Je vous remercie de nous accueillir. S'il y a un endroit où l'on comprend les enjeux géostratégiques – et, donc, ce nous vivons au quotidien dans le monde –, c'est bien cette commission !
Nous avons le sentiment d'une urgence. La révolution numérique, tout comme le phénomène des infox, voire les cyberattaques, qui font partie d'un continuum guerrier, sont notre quotidien depuis plusieurs années. Mais ces phénomènes recouvrent désormais des enjeux géostratégiques et peuvent modifier le devenir des nations – on l'a vu avec les élections aux États-Unis ou le Brexit. Demain, les élections européennes seront peut-être également influencées par ces informations manipulées…
Dans ce cadre, l'audiovisuel extérieur français est un outil important. Nos trois groupes sont complémentaires : chaînes généralistes – qui diffusent de l'information mais aussi des programmes patrimoniaux – et chaînes d'information avec nos rédactions qui couvrent quinze langues ; chaînes multilatérales – l'une francophone et l'autre franco-allemande et européenne – ou groupe français.
Le groupe France Médias Monde est un jeune groupe tri-média – nous sommes les seuls à faire à la fois de la radio et de la télévision et du numérique – qui date de 2012. France 24 est une chaîne d'information en continu quadrilingue – français, anglais, arabe et espagnol à raison de six heures par jour. Radio France Internationale (RFI) est une radio d'actualité, dont les programmes sont plus longs que ceux d'une radio d'information continue. Elle diffuse en français et en treize autres langues. Enfin, Monte Carlo Doualiya (MCD) est une radio généraliste arabophone que la France a créée dans les années soixante-dix.
Notre groupe diffuse donc en quinze langues. J'ai envie de dire « seulement » quinze langues car, pendant ce temps, BBC World, Deutsche Welle, ou Voice of America qui dépend du USAGM (ex- Broadcasting Board of Governors) diffusent entre trente et soixante langues…
Comme TV5, nous sommes présents dans tous les pays, à l'exception de la Chine où nous sommes interdits de séjour en raison de notre statut de groupe d'information – de l'intérêt de la culture ! Nous desservons 384 millions de foyers en vingt-quatre heures et disposons du plus important réseau de fréquences moyennes (FM) des radios internationales, ainsi que de nombreux partenariats radiophoniques (1600 radios partenaires).
Je reviendrai ultérieurement sur les résultats d'audience, qui comptent pour mesurer notre impact auprès des populations, relayer les valeurs françaises et un point de vue français dans le monde.
Nous avons des relations de proximité avec TV5 et Arte. Ainsi, Véronique Cayla a évoqué le sous-titrage de ses émissions en espagnol : nous en diffusons sur notre site en espagnol et elles rencontrent un grand succès. Nous développons ce « postage croisé » de contenus et allons poursuivre dans cette voie. Nous réalisons également des coproductions. Avec TV5, nous avons même signé un accord-cadre qui inclut les coproductions, la distribution et les mesures d'audience. Nous sommes présents conjointement sur les marchés, tout en conservant nos spécificités – dans le cas contraire, cela n'aurait pas d'intérêt.
FMM a pour mission principale de délivrer une information indépendante, honnête, équilibrée et plurielle en français et en langues étrangères, sur tous les supports de radio et de télévision numériques, en développant notre crédibilité et en suscitant la confiance dont parlait Yves Bigot. Au niveau mondial, nous promouvons les valeurs démocratiques, républicaines, la langue française et la francophonie.
Parmi nos missions figure de contribuer à la stabilisation des zones de tension : en développant des langues sahéliennes – comme le mandingue ou, demain, je l'espère, le peul –, nous contribuons au dialogue et à la diffusion d'une information certifiée dans des zones où elle n'existe pas.
Nous promouvons la francophonie dans un monde plurilingue aux côtés de TV5 Monde : RFI est un fer de lance pour l'apprentissage du français à partir des langues étrangères. Nous sommes très engagés auprès des jeunes générations connectées – je vous donnerai tout à l'heure nos chiffres concernant le numérique –, notamment afin de lutter contre les fausses informations et d'éduquer aux médias. Au fond, le premier rempart dans la lutte contre les fausses informations est l'éducation, afin que l'on puisse décrypter les images.
La promotion de la culture est une signature française à l'international, partout et toujours – Arte et TV5 Monde le font aussi. Nous avons une information culturelle très importante.
Nous contribuons également au développement durable et à la coopération internationale. Depuis bientôt un an, Canal France International (CFI), qui est l'outil de coopération et d'aide au développement en matière audiovisuelle, est notre filiale à 100 %.
Nous participons aux projets européens à travers des coopérations intenses, notamment avec Deutsche Welle. Comme Véronique Cayla l'a rappelé tout à l'heure, il est important d'avoir des liens avec nos amis allemands. Nous avons lancé InfoMigrants avec Deutsche Welle et nous travaillons également sur le projet « Enter », qui n'est pas une plateforme mais une offre visant l'hyper-distribution sur les réseaux sociaux, visant à aller chercher les jeunes qui ne sont pas « Erasmus » – ce sont eux qui se radicalisent, qui restent en marge de l'Europe et qui ne parlent pas toujours anglais. Il faut aller les chercher dans leur langue – c'est la spécificité que nous avons.
Les résultats qui viennent de sortir montrent que nous assurons nos missions. Nous avons un peu plus de 176 millions de contacts chaque semaine, contre 150 millions en 2017, ce qui représente une croissance assez forte. Cela inclut l'audience linéaire, classique – 130 millions de gens nous regardent ou nous écoutent, ce qui constitue aussi une forte croissance, encore plus importante que celle du numérique cette année –, et 46 millions de vues dans les univers numériques, où nous sommes en hyperdistribution sur toutes les plateformes, notamment Facebook et Twitter, ainsi qu'avec la vidéo mobile – 900 millions de vidéos de nos différentes chaînes ont été vues en 2018 .
Nous sommes une chaîne d'information. Cela veut dire que nous avons tous les droits sur ce que nous produisons et que nous sommes en direct et en linéaire. Une récente étude de BBC World Service indique qu'il y a certes un enjeu, décrit tout à l'heure par Yves Bigot, qui est lié à la délinéarisation, aux plateformes et à Netflix pour toutes les chaînes qui sont riches en contenus patrimoniaux, comme Arte et TV5 Monde. Pour nous, le direct continue toutefois à être dominant, en linéaire, et les études montrent que ce n'est pas prêt de s'arrêter. Il faut donc être un média global, présent en linéaire et sur le numérique. Sur nos 176 millions de contacts hebdomadaires, 130 millions de personnes nous regardent en linéaire, de façon classique – par le câble et par satellite et par les FM.
Il faut faire attention quand on prend des décisions stratégiques : le monde n'est pas homogène sur le plan de la distribution. Nous devons faire le grand écart entre une distribution en ondes courtes dans certaines zones d'Afrique où RFI est toujours écoutée de cette manière – cela représente près de 37 % de son audience – et de l'Over the Top Television (OTT) dans d'autres zones. Il faut faire de la dentelle et ne jamais lâcher un « barreau de la chaîne », si je puis dire, sans en tenir un autre et sans être accessible en fonction des habitudes d'écoute, comme Yves Bigot l'a souligné.
En ce qui concerne les grands enjeux géostratégiques, il y a évidemment l'Afrique, qui reste dominante pour nous – on touche à peu près 60 % des plus de 15 ans en Afrique francophone et on se développe assez fortement en Afrique anglophone. L'enjeu est celui des langues africaines : le peul, le mandingue, le swahili ou le haoussa. Si l'on veut que l'Afrique reste francophone, il faut également parler les langues des Africains et avoir un dialogue avec ces langues nationales. Il y a aussi le monde arabe, évidemment, qui est très important dans nos audiences. On voit ce qui se passe aujourd'hui en Algérie… Nous sommes au Maghreb la première chaîne d'information en arabe. Même si le français est très écouté, l'arabe reste dominant en matière d'infos linéaires. C'est un peu plus équilibré du côté des sites internet, mais il ne faut pas du tout lâcher l'arabe, à l'évidence.
Que faudrait-il abandonner, au fond, si l'on devait faire des économies ? C'est quand même un peu la question qui nous est posée. Devrait-on se retirer d'une partie de l'Europe, par exemple ? Une telle annonce pourrait être assez « intéressante » à la veille des élections européennes, et en période de Brexit. Faut-il passer en OTT partout ? On a été obligé de le faire aux États-Unis – nous sommes partis de ce pays, soyons clairs : France 24 en anglais n'est plus présente aux États-Unis en linéaire. TV5 Monde y est toujours, Dieu merci, mais va sortir du Royaume-Uni, où nous sommes encore présents en linéaire. Le Brexit doit-il nous faire sortir du Royaume-Uni ? J'ai du mal, parfois, à me dire que c'est une fatalité.
Nous serons en tout cas très présents pour les élections européennes. Nous faisons partie du groupe de fact-checking européen et international qui vient de se mettre en place, avec Le Monde, Libération et l'Agence France-Presse (AFP), pour la France, en vue de lutter contre la montée des infox à laquelle on assistera certainement à la veille des élections européennes. Nous réalisons aussi, avec la Deutsche Welle, une série de portraits de primo-votants européens. Il nous semble très important de continuer à labourer l'Europe, dont nous ne pensons pas que tous les États membres véhiculent les mêmes valeurs.
Faut-il alors renoncer à l'Amérique latine ? Nous venons d'y lancer France 24 en espagnol. Il existe une francophilie incroyable dans cette région, où Donald Trump est actuellement notre outil marketing le plus puissant. Il serait dommage de ne pas en profiter. Doit-on, par conséquent, renoncer à l'Asie ? Ce serait bien dommage aussi : nous venons de réaliser une percée – en tout cas France 24 en anglais, qui a 12 millions de téléspectateurs dans la zone.