… cette zone de la mer du Nord est devenue l'amer du Nord. Amer en un seul mot, amer comme l'est Stéphane Pinto, ce pêcheur boulonnais qui anime le combat pour la vie des artisans fileyeurs des Hauts-de-France, faisant honneur à son mandat de vice-président du comité régional des pêches des Hauts-de-France, et que notre mission d'information parlementaire sur la pêche a récemment auditionné.
Stéphane Pinto parle d'un « cimetière de poissons » et chacun sait qu'il a raison. Même les études hollandaises les plus douteuses, que l'on hésite à qualifier de scientifiques, ne parviennent pas à réhabiliter l'emploi de la pêche à impulsion électrique.
Ce taser des mers à l'ampérage non contrôlé fait le vide depuis une dizaine d'années, tue et blesse sans discrimination et sans limite ce qui nage, possède des écailles et des branchies, va chercher la ressource et l'élimine au plus près de la côte, là où sont les terroirs de reproduction et de nourricerie, là où sont les juvéniles, là où les chaluts traditionnels ne vont pas.
Stéphane Pinto, qui est allé en ambassade partout où son combat pouvait trouver une oreille attentive, ne sort jamais sans ses feuilles A4. Dessus, il y a les fameux chiffres de l'effondrement des prises des fileyeurs des Hauts-de-France, corrélés à la montée en puissance de la pêche électrique. Ces feuilles sont la preuve que ça va mal dans le métier. La mer est vidée de ses poissons plats, et pas seulement de ceux-là.
Ces feuilles accusent. Elles disent le cimetière qui menace la pêche artisanale, laquelle paie très cher le prix du nettoyage des fonds à l'électricité.
Stéphane Pinto ne lâche rien. Il n'abdique pas, même si parfois, face au manque de soutien des instances, le découragement et la colère le guettent. Quand il parle des quarante-trois collègues et autant de familles qu'il défend, l'émotion n'est pas feinte. C'est une certaine idée de la pêche nourricière, de l'économie réelle au service du territoire et de ses habitants qu'il veut protéger. Il ne se résout pas au silence des quais rendus déserts par la disparition progressive des fileyeurs. « Chez moi, à Boulogne, dit-il, quarante-trois fileyeurs sont menacés à court terme. On en a déjà perdu beaucoup. Ils ne pouvaient pas tenir. ».
Alors évidemment, nous voterons la proposition de loi, et je remercie son rapporteur Erwan Balanant de la défendre. Elle s'inscrit dans la continuité de la résolution adoptée ici même, à l'unanimité, il y a un an. Je l'ai dit à l'époque : si cette résolution n'avait pas d'effet normatif, elle conférait du moins au gouvernement français la légitimité de la représentation nationale pour porter une triple exigence dans les négociations.
La première était de rappeler que la règle au sein de l'Union européenne est l'interdiction de la pêche électrique telle qu'elle résulte de l'article 31 du règlement du 30 mars 1998. La conservation des ressources de pêche est au coeur de cette résolution. Il faut par conséquent rappeler que la pratique d'une pêche par chalut à perche associée à l'utilisation de courant électrique impulsionnel résulte d'une dérogation. Le principe d'interdiction doit demeurer la règle au regard des engagements internationaux de l'Union européenne en matière de préservation des écosystèmes et de lutte contre la surpêche.
La deuxième exigence consistait à affirmer qu'après plus d'une décennie de dérogation, le temps de l'expérimentation était largement révolu. L'interdiction totale de la pêche électrique pour préserver la ressource et les activités économiques de la pêche artisanale doit de nouveau prévaloir.
La troisième exigence découle des deux premières : la France doit s'opposer résolument à toute prolongation de la dérogation à l'interdiction générale de la pêche électrique – je me réfère à la carte que le ministre n'aurait pas dû nous montrer – partout, et pas simplement sur une zone délimitée.
Nous défendons l'idée que la force de la loi est nécessaire dans ce combat et c'est la raison de notre soutien. Mais ne nous y trompons pas : ce qui est en jeu, ce n'est pas une simple technique de pêche, mais une technique au service du profit maximal et immédiat, qui va à l'encontre de l'intérêt général.
Cet intérêt général repose sur le modèle économique d'une pêche qui préserve la ressource, fait vivre nos ports et irrigue nos territoires littoraux en emplois. Cette pêche-là, indépendamment du sujet qui nous concerne, est victime de la pêche électrique, qui entraîne un report de l'effort de pêche jusqu'en Normandie.
L'intérêt général, c'est une gestion responsable de la ressource pour préserver l'avenir. Cette gestion responsable est balayée par la pêche électrique.
Si nous nous apprêtons à voter la proposition de loi, nous disons aussi qu'elle ne va pas assez loin dans l'analyse ni dans la démonstration. De quoi la pêche électrique est-elle le nom ? Il faut le dire. Or votre texte ne le fait pas suffisamment. Mais je comprends, monsieur le rapporteur, que le pro-européen adepte des traités libéraux que vous êtes ne puisse partager notre analyse.
La pêche électrique est la fille de l'Europe libérale qui laisse un à un tous les pans de l'économie se financiariser au détriment de l'économie réelle et de l'emploi.
La pêche électrique, le libre-échange débridé qu'illustre l'adoption du CETA – que vous soutenez et qui organise la mise au pas des États par les multinationales en soumettant leur souveraineté à une pseudo-justice arbitrale privée – , la privatisation de services entiers, notamment régaliens, de l'État, tout cela relève du même combat, de la même logique.
Il s'agit de développer et d'étendre la logique de marché à toutes les activités humaines, de faire tomber toutes les protections, de faire le jeu des intérêts financiers de quelques-uns au détriment de la vie de presque tous, de faire fructifier les capitaux le plus possible et le plus vite possible, sans les mettre au service du développement des territoires.
Ce qui arrive à la pêche arrive à l'industrie quand des fonds vautours rachètent des entreprises et des savoir-faire pour les dépecer. Ces capitaux volants ont trouvé dans la pêche électrique un jackpot. Mais ce n'est pas tout. Ils prennent progressivement le contrôle d'armements de pêche dans nos ports. Ils font du système des droits et des autorisations de pêche un véritable marché qui déstructure nos pêcheries et l'ensemble de la filière aval. Au fil des auditions, la mission d'information que j'ai l'honneur de présider est en train de le démontrer.
La pêche électrique est fille d'une mondialisation de la pêche encouragée par une Europe que, malheureusement, vous ne désavouez pas. Cette lucidité, cette analyse font cruellement défaut dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Cette lecture et cette analyse permettent de comprendre comment et pourquoi la dérogation accordée à la pêche électrique dans la zone sud de la mer du Nord a été prorogée si longtemps, en dépit de toutes les évidences et de toutes les protestations, et pourquoi cette dérogation a elle-même failli triompher et devenir la règle à Bruxelles où ce qu'on appelle pudiquement les lobbys – pour ne pas dire « les faiseurs de pognon de dingue » – sont les véritables détenteurs du pouvoir.
Cette lecture montre aussi ce que nous constatons dans le cadre des travaux de la mission d'information sur la pêche : une marche en avant qui fait mal.
Face à ce rouleau compresseur, notre pays s'est désarmé. Il ne soutient pas assez son modèle de pêche durable, faute d'une véritable vision sur une activité qui a été délaissée et ne bénéficie pratiquement d'aucun portage politique. Quant à son portage administratif, il est affaibli, car des services partagés entre différents ministères sans moyens ont une force insuffisante pour défendre la pêche.
En France, on a de l'or avec la deuxième façade maritime, avec nos ports, nos savoir-faire et nos pêcheurs sur l'ensemble du littoral, mais notre pays manque d'une vision globale pour protéger, défendre, aménager, développer cette activité dans une logique de pêche durable.
La pêche durable, c'est la protection de la ressource, mais aussi celle des pêcheries et des emplois. C'est pourquoi je ferai en sorte que, sans attendre l'arrêté du ministre, la proposition de loi soit reprise au Sénat par notre groupe si nous n'arrivons pas à faire prospérer ce cheminement parlementaire. Ce n'est pas parce que la pêche est une compétence européenne que la France doit s'en désintéresser et tourner le dos à la mer.
J'ai interrogé l'autre jour des responsables du ministère, à qui j'ai demandé s'il existait un discours qui fixe le cap du Gouvernement en matière de pêche. Silence gêné. La question est restée sans réponse…