Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Représentants au parlement européen élus aux élections de 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

La nouvelle vague conservatrice qui a suivi, avec les deux gouvernements Cameron, a accentué la libéralisation du marché du travail, durci les conditions d'accès à la protection sociale et diminué ses prestations. Ainsi, après avoir été les premiers à s'être vu infliger les médecines de cheval de la toute nouvelle doctrine néolibérale, les Britanniques ont ensuite subi une décennie d'austérité particulièrement brutale après la crise financière mondiale de 2008-2009.

Pour diminuer le déficit, créé en grande partie par le sauvetage des banques, les politiques ont choisi de réduire les impôts et les dépenses – un refrain que nous avons beaucoup entendu et que nous entendrons encore dans les prochaines semaines. Déjà fortes, les inégalités ont ainsi été amplifiées. Résultat, se soigner, inscrire ses enfants à l'université ou se déplacer sont devenus un luxe pour le grand nombre, qui enchaîne des petits boulots mal payés. Après avoir drastiquement diminué les aides sociales de l'État, le Gouvernement a baissé de 30 à 40 % les fonds des autorités locales, notamment des villes, provoquant une détérioration des services locaux. Les réformes ayant attaqué l'État-providence ont affecté les plus vulnérables : les mères célibataires, les personnes en situation de handicap, les travailleurs pauvres. Les coupes drastiques et le gel des dépenses ont touché la plupart des programmes gouvernementaux.

En parallèle, les gouvernements de Londres ont restructuré le système d'allocations en tentant de justifier cela par la baisse du taux de chômage, qui est effectivement passé de 7 % en 2013 à 4 % en septembre dernier. Mais, là encore – cela n'est que très peu souligné – , ce sont toujours les mêmes qui en paient le prix fort : une grande partie des Britanniques, même ceux qui travaillent, souffrent de la faim. Comme l'expliquent économistes et sociologues, la précarisation du travail a en fait nourri la pauvreté. Les nouveaux contrats de type « contrat zéro heure » ou la multiplication des indépendants sur le modèle d'Uber ont créé des emplois qui, soit ne permettent pas aux plus pauvres de sortir de la précarité, soit entraînent des mécanismes d'écoeurement, les gens n'ayant pas la force de travailler au pied levé.

La protection est également mise à mal. Certains cotisent trois heures dans le mois, quand d'autres se retrouvent avec un emploi sans aucune protection sociale. La gig economy britannique, autrement dit l'économie à la tâche, ce sont tous ces nouveaux petits boulots, payés au cachet, sans aucune protection, via des plateformes de mise en relation sur internet pour faire des ménages ou des travaux de réparation ; nous voyons depuis plusieurs mois fleurir de telles annonces sur nos panneaux publicitaires dans le métro, les transports, etc.

Voilà donc le type de réformes qui inspirait Emmanuel Macron quand, en novembre 2014 alors qu'il était ministre de l'économie de François Hollande, il expliquait sur la BBC : « Quand on compare avec le Royaume-Uni dans les années 1980, la principale différence, c'est que nous n'avons pas fait les réformes à ce moment-là. Donc les Français reconnaissent aujourd'hui que les autres ont alors décidé de bouger, et que nous sommes les seuls à ne pas avoir réformé notre propre système. » Belle référence !

Au sein de l'Union européenne, de Thatcher à Cameron en passant par Blair, la stratégie des gouvernements britanniques a consisté à systématiquement pousser à l'élimination des supposées entraves aux forces du marché, en exigeant des dérogations aux législations communautaires, en particulier en matière sociale ; à multiplier les obstacles à toute forme d'union politique ou monétaire ; et à revendiquer sans état d'âme de tirer de l'appartenance à l'Union le maximum de retombées économiques. Cela s'est fait parfois de manière unilatérale mais aussi, souvent, avec l'assentiment de gouvernements comme ceux de l'Allemagne. La connivence avec ces derniers était ainsi notable sur le sujet de l'élargissement de l'Union aux États d'Europe centrale et orientale, qui a été une grande réussite pour ces deux alliés, en 2004 puis en 2007. Cet élargissement a augmenté significativement les possibilités de dumping social intracommunautaire, en particulier par l'utilisation du statut du travail détaché – encore un sujet qui fait écho aux débats franco-français !

Rappelons que sans attendre la période transitoire de sept ans prévue avant que la liberté de circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Europe ne soit effective, le Royaume-Uni avait décidé d'ouvrir immédiatement ses frontières aux ressortissants de ces pays, avec l'ambition de disposer d'une main-d'oeuvre relativement qualifiée mais peu exigeante en matière de rémunération et de conditions de travail. C'est là encore un modèle pour Emmanuel Macron, semble-t-il.

Tout cela a des conséquences sociales, économiques et politiques : le Brexit est la revanche politique des classes populaires.

En novembre de l'année dernière, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies chargé des questions d'extrême pauvreté et de droits humains, rendait public un rapport d'une vingtaine de pages sur la forte augmentation des inégalités sociales en Grande-Bretagne. Voici le tableau saisissant qu'il dresse d'une situation qui n'a rien à envier à un roman de Dickens :

« La Grande-Bretagne est la cinquième plus grande économie du monde, elle comprend en son sein de nombreuses zones d'immenses richesses, sa capitale est l'un des principaux centres de la finance mondiale, ses entrepreneurs sont innovants et dynamiques, et, malgré la tourmente politique actuelle, son système de gouvernement continue de faire, à juste titre, l'envie d'une grande partie du monde. Il semble donc manifestement injuste et contraire aux valeurs britanniques que tant de personnes vivent dans la pauvreté. Cela est évident pour quiconque ouvre les yeux sur l'énorme croissance des banques alimentaires et des files d'attente qui se constituent devant, les gens qui dorment dans la rue, la croissance du sans-abrisme, le sentiment de profond désespoir qui pousse même le Gouvernement » – que l'auteur juge pourtant dans le déni – , « à nommer un ministre pour la prévention du suicide et pousse la société civile à rendre compte en profondeur de niveaux inouïs de solitude et d'isolement. Et les autorités locales, notamment en Angleterre, qui jouent un rôle essentiel dans la mise en place d'un véritable filet de sécurité sociale, ont été anéanties par une série de politiques gouvernementales. Un nombre record de bibliothèques a fermé, les centres communautaires et les centres de jeunes ont été réduits et sous-financés, les espaces publics et les bâtiments, y compris les parcs et les centres de loisirs, ont été vendus. »

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