Hier soir, alors que mon collègue Laurent Pietraszewski et moi-même terminions les premières auditions de syndicats de salariés dans le cadre du rapport d'application sur les ordonnances travail dont nous avons la charge, quelle ne fut pas ma surprise de lire sur l'écran de mon téléphone la notification suivante : « la réforme du code du travail commence à porter ses fruits ». Ces propos, madame la ministre, ce sont les vôtres, et ils sont à l'opposé de ce que les syndicats nous ont dit hier. Là où vous vous félicitez de l'application des ordonnances, les syndicats, eux, tirent à boulets rouges.
Je pense au dialogue social et à la création des comités sociaux et économiques. D'abord, permettez-moi de trouver étrange que vous vous flattiez de l'application d'une obligation légale – c'est bien le moins – d'autant que celle-ci s'avère douloureuse : vous évoquez 12 000 CSE, soit moins de 20 % de l'objectif. Et que dire des conseils d'entreprise ? Il n'en a été créé que trois, c'est un flop. Les syndicats parlent d'un résultat très modeste, déplorent de mauvais accords et dénoncent une baisse d'un tiers du nombre d'élus au sein de ces CSE par rapport aux instances représentatives antérieures. Ils pointent du doigt les très nombreuses entreprises qui en profitent pour réduire, parfois drastiquement, les moyens alloués aux syndicats. À la question de savoir si cette loi, comme son intitulé l'indique, renforçait le dialogue social, ils ont répondu sans ambages non.
Je pense aussi aux sujets qui fâchent, ceux que vous évitez soigneusement d'évoquer publiquement. C'est le cas de la suppression des CHSCT qui conduit à négliger la question cruciale des conditions de travail. Les acteurs concernés regrettent cette disparition et s'inquiètent des conséquences sur la santé et la sécurité au travail.
C'est également le cas, et la presse s'en est largement fait l'écho, du fiasco du barème imposé au conseil de prud'hommes qui introduit un droit au licenciement abusif et insécurise autant les salariés que les entreprises. Déjà trois conseils de prud'hommes refusent de l'appliquer. Et les dérives que nous avions décelées sont déjà à l'oeuvre puisque les demandes glissent vers d'autres motifs, comme le harcèlement, pour contourner le barème.
C'est le cas encore de la suppression du compte de prévention de la pénibilité auquel vous avez préféré un compte qui nous renvoie quinze ans en arrière et ne prévient, en vérité, plus grand-chose.
Enfin, c'est le cas de l'abandon de la priorité donnée aux syndicats dans les petites entreprises pour négocier, qui met à mal le dialogue social, là où vous prétendiez le renforcer, ainsi que la qualité des accords quand il en est conclu.
Peut-être ce débat parlementaire et cette série d'auditions qui commencent à l'Assemblée et qui, je l'espère, aboutiront à un rapport clair et objectif, vous conduisent-ils à faire, dans la précipitation, la promotion de vos ordonnances, alors que tous les acteurs les critiquent et les dénoncent. Ce n'est qu'une opération de communication, un contre-feu pour tenter de masquer l'échec du big bang que vous annonciez, un échec qui pourtant était à prévoir tant cette réforme a été faite sans considération des acteurs censés l'appliquer.
Madame la ministre, j'ai lu que vous vous félicitiez du bon fonctionnement des ruptures conventionnelles collectives et des accords de performance collective. Je le rappelle à celles et ceux, sans doute très nombreux, qui nous regardent à cet instant, le premier permet à l'employeur de s'exonérer de ses obligations de reclassement tandis que le second permet de licencier plus facilement. Permettez-moi de vous dire que l'on n'avait encore jamais vu une ministre chargée du travail se féliciter de voir des dispositifs de licenciement fonctionner avec efficacité !
Mais votre texte n'ayant apporté aucune sécurité ni protection nouvelle aux salariés, aucun droit nouveau, de quoi d'autre pourriez-vous bien vous féliciter ? Des CDI de chantier qui étaient censés révolutionner la vie des salariés précaires mais qui ne donnent surtout pas lieu au versement d'une indemnité de précarité ? Combien ont été conclus ? De vos mesures liées au télétravail dont les partenaires sociaux nous disent qu'elles sont un danger pour les salariés ? Du service public territorial de l'accès au droit et d'une version numérique du code du travail dont nous attendons toujours la réalisation concrète ?
Chers collègues, les interrogations sont nombreuses, les inquiétudes fondées et les risques multiples. II y a un an et demi, vous nous aviez toisés, enfermés dans vos certitudes, en nous enjoignant de vous faire confiance. Dix-huit mois plus tard, à la veille de la mobilisation du 1er mai, qui peut encore avoir confiance ?
N'est-il pas temps d'entendre la colère populaire et surtout d'écouter les acteurs de terrain, les syndicats auxquels vous proclamez quotidiennement votre confiance et votre amour, qui vous répètent, comme je suis en train de le faire, que la flexibilité que vous introduisez partout dans la société creuse les inégalités, précarise l'emploi et sape la valeur travail qui vous est si chère ?
Un représentant syndical de salarié nous rapportait hier ce propos d'un représentant du patronat : « vous avez eu 1982, nous avons 2017 ».
Madame la ministre, à plusieurs reprises vous avez revendiqué votre filiation avec les lois Delors. Alors entendez les mots de celui-ci : « on entend souvent dire que le partenariat social et le dialogue social seraient démodés. Je m'insurge contre de telles théories. »