La seule question qui vaille, en l'espèce, est très simple : à l'issue de cette mandature, nos finances publiques seront-elles assainies ?
La réponse à cette question est compliquée, mais on peut la résumer en cinq points. Tout d'abord, le Gouvernement a bien fait de revoir à la baisse ses hypothèses macroéconomiques, même si elles restent trop optimistes.
Il y a presque deux ans, en juillet 2017, vous nous aviez annoncé, monsieur le ministre, une croissance de 2 % en 2018, de 1,9 en 2019 et de 1,7 % chaque année jusqu'à la fin du quinquennat.
L'année dernière, je vous avais indiqué que vos hypothèses étaient totalement irréalistes. Un an plus tard, vous les avez fortement révisées à la baisse, puisque nous n'en sommes plus qu'à 1,6 %, contre 2 % initialement prévus pour 2018, soit 0,4 point de moins ; pour 2019, à 1,4 % au lieu de 1,9 %, soit 0,5 point de moins ; et, pour les trois années suivantes, 1,4 % au lieu de 1,7 %, c'est-à-dire 0,3 point de moins.
Mais je me tue à dire depuis deux ans, monsieur le ministre, que la croissance potentielle de notre pays est, hélas – et c'est maintenant ce que vous dites aussi vous-même dans votre document – , de l'ordre de 1,2 %.
Or vos projections ne tiennent pas compte du fait que nous sommes dans la phase descendante du cycle économique, c'est-à-dire dans une période de ralentissement économique mondial. Je soulève depuis des années le problème de l'écart de production, car on voit bien que, en retenant une hypothèse de croissance excessive, on aboutit à un écart de production, c'est-à-dire à une saturation, dès lors que l'on passe au-delà d'une utilisation optimale de l'appareil productif. Cela rend peu crédibles vos hypothèses.
Ma thèse, je vous l'ai dit depuis des années, est qu'il faut se donner des hypothèses raisonnables et abaisser ses prévisions à 1,1 ou 1,2 % pour les années 2020-2022.
Or vous présentez un taux stable de croissance à 1,4 % pour les trois prochaines années. Mais ce n'est pas réaliste, alors que, dans le même temps, l'environnement économique international se dégrade, avec la fin des mesures de relance budgétaire aux États-Unis, le ralentissement de la croissance chinoise, la faiblesse du commerce mondial liée aux tensions commerciales, notamment, et aux rivalités entre les États-Unis et la Chine, les incertitudes liées au Brexit et, enfin, pour nos voisins, un ralentissement économique très fort, puisque, selon les dernières prévisions pour 2019, la croissance serait en Allemagne de l'ordre de 0,5 % et, en Italie, de 0 %.
Vous nous parlez donc d'un pacte de croissance. C'est formidable. Mais nous ne sommes pas seuls. Qui, monsieur le ministre, suit votre idée ? On peut le regretter, mais ce ne sont pas les Italiens qui peuvent nous aider, ils sont dans une situation extrêmement difficile. Les Allemands le pourraient, puisqu'ils disposent d'un net excédent de leurs comptes publics. Mais, vous les connaissez, ils pensent que nous sommes dans la phase descendante du cycle économique, et que ce pourcentage va beaucoup se réduire.
Par ailleurs, depuis le mois de décembre, le prix du baril de pétrole, après une baisse très forte lors des mois précédents, a entamé une nouvelle hausse très forte, qui atteint aujourd'hui 30 % : il est passé en quelques semaines de 50 à 65 dollars. Bref, les signaux internationaux – et même nationaux – ne sont pas bons, et certains économistes craignent même une nouvelle crise financière en 2019 ou en 2020.
D'ailleurs, vous n'êtes vous-même pas loin de la craindre, mais, étant ministre, vous ne pouvez pas le dire. Vous nous avez toutefois rappelé tout à l'heure que vous aviez essayé de renforcer les règles de solvabilité bancaire. Beaucoup de gens pensent cependant que la nouvelle crise ne viendra pas des banques, mais, probablement, d'une crise obligataire. Enfin, nous verrons… Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, notre situation n'est pas telle que nous puissions faire face à une telle crise.
J'en viens à mon deuxième point. Sur la période 2019-2022, les déficits publics effectifs diminuent moitié moins vite que vous ne le prévoyiez il y a un an. Pour les quatre années à venir, non seulement le déficit de l'État ne baisse pas, mais il augmente légèrement. Voici, monsieur le ministre, le déficit de l'État et des organismes divers d'administration centrale – ODAC : en 2019, 3,7 %, dont je retirerais 0,8 %, ce qui nous donne 2,9 % ; en 2020, 3 % ; en 2021, 3,1 % ; en 2022, 3,1 %. C'est-à-dire que, au cours des quatre années qui viennent, le déficit des finances publiques – État et ODAC – va croître de 0,2 points.
La situation des collectivités locales, en revanche, s'améliore. Elle s'améliore d'ailleurs – je vous l'avais dit dès l'année dernière – d'une façon excessive : après avoir atteint 0,1 % du PIB en 2017, en 2018 et en 2019, leurs excédents seront, selon vos prévisions, de 0,2 % du PIB en 2020, 0,5 % en 2021 et 0,6 % en 2012, soit une amélioration de 0,5 point de PIB en 3 ans. Ce n'est pas raisonnable, monsieur le ministre, car, dans ces conditions, les collectivités peuvent augmenter leurs dépenses, ou réduire leurs recettes, plutôt que de se contenter de constater une hausse continue de leurs excédents.
Quant aux organismes de sécurité sociale, eux aussi améliorent leur situation : 0,5 % d'excédent en 2018, 0,5 % en 2019, puis 0,8 % en 2020, 1 % en 2021 et 1,2 % en 2022. Par quel miracle, me demanderez-vous, les organismes de sécurité sociale améliorent-ils leur situation et dégagent-ils un excédent croissant, alors même que le régime général est un peu au-dessous de l'équilibre ? C'est tout simple : ce sont les organismes complémentaires, et notamment les régimes de retraite complémentaire, qui expliquent cette hausse continue.
Vous voyez donc bien, monsieur le ministre, l'extrême fragilité de la légère amélioration des déficits publics : entre 2019 et 2022, la réduction de 1,1 point les déficits publics, c'est-à-dire leur baisse de 2,3 à 1,2 %, est due pour moitié aux collectivités locales, et pour l'autre moitié aux organismes de sécurité sociale, et en particulier aux organismes complémentaires.
Le troisième point que je voudrais évoquer – je le dis à temps et à contretemps – , c'est que le solde structurel se réduit très lentement, d'après vos propres prévisions. Alors que l'Union européenne nous demande de faire un effort de 0,5 point, nous faisons un effort nul en 2019 : nous sommes à 2,1 % en 2019 comme en 2018. En 2020, nous réduisons de 0,3 %, puis, en 2021 et 2022, de 0,3 % chaque année. C'est dire que nous sommes à une grosse moitié des efforts qu'il nous faudrait accomplir pour respecter nos engagements européens.
Je suis d'ailleurs étonné, madame la présidente de la commission des affaires européennes, que vous n'ayez pas dit cela à temps et à contretemps, et développé ce point : respectons-nous nos engagements européens ? La réponse, hélas, est non. Nous faisons des efforts, mais ils sont insuffisants, à peu près de moitié.
Cette insuffisance tient tout simplement au fait que vous n'êtes pas assez dur, monsieur le ministre, en matière de réduction de la dépense publique. On a d'ailleurs le sentiment, depuis la dernière conférence de presse du Président, que, au fond, vous devenez keynésien.