Intervention de Aurore Bergé

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurore Bergé :

Il y a presque un an jour pour jour, nous étions présents en ce même lieu pour discuter la proposition de loi de notre collègue Patrick Mignola visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse en ligne. Le rapporteur nous avait alertés, à raison, sur l'urgence d'agir pour sauver le secteur de la presse.

Nous avions tous approuvé ce constat : la presse est en danger, les plateformes ont cannibalisé la valeur créée par les médias et la rémunération du contenu n'est plus assurée. C'est désormais la rémunération de la coquille qui prime sur la rémunération de son contenu. Aujourd'hui, les éditeurs de presse ne captent que 13 % de la valeur totale créée par le marché français de la veille et des agrégateurs de contenus sur internet.

Pourtant la presse d'information couvre aujourd'hui près de 90 % de la population française de plus de 15 ans. Elle représente une audience mensuelle de 46,6 millions de lecteurs. Garantir l'équilibre économique du secteur de la presse, c'est garantir la liberté d'expression.

Conscients de l'urgence mais également témoins des échecs des initiatives isolées, comme ce fut le cas en Espagne ou en Allemagne, nous nous sommes engagés avec détermination dans la voie européenne. La France a été le moteur de la directive sur le droit d'auteur. Nous pouvons aujourd'hui saluer le travail de nos ministres, Françoise Nyssen, puis Franck Riester, qui ont mené sans relâche une intense activité diplomatique à Bruxelles et à Strasbourg pour parvenir à l'adoption de cette directive par le Parlement européen le 26 mars 2019, et par le Conseil de l'Union européenne le 15 avril 2019.

Face aux géants du numérique, le droit voisin doit se construire au niveau européen. Désormais, les médias seront rémunérés lors de la réutilisation de leur production éditoriale par les agrégateurs d'informations. Les revenus générés pourront être partagés entre les éditeurs et les journalistes.

Tant l'adoption de la directive que la transposition à laquelle nous allons procéder aujourd'hui sont structurantes pour la liberté de la presse. La fabrique de l'information a un coût. La gratuité de l'information est un mythe, la presse a besoin de ressources propres pour garantir son indépendance, son dynamisme, et sa liberté.

Il y a urgence à légiférer pour rééquilibrer le partage de la valeur. À l'heure des réseaux sociaux, des fausses informations et des tentatives d'ingérence étrangère, disposer d'une presse professionnelle solide est un impératif démocratique ; une presse qui sait analyser les informations, vérifier les faits, les décrypter et les replacer dans leur contexte.

Déjà, Voltaire dépeignait les conséquences de la disparition de la protection de cette liberté. Ce qui vaut pour les auteurs vaut également pour la presse : « une liberté honnête élève l'esprit, et l'esclavage la fait ramper. S'il y avait eu une inquisition littéraire à Rome, nous n'aurions aujourd'hui ni Horace, ni Juvenal, ni les oeuvres philosophiques de Cicéron. Si Milton, Dryden, Pope et Locke, n'avaient pas été libres, l'Angleterre n'aurait eu ni des poètes, ni des philosophes. »

Nous nous apprêtons à examiner un texte dont nous partageons tous les objectifs. Les débats en commission ont démontré notre attachement unanime à la protection de la presse. Ce texte permettra d'assurer, d'une part, une meilleure protection des contenus de la presse, à l'instar de ce qui existe déjà pour d'autres secteurs des industries culturelles et, d'autre part, le développement des structures et des produits du monde de la presse, en protégeant ses investissements tant humains que financiers.

Lors des travaux en commission, un point nous a paru essentiel : la transparence. Depuis plusieurs années maintenant, nous constatons la capacité des plateformes à s'affranchir des règles et à faire preuve d'une certaine discrétion quant à la communication des données chiffrées concernant leur activité. Pour que cette loi soit effective, nous avons renforcé son caractère contraignant en y consacrant la nécessaire transparence dont devront faire preuve les plateformes dans l'utilisation des contenus. Il me semble important d'y adosser un contrôle. Nous en discuterons lors de l'examen du texte.

Lorsqu'il s'agit de garantir l'indépendance de la presse, les propos prononcés par Victor Hugo en 1848, dans son discours à l'Assemblée constituante de la IIe République, sont d'une actualité vibrante : « le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s'appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre. » Ces mots forts nous confortent dans le combat que nous avons engagé depuis plus d'un an, tous mobilisés, parlementaires et Gouvernement, pour assurer l'avenir d'une presse indépendante, pilier de notre démocratie.

En cette journée de l'Europe, il est heureux de démontrer que le combat d'une Europe qui protège n'est perdu que quand on ne le mène pas. Il a été mené, et, ici, il a été gagné.

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