Intervention de Céline Calvez

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCéline Calvez :

Si la presse est une nécessité démocratique, son modèle économique est en crise depuis plusieurs années, sous l'influence de la révolution numérique. Face à l'offre abondante d'informations instantanément disponibles sur l'internet, le secteur a vu ses ventes papier diminuer de 40 % en dix ans. Face à ce bouleversement des usages, les éditeurs de presse ont cherché à s'adapter et ont développé des offres numériques ; entre 2016 et 2017, les supports numériques ont connu une hausse de fréquentation de près de 50 %.

Cet accroissement peut être encourageant, mais force est de constater que ces évolutions sont insuffisantes pour assurer la viabilité des journaux et périodiques. Car, si les consommateurs ont pu évoluer vers le numérique, ce n'est pas le cas des investissements publicitaires ; plus précisément, ceux-ci ont basculé vers le numérique, mais pas vers les supports numériques des organes de presse : ce sont désormais les agrégateurs de contenu et les réseaux sociaux qui captent la plupart des revenus publicitaires. En cinq ans, la presse a perdu 71 % de ses recettes publicitaires au profit des GAFAM, qui attirent les investisseurs grâce à leurs flux d'utilisateurs et à leur capacité de ciblage très précis.

Le déséquilibre ne s'arrête pas là. Il devient même paradoxal quand nous constatons que les plateformes numériques créent du trafic, donc de la valeur, à partir de contenus produits par les agences et les éditeurs de presse, et cela sans leur verser une quelconque rémunération ! Les GAFAM mettent à disposition de leurs utilisateurs des images, quelques lignes résumant un article de presse – qui suffiront très souvent à l'internaute. Mais non seulement ces courts résumés tronquent parfois l'information de façon trompeuse, mais ils causent aussi un préjudice patrimonial important aux agences et aux éditeurs propriétaires de ces contenus.

C'est l'intégralité de la chaîne de production de l'information qui est aujourd'hui fragilisée. Or nous savons qu'une presse affaiblie signifie une démocratie plus fragile. Nous devons donc agir pour redonner tout son poids à la presse, et pour permettre un meilleur partage de la valeur sur internet.

Il y a un an de cela, vous appeliez notre attention, monsieur le rapporteur, sur cette injustice. Nous avions alors choisi de laisser le temps aux instances européennes de légiférer avant de transposer les décisions prises dans notre droit. Car sans l'Europe, nous ne sommes pas en mesure d'instaurer un rapport de force équitable face à la puissance des GAFAM. Les mauvais errements des expériences de législation nationale en Allemagne et en Espagne ont révélé l'impératif d'une action collective.

Le 15 avril dernier, la directive sur les droits d'auteur a été définitivement adoptée par les États membres après trois ans de débats. Cette directive adapte le droit d'auteur à la révolution numérique ; elle permet aux producteurs de contenus d'obtenir une juste rémunération pour l'utilisation de leurs oeuvres sur les plateformes numériques.

La directive instaure, enfin, un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. C'est cette disposition que la présente proposition de loi vise à transposer dans notre droit positif. Cela favorisera son application rapide et fera une nouvelle fois de la France, patrie de Beaumarchais, le fer de lance du droit d'auteur.

Mais le processus ne s'arrête pas au vote de cette proposition de loi. Les négociations à venir entre les éditeurs de presse et Google ou Facebook s'annoncent difficiles. Ce texte prévoit ainsi que les titulaires de droits « peuvent confier la gestion de leurs droits à un ou plusieurs organismes de gestion collective ». Il ne s'agit là que d'une possibilité ; chaque éditeur pourra faire le choix d'un dialogue direct avec les plateformes numériques. Mais je doute de l'efficacité d'une telle stratégie : l'union fait la force. Nous nous sommes unis au niveau européen, en dépit, ou pour, nos différences. « Unis dans la diversité », telle est la devise de l'Union européenne ; telle devra être aussi la devise des agences et des éditeurs de presse pour bénéficier pleinement des possibilités qui leur seront offertes avec cette loi.

Le droit voisin du droit d'auteur au bénéfice des agences et éditeurs de presse est né grâce au dialogue avec nos voisins européens ; d'autres droits naîtront de ce processus, car au-delà du partage de la valeur sur internet, ce qui nous unit, c'est la création de valeur pour les Européens et le monde, en accord avec nos valeurs européennes.

À l'approche des élections européennes du 26 mai, en ce 9 mai, journée de l'Europe, nous devons garder à l'esprit la nécessité d'agir de concert avec nos voisins européens. L'Europe est une chance, cette proposition de loi en est la démonstration. Et c'est avec enthousiasme que je vous propose de l'adopter.

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