Intervention de Gaël Callonnec

Réunion du jeudi 28 mars 2019 à 11h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Gaël Callonnec, économiste à l'Agence nationale de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je représente l'ADEME, agence publique sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous sommes chargés de conseiller nos tutelles et d'accompagner la transition énergétique sur les territoires en France, via subventions et conseils. Je suis pour ma part responsable des programmes de modélisation macroéconomiques de la transition énergétique et de l'évaluation des effets économiques des politiques fiscales environnementales.

L'ADEME a constaté que, pour atteindre les objectifs assignés par le législateur, à savoir une diminution de nos émissions de gaz à effets de serre (GES) de 40 % en 2030, il faudrait doubler le taux de taxe carbone qui était prévu par la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. La loi prévoyait un taux de 100 euros la tonne de CO2 en 2030. D'après nos modèles macroéconomiques, la taxe devrait s'élever à environ 200 euros par tonne de CO2 à ce même horizon 2030. Ce n'est pas rien.

Nous considérons qu'il faut impérativement, pour renforcer l'acceptabilité de cette mesure, redistribuer les recettes de cette taxe, aux agents, au prorata de leur contribution : nous rendrions aux ménages ce que nous prélèverions aux ménages, et nous rendrions aux entreprises ce que nous prélèverions aux entreprises. D'après les études macroéconomiques que nous avons menées, si nous redistribuions les recettes de la taxe aux agents, croissance du PIB et créations d'emploi seraient au rendez-vous, avec une amélioration de la balance commerciale et une amélioration du ratio déficit public sur PIB.

En instaurant une taxe carbone, nous encouragerons les ménages et les entreprises à réaliser des investissements d'efficacité énergétique, principalement des investissements d'isolation du bâti pour les ménages. Ce regain d'investissement induira un accroissement de l'activité de l'économie française, et une diminution de l'importation de combustibles fossiles, qui pèsent lourdement dans la balance commerciale. Une facture énergétique de 70 milliards d'euros correspond à peu près au montant du déficit commercial de la France, du moins pour l'année dernière. L'amélioration de la balance commerciale de la France et le regain d'investissement pourraient déboucher sur des créations d'emploi, impliquant une diminution du chômage, une hausse de la consommation et un accroissement des débouchés des entreprises. S'engagerait donc un cercle vertueux.

À l'inverse, si nous instaurons une taxe carbone et que nous ne redistribuons pas les recettes aux agents, alors les ménages perdraient du pouvoir d'achat. Avec une tonne de CO2 à 70 euros, les ménages perdraient en moyenne 240 euros par an de revenu disponible. La consommation diminuerait, les entreprises subiraient une augmentation de leur coût unitaire de production et une diminution de leur compétitivité, dégradant ainsi la balance commerciale française. Le PIB diminuerait.

Il nous paraît essentiel d'accélérer la trajectoire de la taxe carbone pour atteindre nos objectifs, et redistribuer ces recettes pour ne pas pénaliser l'activité économique et ne pas aggraver la précarité énergétique et la situation des plus précaires. Si nous redistribuions les recettes de la taxe carbone payée par les ménages aux ménages de manière forfaitaire, le dispositif serait en lui-même redistributif. Par exemple, en 2020, avec une taxe carbone de 70 euros la tonne de CO2, nous reverserions en moyenne 240 euros de recettes par foyer, via un crédit d'impôt sur le revenu ou une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG). De toute manière, les prélèvements obligatoires sont opérés à la source, il ne serait donc pas très compliqué de passer par une baisse de l'impôt sur le revenu, grâce à un crédit d'impôt. Comme les ménages les plus défavorisés consomment moins d'énergie que les classes moyennes et les classes les plus favorisées, il y a fort à parier qu'elles recevraient plus d'argent d'une main qu'elles n'en auraient à payer de l'autre. Nous estimons que les ménages du premier et deuxième déciles pourraient gagner entre 100 et 150 euros par an. À l'inverse les ménages du dixième décile, les plus favorisés, pourraient perdre 150 euros en moyenne, ce qui ne représente même pas 0,1 % de leur revenu disponible.

Nous pouvons envisager, d'après les simulations de l'ADEME, une redistribution dégressive : doubler le montant redistribué au premier décile de la population et faire décroître ce reversement jusqu'au huitième décile de la population. De cette manière, nous serions certains que les ménages appartenant au premier décile, vivant à la campagne et loin des accès de transport collectif, prisonniers d'un véhicule diesel ancien et consommateur, ceux vivant dans des logements qui sont des « passoires thermiques », recevraient plus d'argent qu'ils n'en auraient à payer via la taxe. Voilà qui nous semble être une condition essentielle à l'atteinte de nos objectifs climatiques et à l'acceptabilité de cette taxe, sans laquelle il serait assez vain d'espérer que nous puissions diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.

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