Intervention de Lyes Louffok

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Lyes Louffok :

Merci de cette question qui va me permettre de vous faire des propositions très concrètes. Peut-être envie d'une prochaine proposition de loi ? Je ne sais pas.

Lors de mes placements, le peu de fois où j'ai vu des éducateurs et des professionnels me rendre visite dans mes familles d'accueil, c'était toujours en leur présence, ce qui n'était pas propice à la libération de la parole et à la possibilité de faire des révélations. Quand on est un enfant, et un enfant victime, on sait que l'encadrement de l'écoute et de la prise de parole des enfants victimes est très particulier. Elle nécessite un certain cadre et une certaine préparation. En l'occurrence, ce n'était pas le cas.

Je pense que la protection de l'enfance, notamment sur cet aspect de la maltraitance et de la violence institutionnelle, doit être pensée de façon beaucoup plus globale. Le problème touche évidemment à la violence qu'on peut subir en structure ou en famille d'accueil, mais aussi au défaut de formation et au manque de contrôles.

Mes propositions sont très simples. Elles sont tirées de différents constats.

Le premier porte sur les incohérences de l'accueil familial. Aujourd'hui, on a pris la position dans notre pays de professionnaliser ce métier. Nous avons décidé que ce serait un métier avec des compétences, des savoir-faire et un diplôme d'État. Le problème c'est que pour être famille d'accueil, l'agrément est demandé au département. Ce sont souvent les services de PMI qui le délivrent. Or, il n'est pas soumis à l'obtention du diplôme d'État d'assistants familiaux qu'on a créé pourtant afin d'apporter des compétences solides aux familles d'accueil. Dès lors, pourquoi a-t-on créé un diplôme d'État si on ne l'exige pas pour obtenir l'agrément ? Cela pose quand même de petites questions de cohérence.

Il y a une autre problématique qu'on pourrait envisager autrement que sous la forme d'une mesure coercitive – ce pourrait être une vraie mesure de prévention. Il s'agit du métier d'éducateur spécialisé. Les branches du secteur social sont quand même très peu réglementées. Aujourd'hui, pour être médecin dans notre pays, il faut avoir fait des études et il faut s'inscrire à un ordre professionnel. On dépend d'un ordre professionnel qui va régir la profession, qui va délivrer des autorisations de travail et qui va même parfois prononcer des interdictions d'exercice. J'aimerais que l'on arrive à ce stade et que le travail social, le métier, d'éducateur spécialisé, d'assistant de service social, de conseiller ou conseillère en économie sociale et familiale, de moniteur-éducateur, d'animateur socio-éducatif, soit suffisamment considéré pour être régi par un ordre professionnel qui serait le garant du respect de nos droits, mais aussi des conditions d'exercice de cette profession. C'est primordial aujourd'hui. Quand on a été victime de violences, vers qui se retourne-t-on pour demander l'interdiction d'exercer d'un professionnel qui aurait franchi la ligne rouge ? Eh bien, vers personne ! Dans la réalité des faits, quand on a été victime de violences, ces affaires sont très peu judiciarisées et il n'y a que très peu d'interdictions de travailler, décidées, ordonnées par une cour.

Voilà pour les professionnels. Mais la question de la violence institutionnelle se pose aussi dans les tribunaux. Quand on est un enfant, on n'a pas toujours connaissance de ses droits. Et un citoyen ou un humain qui n'a pas connaissance de ses droits ne peut pas les défendre correctement. Perrine, tout à l'heure, tu as nous a demandé si, au cours des procédures judiciaires qui concernaient nos placements, nous avions été accompagnés par un administrateur ad hoc ou un avocat. Un seul d'entre nous a pu bénéficier de cette aide, qui est quand même première – et j'ai envie de dire : fondamentale. Dans ces cas-là, il faudrait vraiment, ce qui nécessiterait des moyens financiers – mais ce serait garantir le respect des droits de chacun et des enfants par rapport aux institutions –, rendre obligatoire, dès qu'une procédure en assistance éducative est ouverte, qu'il y ait un avocat gratuit pour les enfants. Les enfants ne savent pas qu'ils peuvent faire appel à un avocat gratuitement, et ce dans n'importe quelle procédure judiciaire. Il faudrait donc qu'un avocat soit désigné systématiquement ou, à défaut, un administrateur ad hoc pour tout le monde. On se rend bien compte que la parole des enfants dans une cour de tribunal et face à un juge des enfants, qui parfois peut être assez intimidant, n'est pas toujours simple. Il n'est pas toujours facile pour nous de nous exprimer et de faire part de ce que nous pouvons subir.

S'agissant des agréments, je fais une proposition très simple, qui ne nécessiterait pas des moyens considérables. C'est une mesure pragmatique qui va dans le sens de l'intérêt des enfants et de l'intérêt public. Que se passe-t-il pour une famille d'accueil à qui on retire l'agrément pour des faits de violence ? Je prends un exemple à Paris, non pour stigmatiser tel département en particulier mais pour illustrer mon propos. Imaginons une famille d'accueil qui a violenté un enfant, dont les services d'aide sociale à l'enfance ont été avertis. Ces derniers vont quand même un peu tiquer, vont mener une enquête et vont se dire qu'ils vont retirer l'agrément de Mme ou de M. Machin et décider qu'on ne lui confiera plus jamais d'enfants. Sauf qu'il s'agit d'une profession très particulière, extrêmement dérogatoire au code du travail et qui permet à ces personnes d'avoir jusqu'à trois employeurs différents.

Je pense qu'il faut créer un fichier national des agréments pour avoir une traçabilité, à la fois du retrait et de la suspension des agréments dans les départements, pour que les employeurs, publics comme privés, puissent disposer de cette information avant de délivrer un nouvel agrément dans un autre département. On a retiré à Mme ou à M. Machin son agrément à Paris, mais rien ne l'empêche d'aller en demander un autre en Seine-Saint-Denis, tout en continuant d'habiter à Paris et d'accueillir des enfants de Seine-Saint-Denis à Paris. Il y a là un vrai vide juridique et un vrai flou sur le contrôle de cette profession. J'aurais d'autres choses à dire, mais je vais m'arrêter là.

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