La procédure qui nous réunit aujourd'hui symbolise toute la défiance d'une très large partie de nos concitoyens vis-à-vis de l'Europe. Pourquoi ? D'abord parce que cette procédure traduit notre total abandon de souveraineté dans nos choix économiques. Ensuite parce qu'elle nous est imposée par un pacte de stabilité que les Français ont refusé en 2005 lors du référendum sur le traité constitutionnel – traité constitutionnel que la droite, avec M. Sarkozy, a réintroduit en faisant voter au Parlement ce que nous avions rejeté par les urnes. Monsieur le ministre, vous faisiez partie du Gouvernement à cette époque. Seuls les groupes communistes de l'Assemblée et du Sénat ont voté contre cette trahison. C'est enfin François Hollande qui a ratifié ce traité, le traité Merkozy, dès son élection en 2012. Voilà la réalité qu'il faut rappeler aux Français !
Les communistes sont favorables à une construction européenne qui respecte les nations et les peuples d'Europe, qui favorise la paix et le plein-emploi. Ils désapprouvent en revanche cet abandon de souveraineté qui impose de surcroît aux Français des mesures d'austérité insupportables.
À la compétition du tous contre tous, qui nous mène à la ruine, à la concurrence libre et non faussée, qui tue notre industrie et nos emplois, nous préférons la coopération et la solidarité.
Vous nous demandez aujourd'hui d'adopter un programme de stabilité et de réformes pour 2019-2022, qui prévoit, pêle-mêle, de baisser nos dépenses publiques, d'amplifier la vente à la découpe de la France, de nos services publics, de réformer notre système de retraite, etc.
Ce document, soumis au vote du Parlement, sera ensuite transmis à la Commission européenne. Il revient donc à une institution non élue, bien à l'abri du peuple, d'analyser le budget de la France et d'émettre un avis. C'est enfin le Conseil de l'Union européenne, composé des chefs d'État, qui émet ces fameuses « recommandations ».
Or ces recommandations sont en réalité de véritables instructions, car, si nous ne les respectons pas, si nous dévions des trajectoires imposées par ces traités ultralibéraux, nous sommes mis à l'amende. Notre pays et les Français se verraient d'abord rappelés à l'ordre puis placés sous surveillance avant d'être sanctionnés financièrement par la hausse des taux d'intérêt. Ce sont ces procédures qui ont été appliquées injustement à d'autres pays de l'Union européenne comme la Grèce et le Portugal.
Voilà la procédure que vous défendez et que les députés communistes n'acceptent pas. D'ailleurs, on retrouve dans les recommandations de l'Union européenne du 23 mai 2018 les principales réformes que vous avez mises en oeuvre ou que vous prévoyez de réaliser.
Il était ainsi clairement écrit dès 2018 que la croissance de nos dépenses publiques ne devait pas dépasser 1,4 %. Comment répondre aux besoins de nos concitoyens si la France ne peut pas investir dans la santé, dans nos écoles ? Comment relever le défi climatique si la France ne peut pas dépenser plus d'argent public pour les transports collectifs ou la rénovation des logements ?
Concernant notre système de retraite, l'Union européenne a clairement demandé à la France en 2018 – c'est écrit noir sur blanc dans les fameuses recommandations – , d'uniformiser nos différents régimes de retraites pour améliorer la maîtrise des dépenses publiques.
Voilà le programme d'inspiration toute libérale de vos politiques ! Comment pourrait-il en être autrement, quand ce Conseil de l'Union européenne est dirigé par une majorité de chefs d'État de droite ou qui ont défendu ces traités ?
C'est à un tel point que l'on ne trouve, dans les recommandations du Conseil de l'Union européenne de 2018, pas un mot pour les 9 millions de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté et encore moins pour les enjeux climatiques pourtant inéluctables.
Oui, c'est un insupportable abandon de souveraineté, car notre pays doit avoir le droit, le pouvoir et les moyens de mener les politiques qu'il juge bonnes pour notre population, efficaces pour notre économie, utiles pour l'environnement.
Comment, d'un côté, défendre la démocratie et, de l'autre, accepter de soumettre notre budget et nos choix politiques à l'Union européenne ? Voilà tout ce que rejettent nos concitoyens. Et c'est tout l'enjeu, d'ailleurs, des prochaines élections.
Enfin, la France aurait pu avoir le courage – sait-on jamais ? – de résister aux dogmes de l'austérité. D'autres pays l'ont fait, tel le Portugal depuis 2015, ou l'Espagne, dont les électeurs viennent de décider qu'il fallait poursuivre dans la voie de la résistance et renouer avec la relance de la consommation.
Hélas, ce n'est même pas la voie que vous proposez, puisque votre feuille de route est cadenassée : seuil de 3 % du déficit public, obsession de la dépense publique, baisse de la fiscalité pour le capital et les plus riches. Passer sous la barre des 3 % était votre Graal : vous l'avez atteint, mais au prix d'une crise sociale d'une ampleur inédite.
Vous avez, d'un côté, une France qui souffre, des retraités et des salariés malmenés, des communes étranglées, moins d'écoles, moins de bureaux de poste, moins de centres des impôts, moins de services publics de proximité, et, de l'autre, une infime minorité de grands gagnants, notamment les plus grands patrimoines, mais qui n'en ont jamais assez.
Vous proposez aussi de réduire fortement notre déficit public d'ici à 2022. Comment ? Par des coupes budgétaires drastiques ? Sur les retraites ? Les fonctionnaires ? Les 35 heures ?
La même incertitude règne autour de la croissance. Vous anticipez un taux de croissance de 1,4 % pour les deux prochaines années, ce qui, entre nous, est très faible, surtout quand on sait que les fruits de la croissance sont captés par une minorité.
Ces considérations devraient vous amener à davantage de retenue, notamment lorsque vous évoquez le « poison » de la dette et votre volonté de la réduire de cinq points de PIB d'ici à la fin du quinquennat, avec un ratio entre dette et PIB.
Monsieur le ministre, que représentent cinq points ? Combien d'argent affecterez-vous à la dette d'ici à 2022, au lieu de l'utiliser pour lutter contre les inégalités, la pauvreté, pour répondre aux besoins de notre pays ou relever le défi climatique ?
La dette a atteint un tel niveau à cause des banques qu'il a fallu renflouer entre 2009 et 2018, à cause de la Banque centrale européenne qui a versé 3 000 milliards d'euros aux banques privées, lesquelles ont prêté aux États avec des taux d'intérêt qui ont aggravé notre endettement.
Enfin, la dette explose du fait des cadeaux fiscaux que vous avez consentis, comme le CICE qui a principalement bénéficié aux grands groupes.
Monsieur le ministre, ce n'est pas aux Français qu'il faut demander de rembourser la dette, mais bien aux banques et au capital, aux marchés financiers, qui n'ont jamais autant gagné d'argent. J'insiste sur ce point, car, au nom du remboursement de la dette, vous justifiez en partie les cessions d'actifs incluses dans la loi PACTE, dont ADP.
Enfin, dans votre programme de stabilité, vous n'avez pas un mot pour la lutte contre l'évasion fiscale, ce qui est dommage, car ce combat serait l'occasion de réduire fortement notre déficit. Aucun nouveau rapport n'est nécessaire pour mesurer l'ampleur de ce fléau, contrairement à ce que prétend le Président de la République. Des rapports sur l'évasion fiscale, il y en a plein les étagères de la bibliothèque du Sénat et de l'Assemblée. Tout est dit. Tout est écrit. Les propositions existent. Tous les chiffres sont maintenant confirmés, quelle que soit la méthode employée.
Selon les experts, l'évasion et l'optimisation fiscales représentent un manque à gagner pour l'État évalué entre 80 et 120 milliards d'euros par an. Un tel ordre de grandeur suffit pour décider de s'attaquer au problème et de se donner les moyens d'aller chercher cet argent qui nous manque cruellement. C'est dans cet esprit que notre groupe a proposé de taxer à la source les bénéfices des multinationales et d'interdire les paradis fiscaux au sein de l'Union européenne. Pourquoi ne pas proposer ce noble objectif de zéro évasion fiscale dans notre pays et dans l'Union européenne ? Cette mesure est en tout cas au coeur des prochaines élections européennes.
Mais plutôt que d'aller chercher les recettes où elles se trouvent, vous préférez vous attaquer sans relâche à la dépense publique.
Voilà pourquoi la défiance des peuples est si grande à l'égard d'un système qui fonctionne en vase clos et qu'il est urgent de réformer en profondeur, tout en gardant l'idéal européen, qui nous tient à coeur.
Sans surprise, les députés communistes, unanimes, ne voteront pas cette perte de souveraineté et ce pacte d'austérité pour les Français et pour notre pays.