Intervention de Catherine de Kersauson

Réunion du mardi 9 avril 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Catherine de Kersauson, présidente de la 2e chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, vous avez, par une lettre du 26 mars 2019 adressée au premier président de la Cour des comptes, souhaité que des représentants de la Cour puissent vous présenter « les principales observations et recommandations relatives au pilotage global de la politique de soutien aux énergies renouvelables, telles qu'elles ressortent des vérifications et délibérations conduites par la Cour des comptes ». Le premier président a souhaité que je le représente, accompagnée d'Éric Allain, président de la section « Énergie », qui m'assistera pour répondre à vos questions.

Durant la période récente, la Cour a publié plusieurs rapports traitant des questions qui intéressent votre commission d'enquête. Le 16 mars 2018, elle a ainsi remis au président de la commission des finances du Sénat un rapport relatif au soutien aux énergies renouvelables, qui lui avait été demandé en décembre 2016 et porte sur la période 2013-2017. Ce rapport effectue la synthèse de trois contrôles réalisés en 2017, portant l'un sur le soutien aux énergies électriques, l'autre sur le soutien aux EnR chaleur et le troisième sur le soutien à la filière des EnR électriques. Par ailleurs, les notes d'exécution budgétaire relatives au compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », ainsi qu'à la mission « Ecologie, développement et mobilité durable » et en particulier au programme 345 « Service public de l'énergie » complètent et actualisent certains des éléments figurant dans le rapport de mars 2018.

Je souhaite également vous signaler le référé du premier président du 22 décembre 2017 relatif à l'évaluation de la mise en oeuvre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), qui a occupé une partie de vos auditions et a été adressé au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'économie et des finances, ces derniers y ayant répondu conjointement le 14 mars 2018.

La Cour a en outre effectué en octobre 2013 une communication au Premier ministre sur les certificats d'économies d'énergie, qui a fait l'objet d'un suivi dans le cadre d'une insertion au rapport public annuel de 2016.

J'ajoute que la Cour assure un suivi annuel de ses recommandations, dont le résultat est synthétisé chaque année dans le rapport public annuel. Les résultats les plus récents de ce suivi pourront également nourrir les réponses à vos questions éventuelles.

Je vous signale également d'autres rapports de la Cour susceptibles d'éclairer vos travaux : le rapport préparé par la cinquième chambre et remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale en mars 2019 sur les dépenses fiscales en faveur du logement, ou encore le rapport de la cinquième chambre de la Cour remis à la commission des finances du Sénat en février 2018 sur le programme « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Citons également, parmi les travaux les plus récents, une insertion au rapport public annuel de 2018 relative à Linky et aux autres compteurs communicants.

Permettez-moi deux remarques liminaires. Je tiens tout d'abord à préciser que la Cour ne peut s'exprimer que sur des sujets qu'elle a instruits complètement, après avoir mené à son terme la procédure contradictoire avec les organismes relevant de son champ de compétences. Par ailleurs, la date de nos publications sur le sujet particulier intéressant votre commission d'enquête est un élément tout à fait important s'agissant d'un contexte très évolutif. Certains de nos travaux demandent ainsi à être actualisés.

Je vais, à partir du rapport de mars 2018 et des notes d'exécution budgétaire précédemment mentionnées, essayer de répondre aux interrogations de votre commission sur les objectifs, l'impact économique et industriel et le financement des énergies renouvelables.

Concernant les objectifs poursuivis par la politique énergétique, notre rapport de mars 2018 sur le soutien aux EnR avait mis en évidence le retard persistant, déjà documenté dans le rapport précédent de 2013, entre les objectifs assignés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte et la place des EnR dans le mix énergétique. Il a également mis en lumière la non-compatibilité entre l'objectif et la trajectoire de développement des EnR de 32 % de la consommation brute d'énergie en 2030, arrêtée en 2016, et l'objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique en 2025. La Cour constatait dans ce rapport que l'objectif premier de la politique énergétique ainsi tracée était de réduire la place du nucléaire dans le mix énergétique plutôt que de lutter contre le réchauffement climatique, dans la mesure où les deux objectifs assignés ne réduisent pas les émissions de gaz à effet de serre. Pour y contribuer, la politique énergétique aurait dû se concentrer sur les EnR thermiques en substitution principalement des énergies fossiles, fortement émettrices de dioxyde de carbone.

La Cour a en outre, dans son rapport de mars 2018 sur les EnR, cherché à apprécier l'impact économique et industriel des énergies renouvelables. Son appréciation est la suivante : faute d'avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a en définitive peu profité du développement des EnR. Constatant que la France, contrairement à d'autres États européens, n'était pas parvenue à se doter de champions dans ce secteur, la Cour exprimait diverses recommandations. Elle préconisait ainsi, à l'occasion de la révision de la PPE prévue initialement en 2018, mais intervenant de fait en 2019, de définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d'énergies renouvelables électriques et l'objectif de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix, et de clarifier les objectifs industriels français associés au développement des EnR. Il est difficile d'apprécier à ce stade la suite donnée à cette double recommandation, la PPE n'étant à ce jour qu'un projet dont l'adoption ne pourra intervenir avant la discussion et l'adoption de la petite loi sur la transition énergétique, dont le projet sera prochainement présenté par le Gouvernement.

Concernant les modalités, la maîtrise et la transparence des financements des politiques de transition énergétique, je rappellerai en introduction quelques éléments clés sur les différentes modalités de soutien par l'État et leur répartition. Le coût budgétaire du soutien est nettement en faveur des EnR électriques, dans un rapport de 1 à 10 environ. Les modes de soutien sont différents, fondés sur des subventions à l'investissement et des dispositifs fiscaux pour le thermique : je pense au fonds chaleur pour les subventions à l'investissement et, pour les dispositifs fiscaux, au crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et au taux réduit de TVA. Pour l'électrique, les soutiens sont basés sur des subventions d'exploitation, sous la forme de compensations et d'obligations d'achat visant à garantir un niveau de prix aux producteurs, l'État prenant à sa charge le risque pris. Le soutien à la production d'EnR électriques est désormais alloué après appel d'offres. Les soutiens aux EnR sont, depuis 2015, financés par le contribuable et retracés dans deux supports budgétaires. Le premier est le compte d'affectation spéciale « transition énergétique », financé en recette par une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui assure le financement du soutien aux EnR électriques et au biométhane, des charges liées au remboursement aux opérateurs du déficit de compensation de leur charge de service public de l'électricité cumulé au 31 décembre 2015 et des charges d'effacement de consommation. Le second instrument est le programme 345 « Service public de l'énergie », qui finance notamment les intérêts de la dette auprès des opérateurs, les dispositifs propres aux zones non interconnectées, le chèque énergie, le budget du médiateur de l'électricité et quelques autres éléments.

Le rapport de la Cour des comptes de mars 2018 sur les EnR et l'examen de l'exécution du budget de l'État ont conduit à formuler des observations et recommandations à l'adresse des pouvoirs publics. Le premier constat est celui d'une forte dynamique des dépenses publiques de soutien aux EnR, avec 5,3 milliards d'euros en 2016 et une projection pour 2023 estimée à l'époque à 7,5 milliards d'euros. La Cour notait également une forte concentration sur le soutien aux EnR électriques, avec 4,4 milliards d'euros sur 5,3 milliards d'euros en 2016. La Cour soulignait en outre le poids des engagements passés, les charges contractées avant 2011 représentant environ deux tiers du volume de soutien annuel en 2017. Elle relevait également la disproportion entre certains montants de soutien et la contribution aux objectifs de développement des EnR, notamment pour le photovoltaïque et l'éolien offshore. Ce déséquilibre en faveur du soutien aux EnR électriques était rappelé dans ce rapport, de même que les insuffisances du dispositif de connaissance des coûts de production. Le rapport de la Cour pointait enfin, parmi les trois principaux vecteurs de soutien public aux EnR – le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), le Fonds chaleur et la compensation des charges de service public – la place particulière de cette compensation récemment mise à la charge du contribuable et dont les dynamiques sont imparfaitement retracées dans le CAS et le programme 345.

Nous en tirions les recommandations suivantes : il importait tout d'abord selon nous de renforcer l'efficacité et l'efficience du soutien au développement des EnR par un net renforcement de la transparence quant aux déterminants des choix opérés et par une meilleure association du Parlement à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR. À cet égard, si la création du compte d'affectation spéciale transition énergétique a constitué un progrès, ceci ne permet pas de faire apparaître l'ensemble des coûts de long terme et se limite à donner une vision annuelle, si bien que le Parlement n'est pas en situation de se prononcer sur les nouveaux engagements, ni d'apprécier la dynamique d'évolution des charges du fait des engagements passés ou nouveaux. La Cour préconisait également de publier le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l'ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE et de l'utiliser pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs de la politique énergétique à court, moyen et long terme. La Cour recommandait de créer, à l'image du Conseil d'orientation des retraites (COR) et en remplacement d'autres instances existantes, un comité chargé d'éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l'avenir de la politique de l'énergie : cette instance de pilotage interministérielle serait placée auprès du premier ministre, considérant que la conduite de la politique de soutien aux EnR s'appuyait presque exclusivement sur la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et justifierait un dialogue interministériel renforcé.

À notre connaissance, les suites données à ces recommandations sont les suivantes. Sur le premier point visant à mieux associer le Parlement, la Cour a, dans le cadre de ses travaux sur l'exécution budgétaire, été amenée à préciser ses critiques sur l'absence de transparence et les pistes pour y remédier. Nous constatons que l'information du Parlement sur le fonctionnement du dispositif de compensation de charges du service public de l'énergie reste incomplète : en effet, le rapport annuel de performances (RAP) 2017 mentionne l'existence de charges à compenser et le projet annuel de performances (PAP) 2019, même s'il apporte des informations un peu plus détaillées sur le chaînage, ne détaille pas la répartition des paiements entre exercices.

Concernant la publication des coûts, de leurs modalités de calcul et de la mise en transparence des engagements de long terme, la Cour constate que la situation n'a pas évolué : les travaux conduits par les instances administratives ne sont pas publics et n'associent pas le Parlement, en dépit de la nomination au sein du comité de gestion des charges du service public de l'électricité d'un représentant de l'Assemblée nationale.

Pour ce qui est de la gouvernance, de l'instauration d'une instance analogue au COR et du renforcement du pilotage interministériel, la Cour ne dispose pas formellement d'éléments permettant d'établir que ses recommandations ont été suivies. A été ajouté aux instances existantes un Haut conseil pour le climat, composé de treize experts, qui ne remplit pas exactement les missions attendues d'un conseil d'orientation de l'énergie, de par sa composition, mais aussi sa mission, qui est centrée sur la lutte contre le réchauffement climatique et n'embrasse donc pas toutes les composantes d'une politique en faveur des EnR.

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