Le groupe GDR a décidé d'inscrire à notre ordre du jour un débat sur le bilan social des ordonnances travail à l'agenda de cette semaine, en cette veille de fête du travail.
Tout d'abord, permettez-moi de vous dire qu'il est tôt pour dresser un réel bilan de cette réforme. Il faut laisser le temps aux acteurs de s'approprier des changements aussi importants que ceux qui ont été engagés dans le cadre de ces ordonnances. Ceci se traduit par exemple par le ralentissement observé des élections professionnelles en 2018.
Nous avons l'habitude de vouloir effectuer un bilan rapidement, et de modifier la législation avant même d'avoir pu mettre en place et évaluer la précédente réforme. Ainsi la réforme El Khomri n'était-elle pas entièrement entrée en application qu'elle a été modifiée.
À ce titre, nous ne pouvons que regretter que le Président de la République ait décidé de modifier une nouvelle fois l'environnement fiscal des entreprises. Après avoir tenu un discours pro-entreprises lors de la campagne présidentielle, après avoir transformé le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – en baisse de charges, Emmanuel Macron va faire payer les entreprises par la suppression de certaines niches fiscales.
Ce sujet n'est pas anecdotique, ni étranger à la question que nous abordons ce soir. En effet, la philosophie sous-jacente aux ordonnances travail était de redonner de la liberté et du souffle aux entreprises pour recréer de l'emploi. Si les avancées auxquelles ces ordonnances ont conduit sont obérées par des décisions fiscales à contre-courant, alors ne se feront sentir que des effets négatifs des ordonnances.
La situation est pourtant alarmante. La France souffre d'un taux de chômage structurel de 8,8 %, taux qui, même s'il diminue, reste très élevé et peine à baisser durablement. Nous nous classons, hélas, à la quatrième place des pays au taux de chômage le plus élevé en Europe, après la Grèce, l'Espagne et l'Italie. Triste réalité, alors que dix-sept pays connaissent un taux de chômage inférieur à 5 %, autant dire un réel plein emploi. Le Président de la République considère que le plein emploi sera atteint dans notre pays en 2022, avec un taux de chômage de 7 %. Cet objectif, qui n'est ni volontariste, ni ambitieux, ne correspond pas non plus au plein emploi.
L'une des mesures emblématiques de la réforme du code du travail par ces ordonnances est la rénovation du dialogue social, et notamment la création du comité social et économique, qui résulte de la fusion de la fusion de trois instances représentatives : comité d'entreprise, comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et délégués du personnel.
À la date de novembre 2018, 10 500 entreprises ont mis en place un CSE. La plupart doivent le faire en 2019, preuve d'ailleurs de la difficulté pour une réforme d'être mise en application. Comme l'indique Jean-François Pilliard dans son rapport, les entreprises et les représentants des salariés ont choisi d'avancer prudemment et de s'approprier les outils, avant de se lancer dans l'application d'une telle réforme.
On assiste également, dans la très grande majorité des cas, à une adaptation a minima des instances représentatives des salariés. Peu de changements à l'issue d'une réflexion globale, plutôt une reconduction des pratiques antérieures adaptées au nouveau cadre.
De plus, cette réforme fait courir un risque de centralisation des sujets sociaux et économiques à traiter, induit par le CSE, qui pourrait conduire à un plus grand formalisme.
L'une des raisons de ce retard est également la mauvaise connaissance des dispositions. Selon un sondage réalisé en juin 2018, les mesures relatives à la mise en place du CSE n'étaient connues que par 47 % des dirigeants d'entreprises de moins de 300 salariés et 39 % des représentants du personnel. Lorsque le Gouvernement engage de telles réformes, il est essentiel que l'État accompagne mieux les acteurs de terrain, notamment les petites et moyennes entreprises, qui, bien souvent, n'ont pas de direction des ressources humaines. Xavier Bertrand soulignait à cet égard la nécessité d'instaurer un « service après-vote ».
Nous pouvons nous demander si toutes les entreprises seront à même de mettre en place un CSE avant la fin de l'année 2019, conformément à la loi.
Le sujet le mieux identifié par les acteurs reste celui de la réforme prud'homale et du barème, dont de nombreux conseils prud'homaux refusent l'application, et s'en affranchissent. Cette mesure devait pourtant sécuriser les employeurs et leur redonner confiance dans l'embauche.
Or, s'agissant des licenciements individuels, le nombre de demandes déposées auprès des conseils des prud'hommes a été divisé par deux en vingt ans – 120 000 en 2014 contre 240 000 en 1998. Cette baisse s'explique principalement par la mise en place de la rupture conventionnelle individuelle en 2008 et par les changements de procédure introduits en 2016. Depuis 2017 et la mise en place du barème des indemnités pour licenciement abusif, on ne constate pas de baisse du contentieux, tant sur le nombre des recours, que sur leur motif.
Une autre mesure importante concerne les ruptures conventionnelles collectives – RCC. Dans le privé comme le public, il convient de rester vigilants, afin que les RCC ne soient pas conclues au détriment des plans de sauvegarde de l'emploi, même si le nombre de ces derniers baisse, ce dont nous pouvons nous réjouir.
En matière de négociation collective, 500 accords ont été ratifiés par référendum au sein d'entreprises de 1 à 20 salariés en octobre 2018. Dans leur très grande majorité, ils abordent des questions relatives au temps de travail.
D'autres sujets mériteraient d'être évoqués, comme le référendum dans les TPE ou les travailleurs détachés.
Madame la ministre, les ordonnances travail ont fait la preuve de leur intérêt pour les entreprises, on ne peut que s'en réjouir. Pour autant, elles n'apportent pas de solution au problème de l'emploi, dont vous savez comme moi, qu'il est la première préoccupation des Français.