Je m'excuse par avance de faire entendre peut-être une voix un peu dissonante par rapport aux interventions précédentes. Ce n'est pas par volonté d'être en opposition à tout prix, mais parce qu'il nous semble, au groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), que cette proposition de loi reste affectée de quelques limites, et même encore de quelques risques.
Pourtant, nous sommes particulièrement heureux de pouvoir de nouveau débattre du sujet, de même que nous étions favorables à la discussion avant même que la directive soit adoptée en mars 2019 à l'échelle européenne. Nous nous étions réjouis que la niche parlementaire de votre groupe, monsieur Mignola, nous ait donné l'occasion de discuter de la question avant même le vote de la directive. La demande était formulée de longue date. Les éditeurs attendent que les choses avancent vite à l'échelle nationale.
Cela étant, je relève quelques risques et quelques limites dans cette proposition de loi. Le premier risque à nos yeux est le renforcement du lien de dépendance entre les infomédiaires et les éditeurs de presse en ligne. Cela aura comme conséquence première une altération de la qualité de l'information. En effet, la rémunération se faisant « au clic », cela encourage les éditeurs de presse en ligne à privilégier la quantité sur la qualité. Ils en viennent à demander parfois aux journalistes d'écrire 2 000 signes en cinq minutes. Tous ceux qui aiment écrire savent quelles conséquences cela peut avoir. À nos yeux, la proposition de loi impactera aussi fortement le référencement des articles de fond.
Le deuxième risque est celui de pénaliser les petits éditeurs de presse. On parle ici du pluralisme d'opinion, mais aussi du pluralisme de forme et du pluralisme d'échelle. Les petits éditeurs de presse n'auront pas en effet les moyens financiers ou le même poids que les éditeurs les plus reconnus pour négocier une juste convention entre eux et les GAFA. Le coût de mise en oeuvre de cette nouvelle licence peut être conséquent et inaccessible aux plus petits acteurs.
J'en viens aux limites. Pour la principale, elle réside dans la collecte et la redistribution des revenus engendrés par ce droit voisin. Nous relayons notamment ici, de manière transparente, les inquiétudes exprimées par le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) concernant la nature du futur organisme de collecte, son organisation et sa gouvernance. Il nous semble qu'une représentation équitable de l'ensemble des éditeurs de presse et une transparence totale sur la collecte des droits et leur répartition est incontournable, sans quoi ce nouveau droit ne constituera rien de plus qu'une nouvelle rente pour une minorité de médias qui bénéficient déjà de la majeure partie des aides à la presse. J'en profite pour dire à quel point il est nécessaire de revoir les aides à la presse. Les modalités de collecte doivent veiller à ne pas renforcer l'oligopole existant en matière de contenu. Cela constitue à notre sens un enjeu démocratique extrêmement fort.
Autre limite : l'article 3 indique que les journalistes ont droit à une part de la rémunération qui sera négociée via un accord d'entreprise ou un accord collectif. Il nous semble que cette formulation est imprécise et qu'elle ne représente pas une garantie assez forte quant à l'accès à une juste rémunération de leur production. Cela risque par ailleurs de remettre en cause les dispositions de la loi HADOPI, qui a déterminé un équilibre entre droits des journalistes et revendication économique des éditeurs. Si la mesure passait, qu'en serait-il du partage de la rémunération ?