Comme nous l'avons dit lors de l'audition du ministre, et comme nous le rappellerons de manière plus approfondie aujourd'hui, le projet de loi dont nous débattons a pour prétention de transformer notre fonction publique. Mais ce projet appelle tout d'abord trois observations de méthode de la part du groupe Socialistes et apparentés.
D'une part, s'il y a bien eu une cinquantaine de réunions de concertation, je rappelle que, selon les organisations syndicales représentatives, qui sont un élément de notre démocratie et qui participent à la transparence des décisions, ces réunions n'ont pas permis d'engager un vrai dialogue. D'autre part, sur un certain nombre de points, le projet renvoie à des ordonnances, ce que notre groupe regrette tant au fond que sur la méthode. Sur le fond, le débat public et contradictoire par notre assemblée constitue un élément d'appropriation des enjeux et des dispositions. Le recours aux ordonnances vient donc contredire le principe de la discussion avec l'ensemble des agents. Or, la santé, la protection sociale, les conditions de travail, la formation, qui sont des éléments essentiels de l'attractivité, sont exclues du texte, donc d'une discussion collective.
Enfin, une nouvelle fois, alors même que le discours évoque le renforcement des droits du Parlement, ce projet sera examiné en procédure accélérée… L'exception à une double lecture par les deux ensembles parlementaires devient la norme, en contradiction avec le principe posé par l'article 45 de notre Constitution !
Sur le fond, je souhaite exprimer, au nom de mon groupe, la réflexion suivante : réformer la fonction publique, c'est réformer un élément déterminant de l'État, ses ressources humaines permanentes et ses compétences administratives et techniques. Force est pourtant de constater que le texte ne traite que de la gestion de la fonction publique et qu'il comporte de nombreuses dispositions visant simplement à supprimer des emplois pérennes, pour continuer à recruter des contractuels, sans aucune vision du sens de l'engagement des agents !
Partir du présupposé que la méthode de la fonction publique à la française est inadaptée, sans se demander pourquoi nos concitoyens choisissent d'y travailler et de donner ainsi un sens à leur activité malgré des rémunérations qui restent parfois faibles pour un niveau de qualification élevé, ne manque pas d'interroger.
Dans un rapport établi en 2016 par France Stratégie, alors présidé par Jean Pisani-Ferry, étaient critiquées les réformes dites paramétriques, en ce qu'il s'agit de réformes de circonstance, visant uniquement à régler un problème. En l'occurrence, il s'agit ici du nombre jugé trop important de fonctionnaires, et de leurs statuts jugés trop rigides. Mais on nous explique que l'on va régler une question bien plus large, en ajoutant des dispositions complémentaires à des dispositions supplémentaires… S'il y a une crise des services publics, ce n'est pas le nouveau management public promu ici qui va la régler.
Il y a, à l'inverse, un risque réel de déstabiliser un système en ne réglant pas la question de l'attractivité d'une carrière où le service aux autres reste un élément d'engagement et, je le souligne, de qualité. Le Conseil d'État, dans son avis, constate que la multiplication des possibilités, déjà nombreuses, de recruter des agents contractuels, sans qu'il soit possible de dégager des modifications proposées des critères simples et clairs, ne contribue pas à la lisibilité du dispositif ni à la bonne appréciation de ses conséquences. Si le Conseil d'État, spécialiste du droit de la fonction publique, fait ce constat, bon nombre d'entre nous peuvent le faire également.
Je voudrais terminer par un certain nombre de questions, que nous aurons l'occasion d'approfondir. Ce projet de loi ne supprime pas le statut des fonctionnaires, c'est vrai, mais il multiplie les dérogations à ce statut et affaiblit son attractivité. Lutte-t-il, pour autant, contre la précarité qui touche les agents contractuels ? Non, il l'aggrave même. Renforce-t-il davantage le dialogue social ? Non, il l'affaiblit, par la réduction de nombreuses attributions des instances de dialogue social. Améliore-t-il des règles déontologiques ? Non, il marque aussi un recul important.
Peut-on parler, comme certains l'ont fait, d'une « loi travail » de la fonction publique ? J'entendais la rapporteure indiquer qu'une codification permettrait de reconnaître la situation des fonctionnaires qui ne disposent pas de l'équivalent du code du travail des salariés du privé. Mais, si ce texte est adopté, ce code pourrait aussi bien s'appliquer à eux !
Monsieur le ministre, je regrette que, lors de votre audition, alors que j'attendais de vous beaucoup de réponses, nous n'ayons obtenu que des réponses techniques, insuffisamment étayées par une vision politique.