Pour la fonction publique, le projet du candidat Emmanuel Macron était « libérer et protéger ».
Pour « libérer », on comprend. Votre projet de loi facilite pour les employeurs le recours aux contractuels en ajoutant du dérogatoire au principe du recrutement sous statut. Ces perspectives sont plutôt bonnes à prendre. Elles posent néanmoins des problèmes auxquels votre texte n'apporte pas de réponse.
Ainsi, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame « l'égal accès aux emplois publics. » Concrètement, comment sera-t-il assuré dans un système qui va banaliser le recours au contrat de gré à gré ? Le fait de recopier dans la loi ce principe déjà inscrit dans la Constitution est un peu tautologique. La loi ne devrait pas rappeler cette finalité, mais devrait fixer les règles garantissant le respect de ce principe, c'est-à-dire ce que dit l'article 34 de la Constitution. À ce stade, vous ne le faites pas.
Le recours aux contrats à durée déterminée (CDD) que sont les contrats de mission correspond probablement à un besoin pour des fonctions d'encadrement ou des fonctions très techniques, mais il ne convient pas, à l'évidence, au recrutement des personnels de catégorie C. Avec eux, vous ne ferez finalement qu'ajouter à la précarité que vous prétendez par ailleurs combattre. Je note que le Gouvernement est d'ailleurs en pleine contradiction : il propose aux partenaires sociaux de pénaliser le recours aux CDD, mais facilite, pour lui-même et pour les collectivités territoriales ou les hôpitaux, le recours aux mêmes contrats courts…
Je relève enfin le risque d'une fonction publique à deux vitesses. Par exemple, je pense aux postes de direction, hors emplois fonctionnels, qui sont déjà ouverts dans les collectivités locales. Ils étaient l'apanage des lauréats du concours d'ingénieur ou d'attaché. Quel intérêt auront des jeunes désormais à passer ces concours ?
En réalité, bien plus qu'une « réforme systémique », vous organisez un « mitage » du statut. Il aurait été préférable de définir préalablement les missions de l'État, des hôpitaux, des collectivités, qui ont vocation à être exercées par des agents titulaires, car il y a un enjeu évident de neutralité, de garantie d'une forme d'indépendance par rapport aux pressions politiques, et celles pour lesquelles il n'y a pas les mêmes précautions à prendre, voire pour lesquelles, au contraire, il y a besoin de plus d'adaptabilité. Le Conseil d'État, dans son avis, relève que « la multiplication des possibilités déjà nombreuses de recruter des contractuels sans qu'il soit possible de dégager des modifications proposées des critères simples et claires ne contribue pas à la lisibilité du dispositif ni à la bonne appréciation de ses conséquences ». Bref, c'est la politique de Gribouille.
Au bout du compte, il y a un vrai doute sur la crédibilité de cette transformation. Il y a déjà environ 20 % de contractuels dans la fonction publique. Quel sera l'impact de votre réforme ? Vous ne le dites pas, ce que je constate après avoir consulté attentivement l'étude d'impact du projet de loi. Et, comme un contractuel coûte généralement plus cher à l'employeur, et notamment aux collectivités territoriales aujourd'hui soumises à des contraintes fortes, on peut avoir un doute sur la portée réelle de votre réforme.
L'autre ambition, c'était « protéger ». Là, c'est peu dire que le compte n'y est pas. Vous réduisez comme peau de chagrin le rôle des commissions administratives paritaires (CAP). D'où vient cette volonté de supprimer les CAP pour les mesures dites favorables ? Si tant est qu'un refus de mutation ou d'avancement soit une mesure favorable pour l'agent… Les associations d'élus employeurs que nous avons auditionnées ne le demandent pas et considèrent même que la CAP est un lieu qui garantit l'examen équitable de la situation de chaque agent dans les collectivités territoriales. Chez beaucoup d'élus, on sent un vrai attachement à ces moments de partage où toutes les situations sont passées en revue. Je comprends bien qu'au sein de certains ministères, notamment celui de l'éducation nationale, le système des CAP soit trop lourd. Mais les avancements peuvent se déconcentrer. Ils le sont déjà parfois, même si l'on peut sans doute faire plus.
Mais quelles garanties allez-vous donner aux enseignants, aux fonctionnaires de police ? Quelles règles d'équité ? Je pense notamment aux mutations d'une région à l'autre. C'est un sujet qui inquiète beaucoup et sur lequel je ne trouve pas, pour l'instant, de réponse dans votre texte. Votre texte est assez imprécis sur ces sujets et n'apporte pas de garanties suffisantes.
En l'état, dans la rédaction du projet de loi, on peut par exemple s'inquiéter que les lignes directrices de gestion entrent en concurrence, pour les mutations, avec les cas prioritaires énoncés par la loi. Il faudra lever cette ambiguïté pendant le débat.
Le risque d'arbitraire existe plus dans la fonction publique qu'ailleurs. Parce que l'absence de critère de rentabilité y permet des décisions non rationnelles. S'y ajoutent les risques liés aux alternances politiques. Je note que le Conseil d'État vous met en garde contre le risque d'appauvrissement du dialogue social.
Finalement, le plus gênant, dans ce texte, c'est ce qu'il ne contient pas. La rapporteure a déjà mis le doigt sur ce point et je l'en remercie. Par exemple, il ne comporte pas de dispositions sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires, qui a baissé de 10 % en dix ans. Quelles perspectives donnez-vous à ceux qui ont les plus faibles rémunérations ? Je pense notamment aux personnels de catégorie C.
Rien non plus sur la réforme des cadres d'emploi, qui aurait permis plus de souplesse entre les catégories de fonction publique. Avec votre texte, il sera plus facile d'aller du privé au public, et vice versa, que de la fonction publique de l'État à la fonction publique territoriale !
Rien non plus, ou presque, à ce stade, sur la déontologie.