Intervention de Brigitte Kuster

Séance en hémicycle du vendredi 10 mai 2019 à 9h30
Restauration de notre-dame de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Kuster :

De nombreuses et très belles choses ont été dites sur Notre-Dame et sur notre rapport unique à cette cathédrale faite de pierres, mais pas seulement. Que dire de plus, si ce n'est que nous portons une responsabilité singulière, celle de respecter l'attachement que les Français ont manifesté à Notre-Dame au soir du dramatique incendie ? Cet attachement nous oblige, mais d'une façon particulière. Notre rôle n'est pas de rebâtir Notre-Dame, mais de faire le nécessaire, et rien que le nécessaire, pour garantir que la conservation et la restauration de la cathédrale se fassent dans les meilleures conditions.

Au fond, notre rôle aurait pu, aurait dû peut-être, se borner à fixer le taux de la réduction d'impôt et à autoriser les dons provenant des collectivités territoriales, point final. Tout le reste est au mieux superflu – à commencer par la souscription nationale censée chapeauter les organismes collecteurs, qui ne revêt, en fait, qu'un caractère de pure forme, de pure communication diront les mauvaises langues – , voire inutile – je pense à l'établissement public qui vient se substituer au Centre des monuments nationaux et à l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture – ou pire, dangereux – je pense bien sûr aux dispositions de l'article 9 qui permettent au Gouvernement de déroger aux règles d'urbanisme, d'environnement ou de préservation de notre patrimoine, sur lesquelles je reviendrai par la suite.

Qu'il s'agisse des lois et règlements qui encadrent des chantiers portant sur des monuments historiques ou qu'il s'agisse des connaissances, du savoir-faire et du talent de tous ceux – architectes en chef, conservateurs des monuments historiques, Compagnons du devoir, artisans d'art – qui consacrent leur vie à la préservation de notre patrimoine, tout est là, déjà réuni pour atteindre notre objectif commun : rétablir Notre-Dame dans sa splendeur quasi millénaire.

Alors, pourquoi vouloir, à toute force, déroger à ce cadre protecteur, au risque de se priver du concours des meilleurs experts et spécialistes ? J'ai ma petite idée à ce sujet, comme certainement nombre d'entre vous...

Face aux images de dévastation, Emmanuel Macron a été saisi par l'émotion. Mais la sincérité évidente dont il a fait preuve de prime abord a été trop vite balayée par une forme d'orgueil. Pourquoi, dès le lendemain du drame, fixer l'échéance de la reconstruction alors même qu'aujourd'hui, près d'un mois plus tard, on ne sait toujours pas mesurer avec précision l'impact de l'incendie sur la structure du bâtiment ? Pourquoi lancer un concours international sur la flèche alors que l'on ne sait pas encore comment sera restaurée la charpente censée la supporter ? Pourquoi a-t-il fallu que le Président cède si rapidement à la culture de l'immédiateté et du sensationnel qui sied si mal au devenir d'un édifice de 850 ans ?

La course contre la montre qu'Emmanuel Macron a lancée comme un défi ne rend pas service à Notre-Dame. Les meilleurs spécialistes à travers le monde entier le disent et le répètent, un tel chantier, qui nécessite en tout premier lieu un énorme travail de sondage de la façade et des fondations, impose un temps de réflexion important. Un temps que le Président ne semble pas disposé à lui accorder, plaçant l'ensemble du projet de loi, sans raison impérieuse, sous l'emprise de l'urgence.

Mais entrons plus dans le détail de l'examen du texte.

S'agissant de la souscription nationale, plusieurs observations s'imposent.

D'après certains experts, les sommes collectées à ce jour – plus de 1 milliard d'euros – suffiraient amplement à couvrir les frais de conservation et de restauration de la cathédrale. Dès lors, la question d'un éventuel trop-perçu se pose. En l'état du droit, il paraît difficile de flécher ces sommes vers d'autres monuments historiques en péril, dont je rappelle qu'ils sont au nombre de 3 500 en France. Pourtant, en ne m'en tenant qu'au patrimoine religieux parisien, j'observe que les besoins sont considérables et que la Ville de Paris n'honore pas ses engagements en matière d'entretien des églises. Ne dispose-t-on pas là d'une occasion historique de soutenir plus efficacement le patrimoine en péril ?

Toujours s'agissant des dons, le financement de la formation des professionnels compétents pour mener à bien ces travaux est central. Une « génération Notre-Dame » va naître à la faveur de ce chantier colossal. Il est urgent d'attirer les jeunes les plus motivés vers ces métiers de la main, qui offrent des débouchés et, plus important encore, peuvent donner un sens à une vie professionnelle. Il faut saisir cette occasion pour qu'enfin, le regard de la société change sur ces métiers.

La tâche est immense. À ce jour, les entreprises agréées pour la restauration des bâtiments classés font déjà face à un manque de main d'oeuvre. Elles nous l'ont dit : 100 postes de maçons et 250 postes de charpentiers cherchent toujours preneur. C'est bien la preuve que les débouchés sont là, et existeront toujours après la restauration de Notre-Dame. Il faut même veiller à ce que le chantier de la cathédrale n'aspire pas toutes les compétences au détriment des territoires et de leurs entreprises. Rappelons d'ailleurs qu'il existe près de 45 000 monuments historiques en France, et que les besoins sont partout très grands. Pourquoi ne pas créer, à partir des structures déjà existantes, un centre de recrutement et de formation qui pourrait s'installer sur le parvis de Notre-Dame ? C'est une proposition qu'avec d'autres, notamment les Compagnons du devoir, nous formulons.

S'agissant de la réduction d'impôt, le Gouvernement a opté pour un taux de 75 % dans la limite de 1 000 euros. À titre personnel, j'approuve ce nouveau dispositif qui prend la mesure de l'événement, même si l'on observe a posteriori que l'essentiel des dons ont été collectés avant l'annonce du taux réévalué. Le rapport préconisé par Gilles Carrez en commission des finances permettra de connaître précisément la proportion des donateurs ayant bénéficié de la réduction et ceux qui y ont renoncé ou n'ont pu y prétendre.

Cela étant, je veux battre en brèche une idée très largement répandue : non, le patrimoine n'est pas le grand bénéficiaire du mécénat ! Il en est, bien au contraire, le parent pauvre si l'on considère que seuls 7 % de l'ensemble des dons consentis vont à la préservation du patrimoine. Les polémiques sur les dons accordés par les groupes privés risquent de détourner encore un peu plus les grands mécènes du patrimoine, ce que je regrette vivement.

Venons-en aux articles plus problématiques et, disons-le, dangereux.

Le groupe Les Républicains propose la suppression de l'article 8 pour les motifs que j'ai déjà invoqués précédemment. En effet, pourquoi ne pas s'appuyer sur les organismes préexistants ? Est-il vraiment utile de créer une structure ad hoc, qui ne manquera pas d'entraîner des doublons et des frais supplémentaires ? J'ajoute qu'en l'état, les missions confiées à l'établissement public, à savoir concevoir, réaliser et coordonner les travaux, ne sont pas suffisamment précises pour éviter le mélange des genres. Il faut clairement distinguer la maîtrise d'ouvrage, à la charge de l'établissement public, des autres missions, comme la maîtrise d'oeuvre, dévolue à l'architecte en chef des monuments historiques.

Toujours dans la logique d'encadrer strictement les prérogatives de l'établissement, pourquoi ne pas conditionner ses décisions à l'avis d'un comité d'experts du patrimoine ? C'est ce que je proposerai dans un amendement.

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