Si nous nous retrouverons donc sur la création du Centre, nos partitions différeront sans doute quant à ses modalités d'existence et de financement. Les trop faibles gages donnés jusqu'à présent par la majorité au secteur culturel justifient notre prudence à l'égard de cette proposition de loi, et les années d'attente des professionnels nous incitent à faire preuve d'une exigence particulière.
En premier lieu, je voudrais exprimer une crainte, celle que ce dispositif ne nous fasse revenir à l'éternel tempo du Gouvernement, à savoir l'obsession de la règle d'or, autrement dit l'austérité. L'air est malheureusement bien connu dans notre pays : baisse brutale du nombre de contrats aidés, blocage dans l'attribution de certains financements, approche consumériste par les pass culture, baisse de certains crédits d'impôt en faveur du spectacle vivant dans la dernière loi de finances, et j'en passe. La politique culturelle menée par le Gouvernement jusqu'à présent est donc à contretemps des besoins et des objectifs d'un milieu professionnel en souffrance, le secteur n'étant malheureusement pas au coeur des préoccupations politiques.
La création d'un Centre national de la musique doit rompre avec ce refrain, qui menace d'asphyxie et de silence celles et ceux qui font vivre la création. Nous ne voudrions pas que, derrière le prétexte de les réunir au sein d'une structure autonome, le Gouvernement affaiblisse davantage un ministère dont les attributions fondent à vue d'oeil. Je tiens donc à rappeler que l'État ne peut se soustraire à sa mission essentielle d'accompagnement des acteurs de la musique et que le Centre national de la musique ne doit en aucun cas contribuer à l'externalisation de cette dernière. Et je ne voudrais pas non plus qu'en fin de compte, en habillant le CNM, on déshabille les autres budgets alloués à la musique.
Afin de nous prémunir de cette tentation, je tiens à redire notre attachement à ce que le Centre dispose d'un budget digne de ce nom. L'autonomie budgétaire et l'administration par le centre de certains crédits d'impôt ne sauraient servir la partition d'un Gouvernement qui fait la part belle au désengagement de l'État et à la délégation de ses missions aux acteurs privés. Nous serons donc attentifs à ce que les financements et les moyens affectés au secteur musical soient en rapport avec les enjeux, comme c'est le cas pour le Centre national du cinéma. On sait du reste très bien que l'impulsion des pouvoirs publics a été décisive pour le cinéma français, qui se porte relativement mieux que d'autres secteurs, malgré toutes les difficultés du moment. La mutualisation de l'ensemble des services, qui nous paraît pertinente, doit aller de pair avec un budget sacralisé, de préférence en hausse ou au minimum constant.
Par ailleurs, un autre point appelle notre vigilance : la structuration du Centre national de la musique. On nous dit qu'il sera « la maison commune de toutes les musiques ». Il faudra veiller à ce qu'il ne devienne pas une sorte d'auberge espagnole car de nombreux acteurs, aux intérêts parfois divergents, y seront représentés – les syndicats, l'édition, les organisateurs de concerts, un centre de recherche et de statistique. S'il veut être un vivier de la politique musicale de notre pays, le CNM doit se montrer capable de mettre en harmonie tous ces interlocuteurs.
Dès lors, comment ne pas se montrer prudents à la lecture du communiqué du PROFEDIM, le syndicat professionnel du secteur, qui s'étonne du manque de concertation lors des travaux de la mission de préfiguration confiée à deux parlementaires ? Comment ne pas se montrer méfiants lorsque l'on nous parle de nominations par décret ?
Compte tenu des missions du Centre, il est nécessaire que des débats portent sur la composition de son conseil d'administration, même si plusieurs dispositions relèveront du domaine réglementaire. Comme vous le constaterez lorsque nous défendrons nos amendements, nous exigeons de la collégialité dans les décisions administratives. En outre, il est essentiel que le CNM ne soit pas inféodé à un gouvernement susceptible de couper à la serpe dans les financements publics ou d'utiliser les nominations à des fins politiques et partisanes. Dans un contexte de réforme de l'action publique, l'horizon étant le programme action publique 2022, il convient de défendre la diversité et la vitalité culturelles ; c'est, à nos yeux, un enjeu tout à fait essentiel.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l'opportunité de créer un établissement public à caractère industriel et commercial, alors que la direction générale de la création artistique avait suggéré de faire du Centre un établissement public à caractère administratif, ce qui aurait renforcé sa dimension de service public. On ne peut pas balayer cet argument d'un revers de main en invoquant l'argument, purement pratique, du transfert des emplois, comme cela a été fait en commission. Le personnel de l'actuel Centre national de la chanson, des variétés et du jazz pourrait tout à fait être repris sur des contrats de droit public. Le Centre national du cinéma est, je le rappelle, un établissement public à caractère administratif sous tutelle du ministère de la culture.
Il importe que le ministère de la culture ne se défausse pas intégralement sur le Centre national de la musique. À l'heure où le secteur culturel est affaibli par les coupes budgétaires, nous devons nous assurer des conditions de l'indépendance du Centre par rapport aux intérêts privés, de sa pérennité financière et de son assise institutionnelle.
Dépassons maintenant la seule dimension législative du texte pour nous intéresser un temps à l'état du secteur musical. Lors de l'étude de ce projet, que ce soit sous la présidence de Nicolas Sarkozy, …