Je réponds affirmativement à cette question. Il existe une discrimination. Un exemple tout bête : après avoir quitté la famille d'accueil, j'ai été placé dans une MECS. J'avais demandé à partir, je pensais avoir atteint un niveau d'autonomie, je voulais passer en appartement, passer en paix en semi-autonomie. J'ai donc été placé dans un groupe où on mélangeait, à l'époque, tous les enfants. Aujourd'hui, il existe des catégories d'enfants, et quand ces catégories d'enfants ont commencé à être créées, ma soeur sortait de sa famille d'accueil. Elle a donc été placée dans une structure MNA.
Je touchais une allocation de 360 euros pour subvenir à mes besoins. L'appartement appartenait à la structure qui payait les loyers. Ma soeur touchait une allocation de 210 euros parce qu'elle faisait partie d'une structure MNA. Les moyens étaient différents. Notre structure comprenait dix éducateurs qui travaillaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils faisaient les nuits. Dans la structure de ma soeur, quatre éducateurs travaillaient jusqu'à dix-neuf heures. L'établissement était fermé le week-end.
Nous avions 40 euros d'argent de poche, les MNA n'en avaient pas. Face à ces situations, j'étais souvent gêné parce que c'était ma soeur. Moi, j'avais tout bien, on peut dire ; par contre, elle n'avait rien du tout. Le plus moche dans l'histoire c'est quand le département dont ma ville dépend a décidé d'interdire les contrats Jeune majeur aux MNA, de couper et de ne plus le renouveler à ceux qui l'avaient. Le mien n'a pas été renouvelé et ma soeur n'a jamais eu de contrat Jeune majeur à ses dix-huit ans.
Après dix-huit ans on devait se préparer à quitter la structure et les autres jeunes qui vivaient avec nous, qui étaient nos colocataires dans les mêmes appartements, pouvaient rester jusqu'à vingt et un ans ; ils n'avaient pas à s'inquiéter.
Ensuite, le département a envoyé une lettre aux directions des structures expliquant que les contrats jeune majeur, c'était écrit noir sur blanc, seraient coupés à tous les jeunes MNA parce que s'il fallait faire des économies, il fallait les faire sur les MNA, non sur les autres jeunes.
Je suis parti parce que je ne pouvais plus mendier de contrat Jeune majeur. La dernière fois que j'ai réussi à renouveler un contrat Jeune majeur c'était parce que je venais de me faire opérer du genou. Il me fallait une deuxième blessure pour continuer à être pris en charge.
Les dix-huit ans de ma soeur approchaient. Elle avait déjà fait ses valises et n'avait pas encore les papiers. Elle avait déjà reçu une lettre de refus à sa demande l'informant qu'elle ne pouvait accéder à un contrat Jeune majeur. Elle a obtenu sa naturalisation trois jours avant ses dix-huit ans. On lui a donné six mois de contrat Jeune majeur parce qu'elle était devenue française. Elle n'a pas accepté de rester, elle est partie parce qu'elle avait pris ses précautions pour aller de l'avant. Donc, à son dix-huitième anniversaire, elle a pris ses valises et elle a quitté l'ASE.
J'ai vu ces situations. J'ai été témoin d'une scène révoltante, de plus quand aujourd'hui je suis professionnel de la protection de l'enfance. J'ai été révolté de voir un jeune être arraché d'une structure ASE par les forces de l'ordre pour le mettre à la rue.
La mission s'est inversée. Avant, les forces de l'ordre prenaient les jeunes de la rue pour les placer dans les structures ASE. Aujourd'hui, une direction de la protection de l'enfance se permet d'appeler la police parce qu'un jeune ne veut pas sortir de l'appartement, tout simplement parce qu'il ne sait pas où aller. Du coup, la police, le prend, lui et ses affaires, et le dépose à la gare la plus proche.
C'est une situation que des jeunes vivent quasiment tous les jours.
Il existe des dispositifs d'évaluation fantômes que certains départements créent pour essayer de répondre, ou de ne pas répondre, à leurs obligations.
Sur ces questions-là, moi je vais peut-être passer pour ne pas entrer en conflit avec mon département qui ne m'a pas encore régularisé. Donc je vais rester discret !