Intervention de Ludovic Mendes

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLudovic Mendes, rapporteur :

Madame la Présidente, chers Collègues, la proposition de résolution européenne que notre commission examine aujourd'hui, à l'initiative de notre collègue Olga Givernet, porte sur les négociations commerciales entre l'Union européenne, d'une part, et l'Australie et la Nouvelle-Zélande, d'autre part.

Avant de présenter les enjeux de ces négociations et la proposition de résolution européenne elle-même, je voudrais faire un point rapide sur la politique commerciale européenne.

La politique commerciale est, depuis le Traité de Rome, une compétence quasi-exclusive de l'Union européenne. Si elle s'est longtemps exercée dans le cadre du GATT puis de l'OMC, le blocage des négociations multilatérales du cycle de Doha a conduit l'Union, depuis 2006, à privilégier les accords commerciaux bilatéraux. L'Union a ainsi fait preuve d'un véritable activisme en matière commerciale puisque de nombreux accords sont en vigueur, conclus ou en cours de négociation. Parmi ceux-ci, on peut citer : des accords de libre-échange en vigueur avec la Corée du Sud, l'Amérique centrale, la Colombie et le Pérou ainsi qu'avec le Canada et le Japon ; des négociations conclues avec le Vietnam et le Mexique ; des négociations en cours avec le MERCOSUR et le Chili.

Enfin, outre des négociations très ciblées avec les États-Unis sur les droits de douane des produits industriels et la conformité, des négociations sont en cours avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Bien que situées à des milliers de kilomètres de l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des partenaires économiques importants pour celle-ci. Vous trouverez dans le rapport l'ensemble des données relatives aux échanges commerciaux bilatéraux et à l'investissement.

Je voudrais toutefois attirer votre attention sur plusieurs points.

Les exportations européennes de biens à destination de l'Australie se sont établies à 36 milliards d'euros en 2018, les importations s'élevant quant à elles à 11,6 milliards d'euros, soit un excédent en faveur de l'Union européenne de 24,37 milliards d'euros. Pour 85,5 %, les exportations européennes sont constituées de biens manufacturés. À l'inverse, l'essentiel des importations européennes sont constituées de produits primaires (61,8 %), dont les minerais et combustibles (43,9 %) et les produits agricoles (17,9 %).

En matière de services, l'excédent, toujours en faveur de l'Union européenne, s'élève à 10,5 milliards d'euros (en 2016).

S'agissant de la Nouvelle-Zélande, l'Union européenne a exporté, en 2018, pour 5,7 milliards d'euros de biens vers ce pays, important en retour pour 3,47 milliards d'euros de biens, soit un excédent en sa faveur de 2,23 milliards d'euros. Si les biens manufacturés représentent l'essentiel des exportations européennes (85,8 %), l'essentiel des importations européennes est constitué de produits agricoles, à hauteur de 73,1 %. À eux seuls, les produits animaux représentent près de 40 % des exportations néozélandaises.

En matière de services, les exportations européennes se sont élevées à 2,7 milliards d'euros en 2016, pour des importations de 1,7 milliard d'euros. Le solde commercial des services est donc lui aussi positif à hauteur de 1 milliard d'euros.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande présentent des enjeux relativement proches pour l'Union européenne en matière commerciale, lesquels transparaissent dans les mandats de négociation qui sont largement identiques. Nos intérêts offensifs sont une plus grande ouverture des marchés publics australiens et néozélandais et l'amélioration de l'accès des produits européens dans les secteurs de la pharmacie, des machines et des équipements de transports. Une meilleure protection des indications géographiques européennes dans ces deux pays pourrait également favoriser nos exportations agricoles. Nos intérêts défensifs portent sur les produits agricoles, notamment la viande ovine et bovine, le sucre ou les produits laitiers, sur lesquels l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont des positions très fortes au niveau mondial.

Les intérêts offensifs de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande concernent pour l'essentiel les produits agricoles. L'Australie porte ainsi une attention particulière à l'industrie sucrière ainsi qu'aux secteurs bovin et ovin. Quant à la Nouvelle-Zélande, qui en est le premier exportateur au monde, les produits laitiers sont son principal intérêt offensif.

On observe donc que les intérêts offensifs de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande – les produits agricoles – correspondent aux intérêts défensifs de l'Union européenne, lesquels recoupent des secteurs particulièrement sensibles pour la France. Or, ces deux pays bénéficient d'un avantage concurrentiel lié à des coûts de production plus faibles en raison d'économies d'échelle (taille des exploitations) et de normes moins élevées en matière sanitaire, de bien-être animal ou encore de protection de l'environnement. Des concessions tarifaires, notamment des quotas d'importation à droit nul ou réduit, pourraient donc fragiliser certaines filières agricoles en Europe et notamment en France.

L'autre difficulté que pourraient poser les négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande porte sur le développement durable. Les enjeux diffèrent toutefois selon le pays.

L'Australie est l'un des plus gros émetteurs de CO2 par habitant au monde en raison de sa dépendance au charbon et, plus généralement, aux énergies fossiles, qui représentent 95 % de son mix énergétique. Ayant ratifié l'Accord de Paris, elle doit réduire ses émissions de 26 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici 2030. Or, l'Australie sera l'un des rares pays pour lequel l'Accord de Paris aura des conséquences économiques négatives, notamment parce qu'il est le premier exportateur mondial de charbon. Celles-ci expliquent ses réticences quant à sa mise en oeuvre effective, qui s'est en particulier traduite par le refus du gouvernement d'inscrire l'objectif de réduction des émissions dans la loi et une crise politique qui, à l'été dernier, s'est traduite par l'arrivée au pouvoir d'un Premier ministre « pro-charbon ». Ces réticences sont susceptibles de poser un problème majeur à l'Union européenne, qui a fait de la mise en oeuvre effective de l'Accord de Paris une priorité de son action sur la scène internationale, y compris en matière de politique commerciale.

Quant à la Nouvelle-Zélande, elle se distingue en étant l'un des très rares pays développés à n'avoir pas signé deux conventions fondamentales de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la convention n° 138 sur l'âge minimal d'admission à l'emploi et au travail et ce, même si des dispositions nationales les reprennent largement.

J'en viens maintenant à la proposition de résolution européenne elle-même. La première chose à souligner, c'est qu'elle s'inscrit dans un contexte particulier tenant à la nouvelle architecture de la politique commerciale européenne. En effet, le jour même où le Conseil a adopté les mandats de négociation, le 22 mai 2018, il a aussi validé une nouvelle architecture qui scinde désormais les accords commerciaux en deux, simultanément négociés ou non : un accord de libre-échange, incluant l'investissement direct, portant sur l'ensemble des matières relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne ; un accord de protection des investissements, incluant en particulier un mécanisme de règlement des différends entre l'État et les investisseurs. Relevant de la compétence partagée, lui seul exigera l'unanimité au Conseil ainsi qu'une ratification par l'ensemble des États-membres.

Or, les négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne portent que sur des matières, incluant l'investissement, qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne. Par conséquent, les futurs accords seront adoptés à la majorité qualifiée au Conseil et les Parlements nationaux, à commencer par le Parlement français, ne pourront pas examiner le résultat des négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Cette nouvelle architecture de la politique commerciale européenne, si elle vise à améliorer l'efficacité et la rapidité de sa mise en oeuvre, affaiblit le contrôle démocratique dont elle fait l'objet de la part des Parlements nationaux. Il appartient donc à ces derniers d'en tirer les conséquences et de se saisir le plus tôt possible des négociations commerciales. C'est pourquoi, même si elle est justifiée du point de vue du contrôle démocratique de la politique commerciale, on peut regretter que cette proposition de résolution européenne arrive si tardivement, près d'un an après l'adoption des mandats de négociation par le Conseil.

Sur le fond, sans faire une présentation alinéa par alinéa de la proposition de résolution européenne, celle-ci est structurée autour de trois axes forts.

Premier axe, le soutien aux intérêts offensifs et défensifs de l'Union européenne. La proposition de résolution européenne met l'accent sur le fait que la viande et le sucre sont des produits sensibles qui devront, le cas échéant, faire l'objet de quotas d'importation adaptés et de mesures de sauvegardes efficaces. Elle met aussi l'accent sur l'importance de protéger les indications géographiques européennes. Elle soutient par ailleurs, les intérêts européens en matière de protection de la propriété intellectuelle et d'ouverture réciproque des marchés publics.

Deuxième axe, le rappel de l'importance de la prise en compte du développement durable dans ces négociations commerciales, à travers plusieurs dispositions : associer les ministères européens chargés de l'environnement aux négociations commerciales ; faire du respect de l'Accord de Paris une clause essentielle des accords de libre-échange, dont la violation doit entraîner systématiquement la suspension de l'accord ; soutenir la proposition du président de la République de promouvoir une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne ; fixer des normes élevées en matière de bien-être animal.

Par ailleurs, le développement durable ne se limite pas à la seule protection de l'environnement. Il concerne également les droits sociaux, notamment en matière d'emploi et de travail. C'est pourquoi la proposition de résolution européenne demande à ce que les négociations portent sur la ratification des conventions fondamentales de l'OIT et, plus particulièrement, la convention n° 138 sur l'âge minimum d'admission au travail et à l'emploi, et la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.

Enfin, troisième axe, l'appel à plus de transparences dans les négociations, une plus grande publicité de ses résultats et une meilleure association des Parlements nationaux et des différentes parties prenantes. C'est ainsi qu'elle salue les efforts de la Commission européenne en matière de transparence, tout en l'encourageant à améliorer les mécanismes de consultation des parties prenantes, des citoyens et des Parlements nationaux ainsi que la traduction en français des documents essentiels. Par ailleurs, au-delà des négociations elles-mêmes, la proposition de résolution européenne demande à ce que leurs résultats soient mieux valorisés auprès des citoyens européens et des PME.

Enfin, en conclusion, j'ai déposé un certain nombre d'amendements dont l'objet est, pour l'essentiel, rédactionnel, car la proposition de résolution européenne de Mme Olga Givernet est totalement en phase avec ce dont nous avons besoin et la réalité des négociations commerciales de l'Union européenne.

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