Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 16h00
Création du centre national de la musique — Présentation

Franck Riester, ministre de la culture :

C'est un immense plaisir pour moi, je ne vous le cache pas, d'être à la tribune de l'Assemblée nationale, cet après-midi, pour l'examen de la proposition de loi visant à la création du Centre national de la musique. C'est un projet auquel, vous le savez, je suis très attaché : il y a neuf ans – vous y avez fait référence, monsieur le rapporteur – , j'avais participé au premier rapport sur le sujet, aux côtés d'Alain Chamfort, Daniel Colling, Marc Thonon et Didier Selles, sans oublier Jean-Baptiste Gourdin, ici présent au banc des commissaires du Gouvernement. Malheureusement, nos préconisations n'avaient pas été suivies, et les choix politiques du début du précédent quinquennat avaient conduit à mettre ce projet en sommeil. Mais aujourd'hui, nous y voilà ! L'adoption de cette loi permettra enfin au Centre national de la musique de voir le jour, dès le 1er janvier prochain.

C'est un délai ambitieux, je le sais. Pour le tenir, nous pouvons collectivement nous appuyer sur les travaux préalables approfondis, notamment ceux conduits par Roch-Olivier Maistre, dont le rapport « Rassembler la musique, pour un centre national » a été largement salué par les professionnels du secteur musical et nombre d'entre vous, mais également ceux conduits par le rapporteur et Émilie Cariou, que je salue et remercie. Au terme d'une large concertation avec tous les acteurs, votre rapport de préfiguration a été remis en janvier au Premier ministre, qui a affirmé son souhait de voir ce centre créé au 1er janvier 2020. Ces travaux convergent très largement et confirment la nécessité de créer une maison commune pour la musique.

La musique est la première pratique culturelle des Français. C'est l'art démocratique par excellence, qui permet, davantage encore que les autres, de faire tomber les barrières culturelles et sociales. Parce que la musique a ceci d'universel qu'elle parle à chacun d'entre nous ; parce qu'il n'y a besoin d'aucun prérequis pour être ému par une mélodie ; parce qu'il n'est pas nécessaire de connaître l'histoire de la musique classique pour vibrer au son du violon de Renaud Capuçon ; parce qu'il n'y a pas besoin de comprendre les paroles d'Aya Nakamura pour pouvoir les chanter.

La musique est aussi un puissant levier de liberté, y compris dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou les zones rurales isolées. De NTM hier jusqu'à PNL aujourd'hui, combien d'artistes sont issus de ces quartiers dont on leur disait qu'ils ne pourraient jamais sortir ? De Madeon à Kungs, combien de DJ ont été révélés au grand jour en postant, depuis leur chambre, des remix sur SoundCloud ou YouTube ?

La musique est enfin l'une des principales industries culturelles du pays, par son dynamisme économique et son rayonnement international. Un rayonnement dont témoignait, il y a quelques semaines, la présence de DJ Snake, Chris ou encore Charlotte Gainsbourg sur les scènes du prestigieux festival Coachella.

En l'espace de quelques années, cette industrie s'est profondément transformée – cela ne vous a pas échappé – par l'essor du numérique et la révolution des modes d'écoute. Au cours des quinze dernières années, l'industrie phonographique a connu une crise majeure, notamment du fait du piratage de masse, avec une baisse de son chiffre d'affaires de l'ordre de 60 % entre 2002 et 2015.

L'industrie semble désormais avoir surmonté la crise qu'elle a traversée. Depuis 2016, elle renoue avec la croissance, principalement grâce à l'essor de la diffusion en flux – le ministre en charge de la francophonie ne saurait utiliser, surtout dans cet hémicycle, une autre expression, mais vous avez compris de quoi je voulais parler…

Toutefois, il convient de rester très prudent. La filière demeure fragile, à plusieurs égards. La diffusion en flux peut être porteuse de menaces pour la diversité musicale, avec un risque de concentration des écoutes sur quelques artistes et genres musicaux les plus populaires, risque renforcé par les algorithmes de recommandation des plateformes. Plus largement, la position dominante de quelques grandes plateformes peut fragiliser l'écosystème musical. L'essor de ces nouveaux modes de diffusion efface les frontières et accroît la concurrence internationale. C'est une formidable opportunité pour la diffusion des artistes français à l'étranger, mais c'est potentiellement aussi une menace pour la place de la création musicale française, francophone et européenne dans notre pays.

Le spectacle vivant musical a connu un dynamisme remarquable au cours des dernières années, malgré les attentats infâmes qu'il a subis, de Paris à Manchester. Là encore, la musique a fait la preuve de son pouvoir de rassemblement et de communion. Cependant, c'est un secteur lui aussi exposé à un risque de concentration excessive. Il a connu l'an dernier un ralentissement de son activité, dont tout le monde espère qu'il est purement conjoncturel. Par ailleurs, la distinction entre spectacle vivant et musique enregistrée apparaît de moins en moins opérante. Les acteurs conçoivent désormais leur développement artistique et économique de manière de plus en plus intégrée, dans des stratégies dites, de façon imagée, « à 360 degrés », qui mettent le créateur, qu'il soit auteur, artiste interprète ou compositeur, au centre du projet.

Ces bouleversements profonds ont fait voler en éclats les vieux clivages. Il est temps d'en tirer les conséquences en matière d'organisation des politiques publiques. Il est temps de rationaliser, d'adapter et de renforcer nos outils de soutien, d'accompagnement et d'observation de la filière musicale. Il est temps de les rassembler au sein d'une maison commune.

C'est tout l'objet du Centre national de la musique. Il devra être au service de l'ensemble de la filière musicale et de toutes les esthétiques. Il sera tout entier tourné vers les créateurs. Les soutiens économiques qu'il mettra en oeuvre seront conçus de manière à promouvoir la diversité culturelle et favoriser l'innovation. Il placera les dimensions territoriale et internationale au coeur de son action. Il viendra compléter et amplifier l'action quotidienne des directions régionales des affaires culturelles de mon ministère dans le domaine musical, en lien étroit, évidemment, avec les collectivités territoriales. Il aura, en outre, une mission essentielle d'observation, de veille et de prospective. Les études qui seront conduites à ce titre permettront à la fois d'évaluer l'efficacité des dispositifs de soutien – je pense notamment aux crédits d'impôt, dont le Parlement a souhaité, lors de la discussion des crédits budgétaires pour 2019, qu'ils soient mieux suivis – et d'éclairer les enjeux de partage de la valeur, d'accompagnement de la transition numérique et de promotion de la diversité musicale face aux phénomènes de concentration. Ces études pourront ainsi nourrir les réflexions sur l'amélioration de nos mécanismes de régulation, qui resteront du ressort de l'administration centrale.

Afin de préparer les conditions de la mise en place du Centre national de la musique, j'ai installé, à la fin du mois de mars, un comité opérationnel, dont j'ai confié la présidence à l'inspectrice générale des affaires culturelles Catherine Ruggeri, qui avait travaillé, il y a neuf ans, avec Didier Selles et Jean-Baptiste Gourdin. Par sa longue expérience dans le domaine culturel et musical, sa connaissance de l'administration et sa capacité à prendre en compte les positions de tous les acteurs, elle m'a semblé la personne la plus à même de conduire cette mission délicate. Le comité qu'elle préside, qui se réunit toutes les semaines depuis maintenant plus d'un mois, est composé des directeurs des structures appelées à être fédérées au sein du CNM et des services compétents du ministère de la culture. En s'appuyant sur la présente proposition de loi, ce comité a pour mission de mener tous les chantiers juridiques, budgétaires, administratifs, immobiliers, informatiques et sociaux devant aboutir à la création du Centre national de la musique au début de l'année 2020.

J'insiste particulièrement sur la dimension humaine du projet. Je tiens à ce qu'une attention particulière soit portée aux salariés des différents organismes appelés à intégrer le CNM ainsi qu'aux conditions de leur transfert. J'ai souhaité également, toujours dans une logique de concertation et d'adhésion, que les acteurs et les professionnels du secteur soient pleinement associés à ces réflexions. C'est ainsi qu'un comité de préfiguration, intégrant l'ensemble des représentants de la filière, a été créé pour échanger régulièrement avec Catherine Ruggeri et le comité opérationnel. Il s'est réuni pour la première fois vendredi dernier, et je sais que les échanges ont été fructueux, notamment sur le texte dont nous débattons maintenant. Il se réunira régulièrement jusqu'à la fin de l'année, afin de poursuivre la réflexion commune.

Le projet de Centre national de la musique me tient à coeur depuis longtemps, comme je l'ai dit au début de mon intervention. Vous pouvez vraiment compter sur moi pour mettre toute mon énergie et toute ma volonté au service de sa concrétisation. Cher Pascal Bois, je suis à vos côtés pour défendre la diversité de la création musicale, qui nous est si chère. Ce projet représente un nouvel élan pour la filière musicale. Cette proposition de loi offre de nouvelles garanties pour ses acteurs. Le texte est cohérent et équilibré. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient pleinement cette initiative parlementaire. Je souhaite sincèrement vous en remercier, cher Pascal Bois, vous qui en êtes l'auteur, mais aussi, au-delà, tous les membres de la commission des affaires culturelles, avec qui mon ministère a pu mener un travail fécond, et dont je salue le président, mon cher Bruno Studer.

J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt vos débats en commission, et je me réjouis des points d'accord que vos travaux ont permis d'atteindre. En particulier, je tiens à saluer plusieurs évolutions adoptées en commission, que le Gouvernement soutient pleinement. Vous avez ainsi apporté de précieux enrichissements à la définition des missions dévolues au futur Centre national de la musique. Je pense à l'ajout explicite de la création musicale, pleinement conforme à la volonté du Gouvernement de placer les artistes au coeur des missions du CNM. Je pense également à la mission de valorisation du patrimoine musical, aspect important de la politique culturelle en faveur de la musique, en lien avec les missions de rayonnement et de transmission. Le Centre national de la musique devra bien entendu veiller à articuler son action dans ce domaine avec celle de la BNF – la Bibliothèque nationale de France – , qui reste détentrice de la mission de conservation du patrimoine musical, et celle de la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, dont le musée organise de remarquables expositions, comme Électro, qui se tient en ce moment.

Je voudrais maintenant évoquer les amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement. Certains reprennent d'ailleurs des modifications qui, pour cause d'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution, n'ont pu être adoptées en commission ; je sais qu'ils rencontreront l'adhésion de nombre d'entre vous.

Afin de continuer à enrichir les missions du CNM, nous souhaitons lui confier des compétences en matière d'éducation artistique et culturelle, qui devront être exercées en coordination et en complémentarité avec les acteurs existants, en particulier les directions régionales des affaires culturelles et les collectivités territoriales.

Nous souhaitons également introduire dans la loi la possibilité pour les organismes de gestion collective de verser au CNM une partie des sommes qu'ils sont tenus d'affecter à leur action culturelle et éducative. Il est nécessaire de permettre au CNM de recevoir les financements privés aujourd'hui alloués aux structures associatives qu'il rassemblera. Au-delà de la préservation de l'existant, c'est un moyen d'encourager la mutualisation et la rationalisation des soutiens à la musique, dans une logique de partenariat public-privé, dès lors que les acteurs concernés en décident ainsi.

Enfin, nous voulons ouvrir la possibilité à deux autres organismes de rejoindre le CNM – si et seulement si, bien entendu, leurs conseils d'administration en décident ainsi, dans le plein respect de la liberté d'association. Le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz – CNV – , le Fonds pour la création musicale – FCM – et le Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles – IRMA – figuraient déjà dans la proposition initiale. Comme vous l'avez expliqué, monsieur le rapporteur, outre ces organismes, nous proposons d'ajouter le Bureau export de la musique française – BUREX – et le Club action des labels et des disquaires indépendants français – CALIF.

L'intégration du BUREX est cohérente avec les missions du CNM, puisque celui-ci devra assurer le soutien à l'exportation et le rayonnement de notre création musicale. Cette intégration avait du reste été envisagée dans les deux rapports dont j'ai parlé, mais les choses n'étaient alors pas suffisamment mûres. Depuis lors, les discussions avec le BUREX et les organisations professionnelles qui le financent ont permis de constater l'existence d'une volonté partagée d'intégration.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.