Si vous m'y autorisez, madame la présidente, je vais d'abord répondre aux différents orateurs et ce faisant, j'imaginerai une réponse à votre question.
Première question : le public de TV5 Monde. Nous nous adressons aux Français de l'étranger, à tous les francophones et à tous les francophiles de la planète qui s'intéressent selon l'expression consacrée au filtre français. En réalité, ce filtre est franco-belgo-helvéto-québécois mais ces quatre pays ont la même vision géopolitique et géostratégique et partagent les mêmes valeurs. Il faut savoir que 60 % de nos téléspectateurs ne parlent pas un mot de français et regardent nos programmes avec des sous-titres. Nos programmes sont diffusés en français mais ils sont sous-titrés dans quatorze langues, ce qui participe à la diffusion et à l'apprentissage de notre langue.
Les téléspectateurs sont avant tout attirés par notre culture et par nos créateurs. S'ils s'abonnent à l'une des neuf chaînes généralistes de TV5 Monde – dans beaucoup de pays, elles sont payantes –, c'est pour profiter du cinéma français, de l'art de vivre à la française.
Nous nous adressons aussi beaucoup à la jeunesse. En Afrique 60 % des 50 millions de nos téléspectateurs ont moins de trente-cinq ans. À l'heure où l'on se pose la question de l'âge des téléspectateurs du service public en France, il est très important de ne pas être coupé de la jeunesse, qui représente l'avenir. L'audience de TF1 et de M6 est extrêmement réduite sur ce continent. Ces chaînes ne sont diffusées que dans un tout petit nombre de pays et seulement dans des hôtels ou chez des particuliers ayant les moyens de s'abonner aux plus beaux des bouquets satellitaires.
Quant à la présence des États africains dans les instances de TV5 Monde, c'est un sujet que j'ai abordé il y a moins de deux heures avec Louise Mushikiwabo, secrétaire générale rwandaise de l'OIF. Elle m'avait d'ailleurs indiqué, avant même d'être désignée à ces fonctions, qu'elle souhaitait que l'on étudie ensemble la place des chaînes africaines au sein de TV5 Monde. Comme vous vous en doutez, c'est un chantier que je peux simplement préparer. Il appartient aux cinq gouvernements qui nous régissent de prendre des décisions.
La diplomatie d'influence qu'exerce la France à travers TV5 Monde passe principalement par la culture, vecteur d'attachements profonds pour une langue ou pour un pays. Si je parle aussi bien la langue de Shakespeare que celle de Molière, c'est parce que je voulais savoir ce que racontaient les Beatles ou Bob Dylan dans leurs chansons. La diffusion d'oeuvres françaises est l'influence la plus profonde que la France peut avoir non seulement dans les pays francophones mais dans le monde entier.
Si la chaîne est payante à Singapour alors que d'autres sont gratuites, c'est pour des raisons commerciales. Les chaînes que vous avez mentionnées paient pour être distribuées, ce que nous ne faisons pas. En revanche, nous estimons que notre chaîne a de la valeur, d'où ce mode payant.
La place de TV5 Monde dans la réforme en cours de l'audiovisuel public français dépendra de son association avec une éventuelle nouvelle entité. Rappelons que nous sommes déjà le fruit de synergies entre différents acteurs de l'audiovisuel public français. Notre actionnaire principal est France Télévisions, avec 49 % des parts, et sa présidente est à la tête de notre conseil d'administration auquel siègent Marie-Christine Saragosse et Véronique Cayla. Nous ne pouvons être absorbés au sein d'une entité française puisque les quatre autres sociétés audiovisuelles qui nous financent appartiennent soit à des États souverains – la Confédération helvétique et le Canada – , soit à des entités dépendant d'États souverains – la fédération Wallonie-Bruxelles et le Québec, lequel, rappelons-le, a refusé d'adhérer à la constitution du Canada.
La confiance est bien sûr fondamentale pour moi. Si nous parvenons à en inspirer à nos téléspectateurs, c'est principalement en raison de la qualité de nos programmes et des valeurs que nous véhiculons, valeurs partagées par les cinq États associés, valeurs de la France.
L'existence de frontières audiovisuelles s'explique par la gestion des droits. Si les programmes de France Télévisions, que nous diffusons dans le monde, ne sont pas partout visibles, c'est que France Télévisions n'en détient pas les droits au-delà du territoire français, qu'il s'agisse des retransmissions d'événements sportifs dont les droits ne sont acquis que pour la France ou de la diffusion d'oeuvres. Celles-ci sont la propriété des producteurs, propriété partagée pour un temps avec les chaînes qui les financent majoritairement. C'est l'un des grands enjeux de la future loi sur l'audiovisuel : comment adapter à la réalité de 2019 ou 2020 les relations entre les producteurs et les diffuseurs et comment répartir les droits entre eux ?
Sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, nous appliquons toutes les réglementations. L'écart salarial ne devrait pas dépasser 1 % en 2020. C'est Thomas Derobe, notre secrétaire général, qui est en charge de cette mission.
S'agissant de la cyberattaque que nous avons subie le 8 avril 2015, l'enquête menée par le magistrat du parquet anti-terroriste de Paris avec les sept forces de police françaises a démontré deux choses : cette attaque était destinée non à voler nos données ou nous rançonner comme c'est le cas habituellement avec les cyberattaques mais à nous détruire ; elle a été menée par un groupe de hackers russes, APT28, connu aussi sous le nom de Fancy Bear ou Pawn Storm. Il y a en revanche deux questions auxquelles l'enquête n'a pas pu apporter de réponses : pourquoi avons-nous été ciblés ? Existe-t-il un lien entre ce groupe de hackers russes et un certain État ? Question qui fait sourire mes interlocuteurs étrangers.
Le dispositif de lutte contre les cyberattaques coûte chaque année 3 millions d'euros et occupe six ingénieurs. Nous avons un contrat avec Airbus supervisé par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).
Plusieurs questions ont porté sur notre stratégie en Afrique. Ce continent est, avec le numérique, au coeur de notre plan stratégique actuel et de notre développement. Nous sommes présents partout. Ce ne sont pas avec les États mais avec les chaînes africaines et les producteurs africains que nous travaillons. Nous investissons environ 3 millions d'euros dans la production africaine chaque année : cinéma, documentaires, séries télévisées, magazines, web-créations. Ce n'est pas moi qui décide du nombre d'États représentés au sein du conseil de coopération de TV5 Monde. Notons que celui qui s'est tenu la semaine dernière a été élargi à une douzaine d'acteurs. Nous travaillons bilatéralement avec l'ensemble des chaînes africaines pour des coproductions et nous échangeons avec elles en permanence, dans tous les domaines.
La BBC est une chaîne que je connais extrêmement bien car j'y ai été producteur pendant cinq ans. Son modèle est-il transposable à la France ? Sans doute mais, encore une fois, ce n'est pas à moi d'en décider. Ce sur quoi nous pourrions prendre exemple, c'est son conseil d'administration et le mode de nomination de son président : son mandat de dix ans non renouvelable lui permet de travailler en toute indépendance sur le long terme sans être en permanence préoccupé par sa réélection. Il faut dire que la BBC a noué un lien particulier avec les citoyens britanniques en les protégeant pendant la seconde guerre mondiale – elle est surnommée Auntie, « tata » –, lien qui n'a pas d'équivalent en France.
Un dernier mot à propos de la langue française : il s'agit de l'une de nos missions fondamentales, que nous partageons avec RFI. Nous avons des programmes sous-titrés en quatorze langues et nous avons des services d'apprentissage du français pour les diplomates et pour les migrants et d'enseignement du français, qui reçoivent sur notre site plus d'un million de visites mensuelles.
Le service public de l'audiovisuel public extérieur pourrait-il avoir une configuration idéale ? Je ne le sais pas, madame la présidente. Préservons déjà celui que nous avons, il est assez exceptionnel.