Producteur en Île-de-France, je suis vice-président des arboriculteurs de cette région. Je suis également trésorier de la nouvelle section de l'Interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL) de l'Île-de-France, ainsi qu'administrateur de la Coordination rurale. Je produis des poires, des pommes et des cerises dans notre belle région.
J'ai eu affaire à la grande distribution tout au long de ma carrière. Les choses ont évolué, plutôt favorablement. Auparavant, nous étions parfois pressés pour signer des contrats, une pression à laquelle je n'ai jamais cédé et à laquelle je conseillais à mes collègues de résister.
Nous avons un statut un peu particulier en Île-de-France, puisque, aujourd'hui, les consommateurs désirent acheter des produits de proximité ; cette embellie nous est tout à fait favorable.
Nous ne disposons d'aucune coopérative. Nous ne servons que des magasins indépendants et, depuis quelque temps, des centrales d'achat. Cela se passe globalement bien.
S'agissant de la négociation, le producteur, qui paie ses factures et connaît tous les coûts qui lui incombent, a une bonne perception du prix de son travail. C'est la raison pour laquelle nous défendons nous-mêmes nos prix.
Nous sommes relativement vindicatifs et fiers de nos produits, ce qui facilite les choses quand on a des relations commerciales avec la grande distribution.
La grande distribution cherche à animer ses rayons et, surtout, à déstabiliser ses clients, pour éviter qu'il ne se crée un prix de marché. Tel jour, elle vend un produit très cher, avec une marge énorme, et, tel autre jour, elle vend un produit quasiment à perte. Et, parfois, elle nous demande de nous accorder avec ce prix qu'elle a imaginé…
L'élément le plus dommageable, dans nos relations avec la grande distribution, ce sont les effets des promotions nationales, décidées en amont et donc, forcément, en décalage avec notre métier, qui dépend notamment de la météorologie. Vous ne pouvez pas décider six mois avant, ni même trois semaines, si, à la date prévue, les producteurs seront dans un pic de production et auront besoin d'écouler celle-ci, ou non. Dans un tel cas de figure, il existe une disjonction avec les cours du marché.
L'offre faite aux supermarchés provient aussi bien d'agriculteurs dont la structure fait la taille de mon verger, que de grosses structures qui ont des centaines de milliers de tonnes de fruits à vendre. Ces dernières disposent de services commerciaux importants qui, quel que soit le résultat de la vente, touchent un salaire à peu près fixe.
Les personnes qui gèrent ces grosses structures sont plus fragiles que le petit agriculteur lors des négociations, en particulier quand peu de grandes surfaces sont présentes. En effet, si les magasins font l'impasse sur la production d'un producteur qui est à la tête de cinq coopératives de fraises qui produisent ensemble 100 tonnes par jour, celui-ci se retrouve le lendemain à devoir écouler, non pas 100 mais 200 tonnes. De fait, il devient beaucoup plus souple sur les prix… Les magasins font le tour des producteurs, et celui qui n'obtempère pas aux prix annoncés se retrouve immédiatement en difficulté.
Il n'y aurait pas de crise agricole si nous vendions, par exemple des boulons. Les boulons peuvent être stockés et ils sont vendus à un prix et pas à un autre, alors que la salade qui reste deux jours en chambre froide n'a pas la même tête, et on en produit chaque jour. Cela joue en faveur de la grande distribution.
La stabilisation du prix vis-à-vis du consommateur final me semble être un objectif intéressant. Tout le monde connaît le prix de la baguette, personne ne connaît celui de la pomme. Or, aujourd'hui, il oscille entre 1 euro et 2,90 euros le kilo, et ce tous les jours de l'année.
En ce qui me concerne, ce n'est pas un problème, car je discute personnellement le cours auquel le supermarché va vendre mes produits. Je ne suis pas certain que les gros producteurs aient cette latitude.
Les « super-coopératives » ne sont plus véritablement des coopératives ; elles n'en ont que le régime fiscal. En effet, elles disposent de réserves financières supérieures à leur chiffre d'affaires pendant que des producteurs meurent de faim. Il s'agit, pour moi, d'un dysfonctionnement.