Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Vous n'avez pas osé, dans le titre de ce projet de loi de « transformation » de la fonction publique, parler de « modernisation » de la fonction publique, mais je sens bien que nous allons beaucoup parler de souplesse et d'agilité – c'est une sorte de yoga mental. Je n'en tiens pas moins à vous féliciter, monsieur le secrétaire d'État, mesdames et messieurs les députés de la majorité : vous avez quand même, encore une fois, réussi à vous mettre 100 % des organisations syndicales à dos. Personne n'y était parvenu ; vous-mêmes, après l'avoir déjà fait avec le projet de loi de réforme de la justice, récidivez. J'espère que vous n'allez pas renouveler cela jusqu'à la fin de votre mandat, car cela risquerait de précipiter celle-ci. Neuf organisations syndicales refusent ce texte.

Certes, vous proposez quelques avancées réelles – pour l'égalité entre les femmes et les hommes, contre les discriminations – mais, pas plus que la revalorisation du traitement des catégories ou la mise en place d'une prime de précarité, elles ne feront oublier l'essentiel : ce texte est une attaque en règle contre le statut de la fonction publique, qui deviendra demain l'exception et non plus la règle, tant vous multipliez les dérogations qui permettraient qu'un emploi public permanent soit occupé non par un fonctionnaire titulaire mais par un contractuel – certes en contrat à durée indéterminée.

Cela me fait penser que l'objectif n'est peut-être pas tant d'augmenter le nombre de contractuels en soi – c'est une étape. Nous en sommes déjà à 18 % de contractuels, peut-être y en aura-t-il demain 40 % ou 50 %. Je ne sais pas si vous avez un objectif chiffré – on se rappelle celui de la suppression de 120 000 postes, il semble que le Président de la République vous ait un peu rabroué à ce propos. Votre préoccupation, c'est de mieux « profiler », d'avoir les profils les plus adéquats aux missions. En campagne, le candidat Emmanuel Macron avait effectivement annoncé une sorte de spoil system à la française, avec un passage en revue de tous les directeurs d'administration centrale, à la suite duquel ceux-ci auraient été confirmés dans leurs fonctions ou non, en fonction de leur adhésion au projet politique d'Emmanuel Macron. Cela tranche avec la conception de la fonction publique qui prévalait, selon laquelle les serviteurs de l'État, y compris aux postes de direction, sont globalement loyaux et suivent les ordres donnés, moyennant quoi il n'est pas besoin de tous les changer du jour au lendemain. Sans doute avez-vous essayé, monsieur le secrétaire d'État, de changer quelques directeurs d'administration centrale – nous connaissons l'exemple du préfet de police – mais, globalement, il n'y a pas eu beaucoup de changements. Peut-être le statut a-t-il été un frein, peut-être le corps préfectoral s'est-il mobilisé pour éviter de subir des jeux de chaises musicales, peut-être le seul moyen qui vous reste est-il de légiférer pour ouvrir les emplois permanents à des contractuels, en commençant par les emplois de direction.

À la place d'un directeur d'administration centrale, j'aurais aujourd'hui un peu peur, et je me dépêcherais d'aller dans le privé. Certes, beaucoup le font déjà, pour revenir ensuite, mais c'est un autre problème – il faudrait, à mon sens, renforcer la Commission de déontologie de la fonction publique, même fusionnée avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Votre deuxième objectif est de continuer à décliner cette idéologie du new public management selon laquelle les méthodes du privé seraient, par principe, en vertu de quelque dogme, meilleures que celles du public, selon laquelle il faudrait donc les dupliquer dans la fonction publique. Vous reprenez en l'occurrence la méthode des « ordonnances travail », pour aboutir à la fusion du comité technique et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Vous prétendez que la question de la souffrance au travail sera mieux prise en compte, mais on se demande bien comment, alors que moins de temps y sera consacré et que les délégués syndicaux siégeront dans la nouvelle instance avec une double casquette. Aujourd'hui, des délégués syndicaux se consacrent à cette mission d'hygiène et de sécurité, et cela se passe souvent très bien ; Les directeurs des ressources humaines et les administrations sont globalement contents, et personne ne vous demandait cette fusion.

Quant à la réforme des CAP, elle ne fait que manifester plus nettement encore ce que nous savions déjà : vous n'aimez pas les fonctionnaires ni les syndicalistes.

La méthode des ordonnances est une nouvelle fois utilisée, notamment à propos de la formation initiale et de la formation continue, avec une habilitation extrêmement large, qui peut permettre de réformer l'ENA – ou de la « supprimer », pour reprendre les mots du Président de la République qui connaît lui-même la question. Bien sûr, il faudrait que les titulaires des postes de direction reflètent mieux la sociologie du pays, mais peut-être une réforme du concours eût-elle amplement suffi. Bref, nous nous opposerons à vous sur l'essentiel de ce texte, aux côtés des syndicats, notamment le 9 mai prochain.

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