TV5 Monde est la chaîne de la francophonie. Nous sommes acteurs de l'audiovisuel public français et de son audiovisuel public extérieur, mais ne sommes pas exclusivement français, puisque nous sommes également financés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Suisse, le Québec et le Canada et représentons les quatre-vingt-huit États membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Je ne reviendrai pas sur l'histoire et les missions de TV5 Monde – mais je répondrai volontiers à vos questions sur ce sujet. Au moment où la France s'interroge sur l'avenir de ses médias et celui de son audiovisuel extérieur, je vais plutôt m'attacher à dépasser la vision de court terme pour nous projeter dans l'avenir – à cinq ou dix ans –, ce qui vous intéressera sans doute plus dans le cadre des décisions que vous serez bientôt amenés à prendre pour notre avenir.
Dans dix ans, l'audiovisuel extérieur français sera extrêmement concerné par l'univers des plateformes. On en parle tous les jours et la concurrence américaine ou chinoise est déjà présente – mais pas uniquement. Les télévisions traditionnelles continueront d'exister, mais elles perdront une grande partie de leur influence directe. Leur capacité de survie et d'influence sera liée à la présence de leurs programmes sur ces plateformes – qu'elles en soient, ou pas, les opérateurs directs.
Pour l'audiovisuel extérieur français – j'exclus le sport car les droits y sont particulièrement complexes à gérer et je ne sais pas si nous pourrons créer ou faire exister une plateforme exclusivement française dans ce domaine –, il existera probablement deux principales catégories de plateformes : les plateformes d'information, au sens le plus large, et des plateformes du type de celle de Netflix. Dans ce cadre, TV5 Monde serait la plateforme francophone mondiale.
À cinq ans, les dernières études des diverses agences et instituts américains soulignent que trois éléments seront essentiels : la convergence, l'accessibilité et la confiance, ce dernier critère prenant une importance croissante.
La convergence est naturelle pour nous : nous réunissons les services publics des cinq États qui nous financent, mais aussi tout l'audiovisuel public français. Véronique Cayla, comme Marie-Christine Saragosse, siègent au sein de notre conseil d'administration. Nous sommes le bras international de France Télévisions. Nous travaillons aussi avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et Radio France.
La convergence est également interne à nos entreprises, suite à leur conversion au numérique : nos rédactions sont désormais bi, voire tri-média. TV5 MONDE ne fait pas encore de radio, mais travaille à la fois en télévision traditionnelle – avec neuf chaînes généralistes linéaires et deux thématiques –, et en numérique – TV5 est présente sur l'ensemble des supports numériques. C'est aussi le cas de notre dispositif de production et de diffusion : nous avons basculé en régie à 360°, qui gère la diffusion des chaînes en même temps que la disponibilité de tous les contenus sur tous les supports numériques.
L'accessibilité est un enjeu crucial pour les programmes français. Nos actionnaires canadiens l'ont bien compris, et ils nous incitent vivement à améliorer la « découvrabilité » des programmes. Pourquoi ? Au Canada, les programmes télévisés sont particulièrement concurrencés par Netflix, qui représente 60 % des parts de marché en prime time. C'est considérable ! Cela les préoccupe beaucoup au titre de leur souveraineté. C'est d'ailleurs une question que nous devrions, nous aussi, nous poser…
Nous y répondons par l'hyperdistribution – l'accessibilité maximale de nos contenus, sur tout type de supports. Comme nous ne sommes pas aussi riches que Netflix et que beaucoup d'autres acteurs – nous sommes un Petit Poucet budgétaire –, nous abordons chaque support – Facebook, YouTube, etc. – comme un marché et analysons comment nous y inscrire et trouver des collaborations ou des partenariats.
Dernier aspect, et pas le moindre : la confiance. Depuis plus de dix-huit mois, vous suivez comme nous le débat concernant les infox – fake news en anglais. Marie-Christine porte d'ailleurs le badge « Stop aux infox ». La crise des gilets jaunes est aussi une crise de confiance envers les médias et les journalistes. J'ai fait toute ma carrière dans les médias et je suis journaliste ; vous imaginez mon intérêt pour le débat. Je ne me sens pas agressé car il est normal de débattre et d'être remis en cause ; depuis 1789, aucun poste, aucun titre n'est acquis pour toujours !
À l'international, la confiance est fondamentale : TV5 Monde est présente partout dans le monde – y compris en Chine, en Corée du Nord, à Cuba ou au Soudan du Sud. Les pays les plus fermés diffusent notre chaîne car ils ont confiance. Cette confiance, nous essayons de la tisser par la culture – tout comme nos amis d'Arte. Le dialogue est plus simple que si nous parlions de politique ou d'économie – les rivalités entre certains pays sont alors plus visibles.
Notre multilatéralisme alimente aussi notre capital de confiance : au-delà des cinq États qui nous financent, nous représentons les quatre-vingt-huit États membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Cela entre en ligne de compte quand les gouvernements décident de notre diffusion – ou non – sur leur territoire. C'est le cas du gouvernement chinois, et de la télévision centrale chinoise avec laquelle nous avons développé des collaborations.