Je vais essayer de répondre à deux de vos questions.
S'agissant des liens avec les éducateurs dont je n'ai pas parlé, je vais approfondir plus en détail ce que j'ai vécu en foyer.
J'ai vu beaucoup de violences diverses. Je vais commencer par l'aspect médical, parce que c'est le côté le plus sympa.
Quand je suis arrivé au CDE, une jeune fille de quatorze ans était enceinte. C'était un problème à gérer.
Pendant deux ou trois ans, je me suis plaint de maux de dos. On m'avait dit que c'était parce que je grandissais, alors que je n'ai pas pris un seul centimètre depuis ma sixième. Je précise que je suis arrivé en foyer en cinquième. En fait, j'avais une vertèbre déplacée. Un éducateur nous a emmenés faire un jogging. Ce jour-là, je me suis fait légèrement percuter par une voiture, mais cela a suffi pour me faire affreusement mal à la jambe. J'en ai parlé à l'infirmière qui n'a pas pris en compte ma plainte.
J'ai connu des jeunes hyperactifs qu'on bourrait de médicaments. Je pense aujourd'hui avec le recul qu'il s'agissait de neuroleptiques.
Pour conclure sur l'aspect médical, Le Républicain Lorrain a annoncé qu'un jeune était décédé d'une grippe, faute d'avoir été pris en charge.
Quant aux violences, il s'agissait de violences physiques. Je me souviens d'un jeune qui avait à peu près mon âge qui faisait souvent des crises et devenait violent. Pour le calmer, les éducateurs s'asseyaient sur lui ou alors trouvaient des stratagèmes pour qu'un autre jeune le frappe.
Un garçon fuguait pour se prostituer. Il a attrapé le sida. Les éducateurs le savaient puisque c'était même un sujet de moquerie. Je me souviens d'un éducateur qui disait : « Il part à Borny, il va se faire péter le cul, il revient avec 50 euros et de nouveaux vêtements. »
Il y a eu également des histoires de viol – énormément.
Un éducateur qui faisait de la boxe thaïlandaise a frappé un enfant de douze ans pendant qu'on jouait au foot. Sans faire exprès, ce jeune a tapé dans le tibia de l'éducateur, ce qui peut arriver. L'éducateur l'a frappé à terre, lui a mis des coups de genou. À côté de ça, des éducateurs en foyer sortaient du lot. Mais dans mon groupe, il y en avait très peu. Je me souviens surtout d'une femme qui avait un côté plus maternel. Cela ne veut rien dire d'avoir un côté maternel, cela n'existe pas. Pour tout dire, j'ai eu mon premier câlin à quatorze ans en foyer par cette éducatrice. Lorsque j'étais en SERAD, c'était totalement différent. J'ai découvert des éducateurs qui s'intéressaient vraiment à l'enfant et qui m'ont vraiment aidé.
En seconde, j'étais dans un lycée élitiste. Je suis plutôt issu des milieux populaires, j'ai vu la différence de niveau social. On avait plutôt tendance à briser l'élève psychologiquement pour qu'il aille mieux, non, pardon : pour qu'il travaille plus ! Je me souviens notamment d'un professeur de maths qui m'avait dit un jour que je n'étais bon à rien, que je n'aurais jamais mon bac, que je ne passerais même pas en première, que je finirais chez McDo. Il a ajouté « Et encore, pour être chez McDo, il faut avoir des compétences ! » Alors, oui, j'ai travaillé chez McDo, mais j'ai eu mon bac !
Quand les éducateurs du SERAD sont partis – il fallait bien qu'à un moment ça s'arrête – cela a été assez difficile pour moi. J'avais dix-huit ans et demi. Quand ils sont partis, je me suis retrouvé dans des situations très bizarres. Je me suis retrouvé à vivre chez un homme qui était un sociopathe. Je l'ai rencontré dans mon club de judo. Cette personne s'est présentée comme une famille. Après avoir fait un malaise pendant une compétition, il m'a accueilli chez lui, il a abusé de moi psychologiquement. Mon père m'avait alors mis à la porte. Il avait fait venir des amis à moi chez lui, il avait fait des vidéos sur YouTube pour nous dénigrer, il nous avait menacés de mort. J'ai coupé les ponts.
L'année suivante, je suis parti en Allemagne où j'ai commencé ma licence. Je me suis retrouvé à nouveau en contact avec cet homme. Je pensais qu'il avait changé, mais pas du tout ! Un lundi soir, très tard, je me suis rendu au poste de police de Metz où j'ai été très bien accueilli. J'ai raconté toute l'histoire. La supérieure de la personne qui a pris la déposition avait demandé de retirer plusieurs passages car elle craignait que le procureur se demande pourquoi « on n'était pas intervenus ». Assez énervé, je suis parti. Je suis tombé sur des jeunes de mon lycée. Nous avons discuté. Il a commencé à pleuvoir, je me suis abrité sous une sorte d'arc de triomphe miniature. Je suis tombé sur un jeune de seize ans assez alcoolisé qui m'a proposé de partir avec lui en Auvergne, sans argent. Comme toute personne normale, j'ai accepté ! Nous sommes partis, nous avons dormi au Puy de Côme, nous sommes partis à l'aventure. Ensuite, je suis retourné à Metz, j'ai travaillé chez KFC en même temps que je faisais mes études.
Mon père avait fait un AVC entre-temps. Je devais en même temps me rendre en vélo à l'hôpital situé à l'autre bout de la ville, à l'opposé du KFC, plus la fac en centre-ville, ce qui me prenait énormément de temps. J'ai donc choisi de ne faire que mes études parce que ça me rendait malade.
Cet été, j'ai essayé de trouver un job. J'avais commencé d'en trouver un à Metz d'où je me suis fait gentiment virer. On m'a alors proposé un emploi à Saint-Jean-de-Luz, au Pays basque. J'y suis allé. Arrivé là-bas, on m'a dit que finalement ils n'avaient besoin de personne pour la saison.
Metz-Saint-Jean-de-Luz, cela représente environ 1 200 kilomètres. Du coup, on m'a donné un peu d'argent pour aller à Dax où j'ai trouvé un job dans un camping qui m'a fait travailler sans sécurité sociale ni rien. J'avais trouvé le travail à Dax, mais le job était près de Lannemezan, une ville perdue dans les Pyrénées. Là, les personnes qui m'embauchaient m'ont dit qu'ils allaient faire travailler leur fille. Ils ne m'avaient pas payé. Ils m'ont menacé d'appeler la gendarmerie si je ne partais pas sur-le-champ. Je n'avais pas du tout d'argent. Je me suis retrouvé à travers champs. Un paysan en voiture, à qui j'ai raconté mon histoire, m'a emmené à Lannemezan. À Lannemezan, il était vingt-deux heures quand nous sommes arrivés. J'ai décidé d'aller à la gare. Un homme est sorti avec un fusil qu'il a pointé sur moi dix secondes. Ça été une éternité. Il pensait que j'étais un cambrioleur. Il a vu que je m'installais. Quand il l'a compris, il m'a demandé si je voulais des chocolatines et de la bière.
Je suis parti à Toulouse parce que j'avais vraiment besoin d'aide. Je suis parti dans d'autres galères. J'ai dû faire appel à une association qui m'a aidé, si ce n'est que je n'avais pas d'argent. Autant j'ai adoré cette ville et j'aimerais y retourner, autant j'ai eu plein de patrons qui m'ont fait travailler sans payer. J'ai galéré pour revenir à Metz. Je pense que si j'avais eu le SERAD et d'autres éducateurs, peut-être que je n'aurais pas fait toutes ces bêtises, même si elles ont été enrichissantes. Mais je me serais passé de cette période où j'ai cru que j'allais mourir en Midi-Pyrénées.