Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Sécurisation de l'actionnariat des entreprises publiques locales — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :

Après le Sénat qui l'a examinée et adoptée le 4 avril dernier, votre assemblée est aujourd'hui saisie de la proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des entreprises publiques locales.

Ce texte résulte d'une initiative fort opportunément prise par le sénateur Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, car il s'agit d'un sujet important pour les entreprises publiques locales et les collectivités territoriales.

Comme le Gouvernement a eu l'occasion de l'exprimer au Sénat par la voix d'Olivier Dussopt qui avait accepté de me remplacer lors de la discussion parlementaire, nous considérons que cette initiative législative est particulièrement bienvenue dans le contexte de fortes contraintes juridiques résultant d'une récente décision du Conseil d'État du 14 novembre 2018. Il est en effet urgent d'améliorer le droit applicable à l'actionnariat des entreprises publiques locales, les EPL, afin de ne pas prendre le risque de déstabiliser un secteur économique essentiel à la vie de nos territoires.

Si l'on se réfère aux statistiques fournies par la Fédération des entreprises publiques locales, on estime que les collectivités locales ont créé près de 1 300 entreprises publiques locales, dont 925 sociétés d'économie mixte locales, 359 sociétés publiques locales – SPL – et 16 sociétés d'économie mixte à opération unique. Ces entreprises emploient près de 70 000 salariés et pèsent environ pour 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Au-delà de ces éléments purement statistiques, qui sont néanmoins éloquents, il faut noter que le champ d'action des EPL s'est enrichi et a évolué avec la pratique. Ces entreprises constituent l'un des nombreux outils dont disposent les collectivités territoriales pour mener à bien leurs missions parmi une palette de possibilités. L'économie mixte contribue ainsi au dynamisme du développement territorial et au soutien de l'investissement local. C'est un mode d'action permettant de faire émerger des politiques innovantes, telles que la transition énergétique par exemple.

Ces sociétés conduisent ainsi des actions et des projets dans des domaines diversifiés, comme le tourisme, la culture et les loisirs pour environ 23 %, et l'aménagement pour 25 %, secteurs qui sont prédominants au sein du paysage. En outre, des secteurs comme l'habitat et l'immobilier – qui représentent 16 % du total – ou la mobilité confirment leur importance, tandis qu'émergent de nouveaux champs d'action comme l'environnement, les réseaux, le développement économique et les services à la personne.

À cet égard, il est intéressant de noter que certains domaines comme le tourisme, la culture, le sport et l'énergie renouvelable relèvent de compétences partagées entre différents niveaux de collectivités territoriales, ce qui nous amène directement au sujet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.

En effet, autrefois exceptionnelle, la pluriactivité des entreprises publiques locales est désormais la situation majoritaire, ce qui rend d'autant plus nécessaires les adaptations juridiques liées à la décision du Conseil d'État du 14 novembre 2018.

Il est en effet constant dans notre droit qu'une collectivité locale ne peut faire par l'intermédiaire d'une entreprise publique locale ce qu'elle n'a pas le droit de faire par elle-même. Cette règle, que la proposition de loi ne remet pas en cause, est du reste antérieure à la loi, dite NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République : elle date des premiers textes ayant instauré la possibilité de créer des entreprises publiques locales.

Toutefois, la jurisprudence administrative hésitait, jusqu'au 14 novembre dernier, entre deux interprétations pour ce qui concerne la situation des sociétés exerçant leurs missions dans plusieurs champs d'activité. Selon la plus souple de ces interprétations, une collectivité ne pouvait participer que si la part prépondérante des missions de la société n'outrepassait pas son domaine de compétence. Selon la plus stricte, une collectivité ne pouvait participer au capital d'une entreprise publique locale que si elle détenait la totalité des compétences correspondant aux missions de l'entreprise.

C'est cette dernière lecture, la plus stricte, que le Conseil d'État a retenue en novembre dernier. Or on estime qu'un grand nombre d'entreprises locales – près de 40 % du total – ne remplissent pas ces conditions, ce qui pourrait fragiliser grandement leur situation juridique. Il était donc urgent de revenir sur cette jurisprudence, ce que propose la proposition de loi adoptée par les sénateurs.

Le Gouvernement partage l'objectif poursuivi par ce texte, enrichi lors de son examen par la commission des lois du Sénat, qui en a notamment étendu les dispositions aux sociétés publiques locales d'aménagement. Toutefois, comme Olivier Dussopt l'a précisé au Sénat, nous craignons que la rédaction finalement retenue ne conduise à un assouplissement excessif de la législation en vigueur.

En effet, lu de manière littérale, le texte transmis à l'Assemblée nationale n'interdit pas à une collectivité de prendre une participation élevée dans le capital d'une entreprise publique locale quand bien même les activités de cette dernière ne correspondraient que pour une part très marginale à ses compétences. De surcroît, la rédaction ne semble pas faire clairement obstacle à ce qu'une partie de l'activité de l'EPL ne relève d'aucune compétence des collectivités actionnaires.

Nous craignons par conséquent qu'un tel choix ne permette, d'une part, de régulariser des SPL et sociétés d'économie mixtes locales qui n'étaient déjà pas conformes au droit avant la décision du Conseil d'État et, d'autre part, d'encourager le recours à des entreprises publiques locales à objets sociaux multiples par des collectivités dont la compétence ne correspondrait qu'à une part négligeable des activités de ces sociétés. Le risque de contournement est donc réel.

Ce raisonnement a donc conduit le Gouvernement, comme il l'avait fait sans succès au Sénat, à déposer des amendements aux articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi de façon à resserrer les conditions dans lesquelles les collectivités et leurs groupements peuvent prendre une participation au capital d'une EPL. Ils prévoient ainsi qu'une telle participation n'est possible que si la collectivité ou le groupement ne détient pas au moins une compétence sur laquelle porte l'objet social de la société et à laquelle celle-ci consacre une part significative et régulière de son activité.

Certes, cette notion de part significative a été critiquée par les sénateurs pour son manque de clarté et de précision sur le plan juridique qui ouvrirait la voie à de nouveaux risques d'interprétation et donc de contentieux. Selon l'interprétation qu'en a le Gouvernement, il s'agit cependant de la solution la plus satisfaisante sur le plan juridique et je ne doute pas que les acteurs de l'économie mixte locale et les collectivités territoriales sauraient en avoir une acception intelligente, en particulier dans le cadre d'un dialogue avec les représentants de l'État dans le département, qui seront par ailleurs tenus de veiller à la bonne application de ces règles dans l'exercice de leurs missions au titre du contrôle de légalité. Cette formule nous paraît au surplus bien plus souple que la fixation, dans la loi, d'un seuil chiffré, dont l'application n'aurait pas manqué de créer de nombreuses difficultés.

Pour terminer, rappelons que ce débat est l'occasion d'aborder la question de la régulation du secteur des entreprises publiques locales.

En 2017, deux études leur ont été consacrées : un référé de la Cour des comptes relatif au cadre juridique et comptable applicable ainsi qu'une revue de dépenses des inspections générales à propos de la maîtrise des risques par les EPL. Ces deux rapports, rendus publics, se sont montrés très critiques et ont plaidé en faveur d'un renforcement du contrôle des EPL et de leurs filiales. Le référé du 15 juin 2017 de la Cour des comptes a fait notamment valoir que ces instruments essentiels pour les collectivités ne sont pas « suffisamment maîtrisés » et que « les mécanismes de leur contrôle, de leur transparence et d'évaluation de leur contribution à l'action publique territoriale devraient être repensés. »

Les conclusions d'une nouvelle étude de la Cour des comptes sur le même sujet, conduite à la demande du président de votre commission des finances, sont d'ailleurs attendues très prochainement. À ma connaissance, votre commission pourrait en débattre tout aussi prochainement et je ne doute pas qu'elle en tire un certain nombre de conclusions.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le législateur doit se saisir rapidement de ce débat et apporter, en concertation avec les représentants des collectivités territoriales et des entreprises publiques locales, une réponse aux remarques de la Cour des comptes. Cela constituerait un élément d'équilibre et de sécurisation de l'activité des entreprises publiques locales, complémentaire aux assouplissements proposés par le texte dont nous débattons.

Sous le bénéfice de ces observations, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi.

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