde, je ne mangeais plus, j'étais en état de sous-nutrition, j'étais fatigué.

Mes frères n'avaient pas le même tempérament. Il y en a un qui faisait des crises, plutôt de colère, et l'autre qui se renfermait sur lui-même. Lors de l'audience, le juge a donc décidé que nous restions dans cette structure alors que mon référent ASE avait trouvé une autre structure qui était prête à nous accueillir tous les trois. À la sortie de l'audience, j'étais sonné, j'ai fait un malaise, je suis tombé en sortant du tribunal. Je ne me souviens plus trop de ce qui s'est passé. Les pompiers m'ont récupéré après que des étudiants de la fac de Créteil m'ont emmené à leur infirmerie. Ma tension était excessivement basse. Mes frères m'ont raconté qu'à ce moment-là, le directeur adjoint qui était venu assister à l'audience a demandé où j'étais. Dans ces cas-là, ils envoyaient des poids lourds pour nous garder ; ils voulaient tellement qu'on reste que c'est le directeur ou le directeur adjoint qui venait à l'audience plaider en faveur de notre maintien dans la structure. J'étais dans la rue, j'étais tombé et j'avais perdu connaissance. À ce moment-là, mes frères m'ont dit que le directeur a répondu de me laisser. J'avais treize ans.

À l'hôpital, j'ai raconté mon histoire, mes placements, tout ce que me faisait subir cet établissement. L'hôpital m'a dit que l'on ne me laisserait pas retourner là-bas, qu'il ferait tout pour me garder. Ils m'ont même gardé une fois que j'étais rétabli. Ils ont fait des rapports, mon psychiatre a refait des rapports, mon référent ASE a refait des rapports, moi j'ai redit que je voulais partir. Et au milieu de l'été, le juge a décidé que mes frères et moi allions quitter la structure.

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